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« Engager le débat sur les orientations de l’ANESM »

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Un « contrôleur général de l’action sociale et médico-sociale ». Tel est, en contradiction avec l’esprit de la loi 2002-2, le rôle vers lequel l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) est en train d’évoluer, mettent en garde Laurent Barbe et Jacques Papay, tous deux consultants dans des cabinets habilités par l’ANESM à mener des évaluations externes (1).

« Si l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux a suscité l’intérêt lors de sa création et de la production de ses premières recommandations, les interrogations se multiplient sur la tournure que prennent ses orientations actuelles concernant la mise en œuvre des démarches d’évaluation prévues par la loi 2002-2.

Pour résumer et faire comprendre le problème, plusieurs points de repère doivent être rappelés.

Par la loi 2002-2, le législateur a demandé que les structures concernées procèdent à “une évaluation de la qualité de leurs activités et prestations au regard notamment de procédures, de références et de recommandations de bonnes pratiques professionnelles”. Les deux démarches, interne et externe, constituent dans ce cadre deux facettes d’un processus continu d’amélioration de la qualité.

Le décret du 15 mai 2007 précisant ce qu’est l’évaluation externe indique qu’elle doit “viser à la production de connaissance et d’analyse” et qu’elle a “pour but de mieux connaître et comprendre les processus, d’apprécier les impacts produits au regard des objectifs”, qu’elle est “distincte du contrôle des normes en vigueur, […] se distingue également de la certification, […] tient compte des résultats des démarches d’amélioration continue de la qualité que peuvent réaliser les établissements et services” (article 1).

Le décret prévoit aussi que l’évaluation externe reste pilotée par la structure, à l’initiative de l’organisme gestionnaire, et est effectuée par un cabinet habilité choisi par la structure, en lien avec des recommandations (qui ne sont donc ni des normes, ni des obligations, l’ANESM l’a elle-même souvent rappelé). Cette évaluation constitue un élément (et pas le seul) du renouvellement de l’habilitation de la structure.

L’ensemble de ces textes forme un ensemble cohérent qui détermine un périmètre spécifique pour l’évaluation, la situant comme un outil d’intelligence collective, de débat et de confrontations à partir de références partagées du secteur. Il la distingue explicitement du contrôle des établissements (dont la nécessité est par ailleurs indiscutable) et dont les fondements réglementaires ont été revus tant dans la loi 2002-2 que dans des textes ultérieurs.

Il faut d’abord constater le ralentissement de la production de l’ANESM, très faible pour 2010, puisqu’une seule recommandation a été publiée (2). Il est corrélé à un infléchissement progressif du positionnement de l’agence, qui semble ainsi avoir renoncé à “accompagner les établissements et services sociaux et médico-sociaux en développant l’évaluation” (comme elle l’évoquait dans son rapport d’activité 2008) pour se concentrer sur une dynamique prioritairement orientée vers le contrôle. Ses textes récents en témoignent.

C’était déjà le cas dans une note diffusée par l’agence en juillet 2010, positionnant l’ANESM à la fois dans un contrôle tatillon des organismes, mais aussi comme censeur potentiel des démarches négociées par les établissements (3).

Perspective de bureaucratisation

Plusieurs autres décisions sont venues conforter ce constat.

Ainsi, début janvier 2011, l’agence a annoncé le recrutement de trois contrôleurs des organismes habilités, ayant “une formation juridique, comptable ou financière […], une expérience acquise dans l’audit d’entités ayant des titres cotés dans les établissements de crédit, dans les entreprises régies par le code des assurances ou au sein du Haut Conseil du commissariat aux comptes” (4). L’annonce ne mentionne pas comme utile une quelconque expérience dans le secteur social et médico-social. On pourrait s’amuser du décalage dont cela témoigne au regard du travail réel des structures, si cela ne dessinait une perspective de bureaucratisation bien éloignée de la préoccupation de bientraitance qui devrait guider les débats.

Le programme 2011 (5) se révèle tout aussi concentré sur la question du contrôle des organismes habilités qui – même si elle est évidemment légitime et nécessaire – semble mobiliser toute l’énergie disponible. Cette nouvelle priorité qui semble animer la direction de l’ANESM concerne ainsi directement non seulement les organismes habilités pour l’évaluation externe mais aussi les établissements dont les marges de manœuvre et d’appréciation sont ainsi suspectées par avance dans une logique de contrôle en cascade. Les recommandations de bonnes pratiques elles-mêmes sont de plus en plus souvent, dans les textes de l’ANESM, évoquées comme constituant des quasi-obligations. Le contenu de la conférence de presse de rentrée de l’agence est frappant, au cours de laquelle l’accent a clairement été mis sur le contrôle des organismes évaluateurs (6) et l’objectif d’uniformisation à terme des rapports d’évaluation externe. Cette dernière est ainsi rapprochée d’un contrôle de conformité, voire d’une forme d’accréditation, dans un modèle donc proche de celui du sanitaire, où la Haute Autorité de santé accrédite les établissements.

D’une part, cette évolution est en contradiction avec le choix qui a été fait dans la loi et précisé dans le décret. D’autre part, elle place les organismes évaluateurs dans une posture délicate et peu compatible avec le fait d’être choisis et rémunérés par les structures (ce qui devient d’ailleurs dans cette perspective une source majeure de suspicion). Sans compter qu’ils n’ont ni le pouvoir, ni la légitimité pour imposer un contrôle, ni pour nombre d’entre eux la volonté de le faire.

Enfin, et surtout, cette approche tend à réduire drastiquement l’autonomie déjà bien encadrée des établissements et des associations. Mais aussi potentiellement celle des financeurs de l’action sociale et médico-sociale (agences régionales desanté, conseils généraux, directions de la cohésion sociale), qui disposent pour habiliter d’une légitimité mieux assise, et d’autres éléments d’appréciation que l’évaluation externe (contrôles, schémas territoriaux…).

L’évaluation instaurée par la loi 2002-2 peut constituer une avancée importante dans la dynamique d’amélioration de la qualité des services aux usagers. Mais pour rester dans cet esprit, l’ANESM ne doit pas transformer son rôle pour devenir une sorte de contrôleur général de l’action sociale et médico-sociale. Poursuivre cette évolution lui donnerait un pouvoir considérable à tous les niveaux de l’action, en orientant, par le levier de l’évaluation, tant l’action que la gouvernance des structures. Il ne nous semble pas que ce soit le rôle qui lui a été initialement dévolu. Ni que cela amènerait autre chose qu’un étage supplémentaire de contraintes de type bureaucratique.

Quelle marge d’expression pour les acteurs ?

Est-ce vraiment ce que tous les acteurs qui avaient porté la loi 2002-2 souhaitent ? Les structures et leurs autorités de contrôle n’ont-elles rien à opposer à cette dynamique ? La qualité du service aux usagers va-t-elle vraiment en bénéficier ? L’évaluation ne risque-t-elle pas de devenir une simple procédure de contrôle, comme si l’on savait d’avance tout ce qu’il est nécessaire de faire, et comme si les acteurs n’avaient rien à dire de pertinent à ce sujet ? D’autres façons de penser existent. Il est donc nécessaire que le débat s’engage. »

Contacts : laurent.barbe@cabinetcress.fr ; jacquespapay@wanadoo.fr

Notes

(1) Laurent Barbe, psychosociologue, est consultant au cabinet CRESS (Grenoble et Paris) et tient un blog intitulé « Regards sur l’action sociale » (http://blog.laurentbarbe.fr/). Jacques Papay, docteur en sciences de l’éducation, dirige le cabinet Jacques-Papay Conseil (Mimet, Bouches-du-Rhône).

(2) Celle sur le questionnement éthique – Voir ASH n° 2682 du 12-11-10, p. 12.

(3) Décision n° 2010001 du 2 juillet 2010 « relative à la mise en œuvre des dispositions de suivi de l’activité des organismes habilités au titre de l’article L . 312-8 du code de l’action sociale et des familles » – Disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr.

(4) Fiche de poste disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr.

(5) Voir ASH n° 2694 du 28-01-11, p. 9.

(6) Voir www.ash.tm.fr, rubrique « actualités », article du 25 janvier 2011.

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