Le ton est monté parmi les professionnels de la Justice après les déclarations du garde des Sceaux et du ministre de l’Intérieur, le 31 janvier, sur les suites qui seraient données à l’affaire du meurtre de Laetitia Perrais, dans la Loire-Atlantique (1). Evoquant une « défaillance de la chaîne pénale », les ministres ont annoncé des « sanctions qui s’imposent au regard des fautes ». En visite à Orléans le 3 février, le chef de l’Etat a enfoncé le clou en accusant les services de la justice et de la police d’avoir manqué de vigilance envers le meurtrier présumé de la jeune fille. Démarche « démagogique », « indigne », « instrumentalisation politique », s’insurgent depuis les magistrats et les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui, eux, invoquent leur pénurie de moyens.
Depuis plusieurs mois en effet, les juges de l’application des peines de Nantes avaient alerté leur hiérarchie des conséquences du manque d’effectifs, tout comme le service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Loire-Atlantique, où plus de 800 dossiers sont restés en souffrance, faute d’agents en nombre suffisant. Au niveau national, les professionnels s’alarment de longue date de la dégradation des services de la Justice. D’où leur sentiment d’être livrés à tort à la vindicte populaire. Un manifeste signé d’une quinzaine d’organisations syndicales et associatives représentant les magistrats, les avocats, les personnels d’insertion et de probation et de la protection judiciaire de la jeunesse (2) « accuse » le gouvernement « d’avoir gravement négligé la politique de prévention [de la récidive] en n’accordant pas aux services judiciaires et pénitentiaires les moyens, les outils et les budgets suffisants pour qu’ils exercent leurs missions dans des conditions satisfaisantes ». Dans un communiqué commun, quasiment les mêmes appellent « tous les professionnels de la justice à se joindre aux initiatives qui seront organisées » pour exiger des réponses à la hauteur des besoins. Une journée intersyndicale et nationale de mobilisation était prévue le 10 février. Le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale des magistrats avaient appelé à la suspension des audiences non urgentes jusqu’à cette date. Un mouvement suivi par plus de la moitié des tribunaux.
Cette fronde historique a dépassé la sphère des professionnels de la justice. Elle a reçu le soutien de l’Association nationale des assistants de service social, qui a invité « les assistants de service social de tous les secteurs qui le pourront à s’associer aux différentes actions prévues ». Pour l’organisation, qui s’élève contre « la présomption d’incompétence, marquée par le doute a priori envers les professionnels, […] c’est l’ensemble du système qui doit être réinterrogé ». La Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, dont le réseau accompagne les personnes sous main de justice, a également apporté son soutien aux conseillers d’insertion et de probation : « Même si un accompagnement individualisé ne garantit pas l’absence de récidive, il en diminue le risque, à la condition toutefois que la volonté politique, la mobilisation et les moyens soient au rendez-vous pour mettre en œuvre les aménagements de peine. » C’est au nom du « respect de l’indépendance de la justice » et contre « une politique fondée démagogiquement sur le risque zéro » que le Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert s’est également mobilisé. « S’engager à une obligation de résultat constitue un leurre d’autant plus inadmissible quand l’insuffisance de moyens conduit à ne pouvoir mener les actions de prévention les plus élémentaires », commente-t-il.
Le garde des Sceaux a proposé aux organisations syndicales de les rencontrer après les conclusions du rapport définitif des inspections des services judiciaires, pénitentiaires et de la police nationale sur cette affaire. En attendant, l’incompréhension entre le gouvernement et les professionnels a enflé. « Si des fautes sont relevées », elles « seront sanctionnées », a en effet renchéri le 7 février le Premier ministre, qui a jugé « excessive » la réaction des magistrats. Indépendamment de cette affaire, a-t-il néanmoins ajouté, « je sais que la question des moyens de la justice est posée. Mais il s’agit aussi d’améliorer l’organisation et les méthodes de travail. » François Fillon a annoncé avoir demandé aux ministres concernés de proposer « rapidement leurs recommandations ».
(2) Pour la plupart déjà réunies depuis près de deux ans dans un collectif pour dénoncer la dégradation du service public de la justice, comme le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, l’Association nationale des juges de l’application des peines, le Snepap-FSU et la CGT-pénitentiaire – Voir ASH n° 2674 du 17-09-10, p. 21.