Après plus de dix mois de controverses, le parcours législatif du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dit « Loppsi 2 ») s’est achevé le 8 février avec l’adoption définitive, par l’Assemblée nationale et le Sénat, du texte de compromis élaboré par la commission mixte paritaire.
De l’avis d’Eric Ciotti, le rapporteur (UMP) du projet de loi au Palais Bourbon, les discussions auront été rudes entre députés et sénateurs avant d’aboutir à un accord. En effet, de nombreux points ont fait l’objet de frictions entre les deux chambres. Au final, la loi – qui devrait, selon toute vraisemblance, avoir encore à passer l’obstacle du Conseil constitutionnel (1) – représente bel et bien la traduction législative du tour de vis sécuritaire annoncé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet dernier à Grenoble (2). Ce, malgré les tentatives du Sénat d’adoucir un texte qui suscite les plus vives inquiétudes du côté des acteurs de la justice, de la lutte contre l’exclusion, de la défense des libertés et des droits des étrangers. Tour d’horizon des dispositions les plus controversées, sous réserve de leur validation par le Conseil constitutionnel.
Jusqu’ici réservé aux récidivistes, le dispositif des « peines planchers » sera désormais également appliqué aux primodélinquants auteurs de violences volontaires. Le législateur a toutefois limité cette extension aux violences les plus graves. Sont ainsi plus précisément visés les auteurs de :
violences volontaires commises avec une ou plusieurs circonstances aggravantes ;
violences ayant entraîné une mutilation et une infirmité permanente ;
violences habituelles sur un mineur de 15 ans ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité – due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse – est apparente ou connu de leur auteur, ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) pendant plus de huit jours ;
violences commises avec arme, en bande organisée ou avec guet-apens, sur une personne dépositaire de l’autorité publique, n’ayant pas entraîné une ITT de plus de huit jours ;
violences commises en réunion à l’occasion d’une « embuscade ».
Les peines encourues par ces personnes diffèrent selon la nature de l’infraction qu’elles ont commise. Actuellement, le code pénal prévoit, selon les cas, une amende pouvant aller de 45 000 à 150 000 € et une peine d’emprisonnement maximale de sept ans ou de dix ans. Conséquence de l’extension du dispositif des peines planchers, cette peine d’emprisonnement ne pourra à l’avenir être inférieure aux seuils suivants :
18 mois, si le délit est punissable de sept ans d’emprisonnement ;
deux ans, si le délit est punissable de dix ans d’emprisonnement.
Toutefois, la juridiction pourra prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
Autre nouveauté à signaler : l’allongement de la durée de période de sûreté – en principe égale à la moitié de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, à 18 ans – pour les auteurs de meurtre (commis en bande organisée) ou d’assassinat à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de leurs fonctions. Concrètement, pour ces personnes, la cour d’assises pourra dorénavant, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu’à 30 ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu’aucun aménagement de peine ne pourra être accordé au condamné.
Introduite par le gouvernement, la mesure aura fait vivement réagir les professionnels de l’enfance : une nouvelle procédure est créée, tendant à permettre au procureur de la République de convoquer un mineur par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants afin qu’il soit jugé, sans passer par la phase d’instruction devant un juge des enfants. La loi pose deux conditions. Il faut ainsi que des investigations supplémentaires sur les faits ne soient pas nécessaires. Il faut également que des investigations sur la personnalité du mineur aient déjà été accomplies, le cas échéant à l’occasion d’une procédure engagée dans les six mois précédents ou d’une procédure ayant donné lieu à une condamnation dans les six mois précédents. Notons que le service de la protection judiciaire de la jeunesse compétent devra obligatoirement être consulté avant toute utilisation de cette nouvelle procédure.
Toujours concernant les mineurs, le tribunal pour enfants se voit offrir la possibilité de prononcer une nouvelle sanction éducative, s’apparentant à une sorte de « couvre-feu individuel » : l’interdiction – par décision motivée – pour le jeune âgé d’au moins 10 ans d’aller et venir entre 23 heures et six heures sans être accompagné d’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale, pour une durée de trois mois maximum, renouvelable une fois.
Parallèlement, la Loppsi 2 crée également une sorte de « couvre-feu général » applicable aux mineurs en offrant la possibilité au préfet de restreindre, « dans leur intérêt », la liberté d’aller et venir des moins de 13 ans « lorsque le fait, pour ceux-ci, de circuler ou de stationner sur la voie publique, entre 23 heures et six heures, sans être accompagnés d’un de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale, les expose à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité ». La décision devra énoncer la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique. La conséquence de la violation d’une mesure de couvre-feu sera la remise du mineur à son représentant légal. En cas d’urgence et si ce dernier n’a pu être contacté ou refuse d’accueillir l’enfant, celui-ci sera pris en charge par le service d’aide sociale à l’enfance.
Autre nouveauté : le préfet sera désormais informé par le procureur de la République des mesures alternatives aux poursuites et des jugements devenus définitifs lorsque ces mesures et jugements concernent des infractions commises par des mineurs résidant sur le territoire de son département. Le procureur devra également fournir ces informations au président du conseil général afin de lui permettre d’exercer ses compétences en matière d’aide sociale à l’enfance et de proposer, lorsque la situation familiale le justifie, un contrat de responsabilité parentale. Un dispositif dans le cadre duquel, pour mémoire, il peut proposer aux familles en situation de difficulté éducative avec un enfant des mesures d’aide et d’action sociales censées les aider à remédier à cette situation (3).
Le législateur a modifié par petites touches le régime de ce contrat, dans l’espoir d’en renforcer l’efficacité. Le président du conseil général pourra ainsi proposer le dispositif dans deux nouveaux cas : d’une part, aux parents d’un mineur poursuivi ou condamné pour une infraction signalée par le procureur de la République au président du conseil général, si cette infraction « révèle une carence de l’autorité parentale » ; d’autre part, aux parents d’un mineur qui a fait l’objet d’une prise en charge après avoir violé une mesure préfectorale de « couvre-feu ».
Par ailleurs, si le contrat n’a pu être signé du fait des parents ou du représentant légal du mineur, le président du conseil général pourra leur adresser un rappel de leurs obligations en tant que titulaires de l’autorité parentale et prendre toute mesure d’aide et d’action sociales de nature à remédier à la situation. Eric Ciotti en est convaincu, ce « rappel aux obligations parentales ouvrira au président du conseil général une possibilité de mise en demeure des parents défaillants sur le plan éducatif qui pourra lui permettre d’éviter d’avoir à demander […] la suspension des allocations familiales », a-t-il expliqué au cours des débats (4).
Une autre mesure inquiète, cette fois, les acteurs de la lutte contre l’exclusion. Elle organise une procédure permettant de mettre en demeure de quitter les lieux dans les 48 heures, sous peine d’évacuation forcée, les personnes occupant de manière illicite un terrain en vue d’y établir des habitations lorsque cette occupation « comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ». Autrement dit, elle vise notamment les bidonvilles et autres campements de sans-abri. Il s’agit en fait de l’adaptation à la situation de terrains occupés illégalement pour y installer des habitations destinées à une résidence durable de la procédure applicable à l’évacuation des résidences mobiles de gens du voyage stationnés illégalement.
Une mesure frappe, par ailleurs, plus spécifiquement les squatters de logements ou de locaux. La Loppsi 2 prévoit en effet de punir des peines sanctionnant l’intrusion dans le domicile d’autrui – un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende – le fait d’occuper le domicile d’autrui (hors les cas où la loi le permet) sans l’autorisation du propriétaire ou du locataire, après s’y être introduit à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, et de ne pas le quitter immédiatement à la requête de celui-ci.
Les propositions du député (UMP) Bernard Reynès (Bouches-du-Rhône) de créer des cellules de citoyenneté et de tranquillité publique (CCTP) (5) ou bien encore de conditionner les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance à la mise en place d’un conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance, d’un conseil pour les droits et devoirs des familles (CCDF) ou d’une CCTP, n’ont finalement pas été retenues. Une nouveauté, en revanche : les CCDF seront dorénavant obligatoires dans les communes de plus de 50 000 habitants. Par ailleurs, il est désormais écrit noir sur blanc dans la loi que, dans le cadre de ses missions d’animation et de coordination de la politique de prévention de la délinquance, le maire peut passer des conventions avec l’Etat ou les autres acteurs de cette politique pour fixer les modalités de leur action commune.
Parmi les autres mesures contenues dans ce véritable « fourre-tout » législatif qu’est la Loppsi 2, citons notamment l’instauration d’une sanction – un an de prison – contre les étrangers qui dérogeraient aux obligations de présentation périodique à la police dans l’attente d’une mesure d’éloignement du territoire, la tenue désormais possible des audiences de prolongation de la rétention administrative au sein même des centres de rétention administrative ou bien encore, dans un tout autre domaine, l’autorisation donnée aux forces de l’ordre de mettre en œuvre des logiciels permettant aux enquêteurs d’opérer des rapprochements entre différentes affaires dont sont saisis les services de police judiciaire. L’idée étant d’améliorer le taux d’élucidation, notamment en matière de petite et de moyenne délinquances.
(1) Les groupes socialistes des deux assemblées ont annoncé qu’ils saisiraient les sages dans les prochains jours.
(4) Rap. A.N. n° 2271, Ciotti, février 2010, page 222.