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Impôts : « Il faut remettre à plat tout le système »

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Supprimer le bouclier fiscal, mais aussi l’impôt de solidarité sur la fortune. Tels sont les deux axes de la réforme fiscale envisagée par Nicolas Sarkozy. Insuffisant, estime l’économiste Camille Landais, pour qui tout le système fiscal doit être revu, à commencer par l’impôt sur le revenu. Avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez, ils proposent une « révolution fiscale » fondée sur la création d’un impôt équitable et lisible.

Quelle est, en France, la réalité des revenus et du patrimoine ?

En 2010, le revenu national de la France se montait à 1 680 milliards d’euros, et l’ensemble du patrimoine à 9 200 milliards d’euros. Le montant total des prélèvements obligatoires est, lui, de 820 milliards, soit environ 49 % du revenu des Français. L’IRPP [impôt sur le revenu des personnes physiques], qui rapporte 50 milliards, ne représente que 6 % de cette somme. A partir de là, nous dressons deux grands constats. Le premier, le patrimoine, rapporté au produit intérieur brut, ne s’est jamais aussi bien porté depuis la Belle Epoque. Cela change la donne concernant la manière de repenser un système fiscal conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où la question de la taxation du patrimoine et de ses revenus ne se posait pas avec la même acuité. L’autre constat est que, même si l’inégalité entre les bas et les hauts revenus est moins importante en France que dans les pays anglo-saxons, les très hauts revenus ont fortement progressé ces dernières années.

La charge de l’impôt est-elle équitablement répartie entre les contribuables ?

Si l’on prend la masse totale des prélèvements, à savoir l’impôt sur le revenu, la CSG, les cotisations sociales, les taxes sur la consommation et l’imposition du patrimoine, l’impôt total représente environ 49 % de l’ensemble des revenus. Il serait logique que ces prélèvements soient répartis de manière au moins proportionnelle et que chacun soit imposé du même pourcentage de son revenu. Ce ne serait pas progressif (1) mais au moins cohérent. Ce que l’on constate est bien pire. Aujourd’hui, les neuf premiers déciles de la distribution des revenus, c’est-à-dire les 90 % des personnes les moins riches, paient environ 45 % de leurs revenus en prélèvements obligatoires. Mais le dernier décile, et plus encore le dernier centile, donc les 1 % les plus riches, voit ce pourcentage diminuer fortement pour atteindre 35 %. Le point de bascule se situe autour d’un revenu individuel de 8 000 € bruts mensuels.

L’impôt sur le revenu ne permet donc pas de contrebalancer le caractère inégalitaire des impôts sur la consommation ?

Dans la plupart des pays, la progressivité est en effet dévolue à l’impôt sur le revenu. Mais en France l’IRPP comporte énormément d’exonérations et de cas particuliers. De ce point de vue, on peut dire qu’il est assis sur une assiette à trous. Par exemple, les dividendes bénéficient d’une option pour un prélèvement libératoire. Les plus-values sont également imposées à un taux fixe. Il existe en outre un nombre de niches fiscales absolument incroyables, avec de nombreux revenus du patrimoine complètement défiscalisés. Au final, le pourcentage de l’IRPP sur le produit intérieur brut est très faible, et cet impôt ne joue donc plus du tout son rôle correcteur des inégalités face aux prélèvements obligatoires.

Vous dénoncez aussi le caractère illisible du système fiscal actuel…

De fait, plus personne ne comprend vraiment qui paie quoi en matière d’impôt sur le revenu. D’abord, parce qu’il est incompréhensible avec ses tranches calculées en taux marginaux, autrement dit le taux auquel est imposé la dernière tranche du revenu d’un contribuable. C’est pour cette raison que nous proposons de simplifier le système en recourant à des taux moyens effectifs, de façon que chacun connaisse précisément le montant de son impôt. Notre deuxième critique porte sur la prise en compte de la famille, avec son système de parts relativement archaïque comparé à ce qui se pratique dans d’autres pays. Non que nous pensions qu’il ne faille pas prendre en compte la famille. Mais nous sommes certains que le système actuel est inefficace.

Vous proposez de supprimer totalement l’IRPP. Par quoi le remplaceriez-vous ?

Nous proposons de fondre l’impôt sur le revenu dans l’actuelle CSG. Celle-ci est intéressante en raison de son caractère individuel et du fait qu’elle est payée à la source. La France est en effet l’un des derniers pays au monde à ne pas prélever l’impôt à la source. Et individualiser l’impôt permet que chacun paie par rapport à son propre revenu, et non sur la base des revenus du foyer. C’est une manière de laisser l’Etat hors des questions d’organisation des ménages. Nous pensons en outre que l’individualisation de l’impôt permettrait de favoriser l’emploi des femmes. Lorsque, dans un ménage, la femme travaille à mi-temps alors que son conjoint travaille à plein temps, ce qui est une situation relativement courante, le revenu supplémentaire qu’elle gagne est imposé au taux marginal du mari, plus élevé que le taux auquel elle devrait être imposée si elle payait ses impôts individuellement. En clair, elle sera incitée à ne pas gagner plus.

Les multiples niches fiscales et abattements seraient-ils appelés à disparaître ?

De temps en temps, il faut remettre à plat l’ensemble du système. Nous ne sommes pas hostiles par principe aux niches fiscales, sous réserve que leur utilité et leur efficacité soit réellement démontrée. Ce qui me laisse personnellement sceptique… Il serait possible d’en réintroduire certaines, mais seulement après avoir fait table rase. Car si l’on commence à vouloir conserver telle ou telle niche, les responsables politiques seront mis sous pression par les lobbies et la réforme n’aura aucune chance d’avancer. En proposant ce système, il s’agit bien de simplifier la vie de tout le monde, sauf peut-être celle des conseillers fiscaux. De même, la prime pour l’emploi serait complètement intégrée au nouvel impôt sur le revenu. Aujourd’hui, elle est calculée de manière complexe et versée avec un an de retard. Dans notre système, elle serait immédiatement perceptible sur la fiche de paie.

Quel serait le barème retenu, c’est-à-dire l’échelle des revenus et des pourcentages d’imposition correspondants ?

Nous souhaitons que chacun puisse s’approprier la question. C’est pour cette raison que nous avons mis en ligne un calculateur qui permet de réaliser des simulations à la fois sur le système actuel et sur celui que nous proposons (2). Néanmoins, avec le barème qui nous semble le plus équilibré, le taux effectif d’imposition des gens gagnant entre 2 200 et 5 000 € par mois, soit entre les 50e et 90e centiles de la distribution des revenus, serait de 10 % à 13 %. Il faudrait atteindre 10 000 € par mois – les 2 % les plus riches – pour que ce taux atteigne 25 % et 40 000 € pour qu’il plafonne à 50 %. Ce qui correspond à peu de chose près aux taux supérieurs actuels, avec 41 % pour l’IRPP et 8 % pour la CSG. En réalité, pour la majorité des contribuables, cette réforme se traduirait par un gain en pouvoir d’achat.

Votre proposition de réforme de l’impôt sur le revenu s’accompagne d’une refonte du quotient familial. Pour quelle raison ?

Nous ne souhaitons pas toucher à la politique familiale, mais la manière dont fonctionne le quotient familial est à la fois complexe et injuste. Si vous combinez toutes les prestations familiales en prenant en compte la fiscalité et les prestations directes, les enfants rapportent chacun à leurs familles environ 180 € par mois. Sauf au niveau du dernier décile, les 10 % les plus riches, pour lesquels ce montant va jusqu’à 400 €. Il n’y a pas de raison pour que la politique familiale avantage ces familles très riches. Le système doit au moins être égal pour tous, même si l’on peut décider de le moduler en fonction du nombre d’enfants ou d’autres facteurs. Nous proposons donc de créer un crédit d’impôt remplaçant le système actuel du quotient familial, sans que cela change fondamentalement l’essence des politiques familiales.

Avec cette réforme, beaucoup plus de gens paieraient l’impôt sur le revenu. En quoi serait-ce un progrès ?

On entend trop souvent dire que ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu sont des assistés. C’est oublier qu’ils paient déjà des impôts sur la consommation, et souvent davantage que les plus riches en proportion de leurs revenus. En outre, tous ceux qui travaillent paient des cotisations sociales, et tout le monde est assujetti à la CSG. Les pauvres sont donc loin d’être des assistés. D’une certaine manière, ils paient au total plus d’impôt proportionnellement à leurs revenus que les « super riches » qui, eux, peuvent éviter l’impôt par de multiples moyens. Il y a donc une dimension symbolique à ce que des gens modestes paient aussi l’impôt sur le revenu, même si cela représente des sommes minimes.

REPÈRES

Camille Landais est économiste, chercheur au Stanford Institute for Economic Policy Research. Avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez, il publie Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle (Ed. du Seuil, 2011).

Notes

(1) Dans un régime d’impôt progressif, les tranches fiscales les plus élevées paient davantage que les plus basses, afin de corriger les inégalités, notamment face aux impôts sur la consommation.

(2) www.revolution-fiscale.fr.

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