Etés chauds, hivers doux, le climat de l’Hérault est notoirement clément. C’est pourtant dans ce département que le Fonds d’aide aux travaux de maîtrise de l’eau et de l’énergie (Fatmee) a été lancé, dès 2002. Ce programme a été élaboré pour aider les personnes en situation de précarité énergétique. « Certains bénéficiaires sont originaires du nord de la France et affirment qu’ils n’ont jamais eu aussi froid qu’ici ! », souligne Sandrine Buresi, directrice du Gefosat, l’association montpelliéraine spécialisée dans la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables à l’origine de ce dispositif (lire encadré page ? 43). Cela tient en partie, selon elle, à ce que certains logements du Sud, notamment ceux du littoral, n’ont pas été conçus pour y affronter les hivers rigoureux, et au fait que nombre d’Héraultais, particulièrement touchés par le chômage et la précarité, n’ont pas les moyens d’entreprendre des travaux de rénovation.
Agent de développement social de formation, Sandrine Buresi rappelle qu’un « précaire énergétique » est « une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat » (1). En France, cela concernerait plus de 13 % des foyers, soit 3 à 4 millions de ménages (2). Parmi lesquels Béatrice Adgé, locataire d’un trois-pièces situé au centre de Poussan, une commune de 4 000 habitants. Elle travaille tout en percevant le revenu de solidarité active (RSA) et a dû contacter l’agence départementale de la solidarité du Bassin de Thau (circonscription d’action sociale), car elle n’arrivait plus à faire face à ses factures d’électricité, de 102 € par mois. Pourtant elle ne « surchauffe » pas son logement. Si elle le chauffait suffisamment, ses factures atteindraient même 144 €. L’assistante de service social l’a donc orientée vers sa collègue Anne Pous, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) de la circonscription. Cette dernière s’est rendue au domicile de Béatrice Adgé pour faire le point sur ses factures et analyser sa manière de vivre. Selon la CESF, le foyer répondait aux critères d’accompagnement du Fatmee. Ce programme, dont le champ d’intervention géographique s’étend un peu plus chaque année (3), vise quatre grands objectifs : la fourniture de matériel économe, les réparations d’urgence (vitre cassée, fuites d’eau, etc.), la pose d’équipements (mitigeur, contacteur heures creuses, chasse d’eau double capacité, réservoir de WC, calorifugeage de cumulus, etc.) et les travaux d’amélioration de l’habitat.
Dans chacune des circonscriptions d’action sociale concernées, un comité technique réunit tous les mois les thermiciens du Gefosat, des travailleurs médico-sociaux et des représentants d’associations de défense des locataires. Après l’examen de son cas, Béatrice Adgé a été admise dans ce dispositif qui accompagne 80 familles par an. Courant novembre, Nicolas Brun, thermicien, s’est déplacé chez elle. « J’ai mesuré les déperditions thermiques, cherché les problèmes d’étanchéité, d’infiltration d’eau, je suis même allé dans les combles pour voir le niveau d’isolation… », explique-t-il. Son objectif tend à établir un « bilan énergie » du foyer et à proposer des améliorations. Premier constat : les fenêtres, en simple vitrage, ferment mal, les convecteurs électriques bas de gamme sont peu efficaces et un poêle à pétrole d’appoint dégage de l’humidité… De fait, l’appartement est plein de courants d’air et le mur d’une des chambres est recouvert de moisissures. Au thermicien d’apporter des solutions pour que la température atteigne les 19 °C qualifiés, selon la norme française, de « confort thermique », tout en produisant des factures d’électricité que Béatrice Adgé puisse honorer.
Ce matin, Nicolas Brun se rend de nouveau chez cette mère de famille, sa mallette bien calée sur son vélo électrique. Il doit lui remettre son rapport de visite. Après avoir offert à la locataire une douchette économe (son installation sur une douche permet une économie de l’ordre de 60 € par an), des aérateurs pour les robinets de la cuisine et de la salle de bains et des lampes basse consommation, le thermicien lui fait part de ses préconisations. Parmi celles-ci, on trouve certaines actions simples, de « bon sens » : remplacer le vieux réfrigérateur particulièrement énergivore, baisser la température du cumulus de 10 °C… D’autres nécessitent des travaux importants qui permettraient d’abaisser le montant de la facture d’électricité à 43 € par mois, avec un taux de couverture de 100 % ! « Il s’agit de renforcer l’isolation de la toiture, de doubler les parois en contact avec l’extérieur, de changer les fenêtres et enfin de remplacer les convecteurs par des radiateurs électriques ou par des panneaux rayonnants », propose Nicolas Brun.
Tout cela a un coût. C’est au bailleur, et non au locataire, de réaliser ces investissements. Béatrice Adgé va donc transmettre le rapport de visite du Fatmee à son propriétaire. Il devra contacter l’organisme pour discuter des possibilités de travaux et d’aide au financement. « S’il ne réagit pas dans les quinze jours, nous nous mettrons directement en rapport avec lui, affirme Nicolas Brun. Sauf si le locataire s’y oppose. Il arrive, en effet, que celui-ci préfère abandonner par crainte d’avoir des problèmes. Or, tant qu’il n’y a pas “insalubrité”, il n’y a pas obligation d’entreprendre des travaux. Et le Fatmee a une démarche incitative, pas coercitive. » Le contexte locatif étant tendu dans la région, le Fatmee veille à ne pas intervenir auprès des propriétaires durant la période où ils ont la possibilité de mettre fin au bail. Si le locataire est mobilisé mais que son propriétaire n’est pas coopérant, les thermiciens peuvent aussi l’orienter vers une association de consommateurs partenaire. Il n’est jamais « abandonné ». « L’accompagnement, c’est l’alpha et l’omega de toute l’action du Fatmee, confirme Sandrine Buresi. Ce n’est pas la peine de dire aux gens “il faut faire ci et ça” et les laisser se débrouiller. Car dans ce cas-là, les travaux ne se font jamais. » En ce qui concerne Béatrice Adgé, la situation semble plutôt simple. Sa propriétaire ne s’oppose pas aux travaux, même si, étant donné leur importance, toutes les améliorations recommandées ne pourront être réalisées.
Véritables assistants à maîtrise d’ouvrage, les thermiciens du Fatmee suivent l’avancement des travaux et, une fois ceux-ci achevés, effectuent chez l’occupante une « visite de fin de chantier » pour s’assurer du confort thermique du logement, accompagnés par la CESF qui suit le dossier. C’est le cas, cet après-midi, chez Sylvia Lemonnier. Propriétaire-occupante d’une grande maison isolée à Montbazin, où elle vit depuis quinze ans sans chauffage – hormis une cheminée dans le salon –, celle-ci vient de faire installer trois fenêtres neuves. Reste néanmoins à refaire l’ensemble du réseau électrique, ce qui permettra l’installation de panneaux radiants. « J’ai connu MmeLemonnier par son assistante sociale, à qui elle a signalé, courant 2008, un dérapage de consommation électrique, raconte Anne Pous, CESF. Elle est au RSA et reprend des études, elle était incapable de régler cette facture et demandait une aide. Le thermicien du Fatmee a trouvé l’origine du dérapage – un compteur EDF défectueux. Mais cette visite à domicile nous a surtout permis de ressentir le froid, l’inconfort du logement et le besoin net de travaux d’amélioration. »
Au début de 2010, Nicolas Brun rédige un ensemble de préconisations, puis fait appel à l’un des partenaires du Fatmee, Pléiades Services, afin de sélectionner des artisans. « C’est une plate-forme de mise en relation qui nous facilite la tâche en mettant rapidement les devis en concurrence, précise le thermicien. Dans ce cas précis, nous avons reçu un devis de 6 000 € et un autre de 10 000 €. Nous avions déjà travaillé avec l’artisan qui proposait le plus bas tarif, que nous avons choisi, même s’il avait une problématique de délais – nous avons signé en juillet et les travaux n’ont commencé qu’en décembre ! » En raison de ses faibles revenus, Sylvia Lemonnier n’avait jamais imaginé pouvoir financer des aménagements de cette importance. La directrice du Gefosat lui a présenté la palette des financements disponibles – subventions de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), prime Eco-Gaz, fonds d’aide aux travaux du Fatmee… – et l’a aidée à préparer un dossier pour obtenir un microcrédit. « Il ne lui reste que 1 800 € à payer. Elle rembourse 53 € par mois pendant trente-six mois. Comme elle devrait toucher un crédit d’impôt pour ses nouvelles fenêtres, elle pourra rembourser par anticipation une partie de l’emprunt. »
Le Fatmee sert, en outre, de caisse d’avance pour les propriétaires-occupants ne pouvant pas avancer le montant des subventions. « C’est une gestion lourde, mais si nous ne le faisons pas, les ouvriers n’entament pas les travaux, explique Sandrine Buresi. Enfin, au-delà de l’aide financière, si le propriétaire a un “accident” de paiement de son crédit, l’Union départementale des associations familiales, qui gère l’accompagnement social des ménages tout au long du microcrédit, m’appelle et nous tentons de trouver une solution – demander à la banque une échéance, faire jouer la garantie du fonds de cohésion sociale… » Sylvia Lemonnier, qui passe son premier hiver au chaud, commente : « Je ne connaissais pas du tout ces dispositifs. Si j’avais su que l’on pouvait m’aider, j’aurais réagi bien avant ! »
Néanmoins, les réponses apportées par le Fatmee ne sont pas miraculeuses. « Avec des moyens plus conséquents, nous aurions fait installer le chauffage central chez MmeLemonnier. Ç’aurait été le plus confortable. Mais là comme ailleurs, nous avons adapté notre réponse à son budget », déclare Sandrine Buresi. La directrice du Gefosat regrette la complexité d’articulation des dispositifs de financements. « Aujourd’hui, l’énergie est devenue une problématique mieux prise en compte. Du coup, il y a un empilement d’actions, sans coordination. A nous de dénicher les aides, et cela prend du temps. » Anne Pous renchérit : « Sans compter que nous demandons des financements qui sont complètement disproportionnés par rapport aux ressources des ménages. Je pense à un dossier pour lequel il y a 30 000 €de travaux à financer pour une personne au RSA. Le Fatmee nous apprend la patience. Mais il y a toujours une solution. Ce foyer n’aura pas le chauffage cet hiver, mais peut-être le suivant. »
Seuls les travailleurs sociaux sont habilités à orienter les bénéficiaires vers le Fatmee. « Ils sont la porte d’entrée du dispositif, car ils sont à même d’évaluer la situation des ménages, à savoir s’il vaut mieux déménager ou être maintenu dans le logement tout en apportant des améliorations », explique Sandrine Buresi. Un tiers des bénéficiaires sont au RSA socle et 24 % seulement sont salariés ; 78 % sont locataires de leur logement. Ces chiffres concernent uniquement 2010, car, d’après la directrice du Gefosat, les proportions varient chaque année et selon la sociologie des territoires concernés. « Au lancement du dispositif, nous pensions essentiellement accompagner des personnes qui avaient d’importantes consommations d’énergie, à qui nous aurions permis de faire des économies. Au final, elles n’en font pas beaucoup, parce qu’elles sont souvent déjà en situation de restriction quand nous intervenons. Contrairement aux préjugés, même si nous vivons dans un pays où règne le gaspillage, très peu de ménages font vraiment n’importe quoi. Je n’ai vu personne le chauffage à fond et les fenêtres ouvertes ! », pointe-t-elle.
Ce constat a fait évoluer les objectifs du Fatmee, aujourd’hui davantage axés sur le confort. D’où la diversité des travaux lancés depuis huit ans : isolation, double vitrage, mise aux normes électriques, réfection de toiture, changement de chaudière, ventilation, changement de cumulus, suppression des infiltrations, raccordement au réseau électrique, installation de chauffe-eau solaire, voire électrification par énergie renouvelable pour les maisons ne pouvant être raccordées au réseau électrique. Les limites de l’action du Fatmee étant qu’il intervient chez un particulier, et non dans une copropriété, alors que c’est parfois l’immeuble entier qui mériterait d’être « traité », en installant par exemple un chauffage collectif. Le programme est financé par le conseil général (à 60 %), les fournisseurs d’énergie, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la caisse d’allocations familiales et certaines collectivités locales, à hauteur de 100 000 €, auxquels s’ajoutent 40 000 € pour le fonds d’aide aux travaux et l’achat du matériel économe.
Le Gefosat propose également aux travailleurs sociaux du conseil général, notamment aux CESF de chaque agence départementale de la solidarité, des formations de sensibilisation aux économies d’énergie. « Cette formation, dispensée par les thermiciens, m’a permis d’être mieux à l’écoute des besoins des ménages et de ne pas plaquer le discours basique du CESF quand je me rends à leur domicile pour une problématique énergétique. Pendant deux jours, on alterne théorique – définition du confort thermique, causes et conséquences de l’humidité… – et pratique – comprendre une facture d’électricité, analyser la différence entre la température ressentie et le réel…, précise Anne Pous, ravie de collaborer au dispositif Fatmee. Cet échange de culture entre techniciens et travailleurs sociaux m’a appris à repenser les choses, à avoir une approche plus transversale. »
De leur côté, Sandrine Buresi et ses thermiciens ont perdu peu à peu leur vision purement « bâtiment » et développé une lecture sociale, ce qui leur permet « de ne pas proposer de choses aberrantes ». Selon la directrice du Gefosat, l’action du Fatmee a des répercussions qui vont bien au-delà de « se sentir bien chez soi » : « L’attention que nous portons aux familles a une réelle signification, nous ne nous occupons pas d’elles simplement en réglant une facture ou en faisant de l’assistanat, mais en construisant un projet à leurs côtés. Des personnes s’en sont servies comme d’un levier de remobilisation, une manière d’être réintégrées dans le droit commun et de franchir un cap : certaines se sont remises à chercher du travail. » Une stagiaire CESF vient d’ailleurs d’être recrutée au Gefosat afin d’évaluer l’intervention du Fatmee auprès des bénéficiaires.
Système D, Systèmes solaires, La maison écologique, Habitat naturel, Rénovim… la docuthèque de l’association Gefosat (4) regorge de revues spécialisées en libre consultation. Car le cœur de métier de l’association est, depuis 1978, l’information du grand public sur la maîtrise de l’énergie. Sur rendez-vous, les particuliers qui envisagent d’entreprendre des travaux reçoivent les conseils de l’un des cinq thermiciens qui assurent une permanence.
Dans les années 1990, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a été sollicitée par le conseil général de l’Hérault afin de réfléchir à des solutions pour stopper l’augmentation de demandes d’aide pour factures impayées. L’agence n’ayant pas vocation à aller sur le terrain, elle s’est tournée à son tour vers Gefosat. D’abord pour faire un recensement des aides existantes au niveau national – ce qui a abouti à la publication du guide Fonds sociaux d’aide aux travaux (5) – puis pour envoyer des thermiciens au domicile des personnes afin de comprendre la problématique. Ils se sont rapidement rendu compte que ce n’était pas tellement l’attitude des occupants du logement qui était en cause, mais plutôt le bâti. C’est ainsi qu’est née l’idée du Fatmee, lancé en 2002 avec l’agence départementale de solidarité de Pignan-Mèze. Au fil des ans, le travail sur la précarité énergétique a pris de plus en plus d’importance au sein du Gefosat. Quatre thermiciens consacrent une partie de leur emploi du temps au dispositif. Action de développement durable, le Fatmee est inclus dans l’agenda 21 du conseil général de l’Hérault. Le programme a alimenté le groupe de travail « Pelletier », qui a présenté neuf propositions pour lutter contre la précarité énergétique(6) dans le cadre des travaux du Plan Bâtiment Grenelle.
(1) Article 4 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, modifié par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ou « GrenelleII ».
(3) L’agence Pic Saint-Loup-Gangeois, située en milieu rural, est entrée dans le dispositif au début de 2011. Le Fatmee concerne actuellement 12 des 19agences départementales de la solidarité de l’Hérault. Le Gefosat intervient sur 6 d’entre elles. La ville de Montpellier, qui a déjà un programme d’intérêt général pour la performance énergétique, n’est pas concernée.
(4) Gefosat : 11ter, avenue Lepic – 34070 Montpellier – Tél. 04 67 13 80 90 –
(5) A commander sur