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Les juges des enfants sous tension

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Entre la montée en puissance du conseil général en matière de protection de l’enfance, les attentes répressives de la société et le poids croissant du parquet, le juge des enfants voit son identité bousculée. Pour autant, l’homme-orchestre de la justice des mineurs résiste, soucieux de défendre la spécificité de son approche. Un combat d’autant plus difficile à mener que les moyens manquent cruellement.

« Le juge des enfants est une création relativement récente dans le paysage judiciaire français, mais il est déjà atteint du syndrome du bébé secoué… », alerte Frédéric Chevallier, substitut général près la cour d’appel de Poitiers (1). Dans un contexte marqué par l’aggravation des difficultés sociales et la perte des repères de certains parents, la stigmatisation des jeunes, l’évolution du droit ou la montée en puissance de certains acteurs institutionnels, cette « figure de l’autorité bienveillante », selon Delphine Bourgouin, secrétaire générale de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) (2), voit son identité parfois malmenée et l’exercice de sa fonction se complexifier. Pour autant, ces juges compétents tant au civil – en matière d’assistance éducative – qu’au pénal – où ils instruisent leurs dossiers et sanctionnent les mineurs délinquants – résistent plutôt bien.

Première évolution : la loi du 5 mars 2007. Faisant du conseil général le chef de file de la protection de l’enfance, elle a modifié les critères d’intervention de l’autorité judiciaire. Le recours à celle-ci est désormais prévu en cas d’échec de la mesure administrative, de refus de l’aide du département par les parents ou d’impossibilité d’évaluer la situation, même si la saisine directe du juge reste possible. Si des tensions inhérentes à la difficulté de clarifier les champs d’intervention des uns et des autres subsistent çà et là et si les effets de la loi se font inégalement ressentir, le principal écueil aujourd’hui semble « la trop grande ouverture des mesures administratives », selon Delphine Bourgouin, en poste à Melun. Le juge se retrouve fréquemment « saisi tardivement et, de fait, confronté à des situations très dégradées, voire bloquées, ne laissant d’autre choix que le placement ». Un constat que partage Juliette Morvan, jeune juge des enfants à Béthune (Pas-de-Calais) : « Quand on est saisi, on sent que diverses choses ont été tentées. Soit les carences des familles sont telles que le conseil général ne peut plus rester dans un face-à-face, soit le service social ne parvient plus à dialoguer avec elles. Le juge se retrouve alors souvent dans une situation plus compliquée puisqu’il aura aussi à trancher les litiges entre les protagonistes. » En outre, si l’absence d’adhésion des familles à la mesure administrative est une condition d’entrée dans le processus judiciaire, celle-ci est difficile à apprécier. Et en cas d’échec, le juge sera saisi avec retard.

« On se demande si cela ne se fait pas parfois au détriment d’une intervention plus rapide et plus utile de l’autorité judiciaire », analyse Evelyne Monpierre, juge des enfants à Créteil. La crainte du judiciaire et d’un placement pousserait en effet certains parents à accepter l’aide du conseil général, mais leur adhésion ne serait que de façade. « Dès que les éducateurs les invitent à interroger leur fonctionnement, et pas seulement celui de l’enfant, il y a des résistances. De même, on voit arriver des dossiers où les parents sont prêts à travailler mais pas l’adolescent », pointe Delphine Bourgouin.

A cela s’ajoutent une dégradation de l’état des familles et des enfants, de plus en plus carencés sur le plan économique, social, psychologique, et un engorgement des mesures. « La surcharge des services mandatés en milieu ouvert fait que des décisions mettent des mois à être mises en œuvre. Ces retards aggravent encore les situations », assure Juliette Morvan, qui se souvient d’une mesure d’assistance éducative pour laquelle aucune intervention n’avait pu avoir lieu durant un an. « On passe son temps à gérer le fossé entre ce qu’on sait devoir faire pour aider une famille et ce qu’on peut faire », confirme Delphine Bourgouin.

Le désengagement de la PJJ

Au manque drastique de ressources de maints départements se greffe le désengagement de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) des mesures d’assistance éducative. « Le conseil général est pris en étau entre le rôle qui lui revient au titre de la loi de 2007 et le retrait de la PJJ. Il doit assumer seul l’intégralité des mesures alors qu’il n’a pas le budget pour faire face à ce double défi », poursuit-elle. Le recentrage sur le pénal de la PJJ crispe d’autant plus les magistrats que « ce retrait se fait à droit constant. Ce n’est que par le biais financier que la réforme a été imposée aux juges des enfants. » La continuité des suivis est notamment en jeu. Par exemple, une mesure d’investigation et d’orientation éducative (3) menée par la PJJ peut constituer une première accroche intéressante avec une famille. Or la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui éventuellement suivra ne pourra pas être exercée par la PJJ mais par le conseil général. « Nous intervenons sur des situations très morcelées. Nous devons donc donner du sens à un parcours, ne pas créer de nouvelle rupture inutile. Comment expliquer à un gamin que la relation éducative qui fonctionne va s’arrêter non parce qu’elle est mauvaise, mais pour des raisons financières ? », s’interroge Robert Bidart, juge des enfants à Pau. Le positionnement de la PJJ induit aussi des choix ambigus. « On est amené à développer des mesures de mise sous protection judiciaire, parfois longues, pour poursuivre l’accompagnement éducatif alors que les jeunes ne commettent plus d’actes délinquants », dénonce Evelyne Monpierre. « On ne juge plus en fonction de ce qu’on pense nécessaire pour la famille mais des mesures éducatives possibles », confirme Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris. A l’extrême, les magistrats ont à connaître des situations ubuesques, comme celle de ces deux mineures isolées étrangères délinquantes qui ont été violées. « Entre le service de la PJJ qui estimait, parce qu’il ne faisait plus d’AEMO, qu’elles relevaient de l’aide sociale à l’enfance [ASE] et l’ASE qui disait ne pas avoir de moyens, ç’a été invraisemblable. Quand un mineur est victime et délinquant, on n’y arrive plus ! », lâche Hervé Hamon. Plus largement, faute de moyens, des mesures passent à la trappe. Ce que constatent deux sociologues, Benoit Bastard et Christian Mouhanna (4), soulignant l’accroissement des impératifs gestionnaires. Ainsi, résument-ils, certaines mesures, toujours inscrites dans le droit, telles celles touchant les jeunes majeurs, ne sont plus financées, d’autres ne peuvent plus être mises en attente car elles ne sont pas dans les contingentements, d’autres enfin sont réduites dans leur ampleur ou pas appliquées… Une évolution discrète dont il serait bon, selon Benoit Bastard, « d’interroger l’impact sur l’autorité du juge des enfants, son indépendance, le fonctionnement du système ». Enfin, avec le virage opéré par la PJJ, « la réorientation de la formation des éducateurs pourrait à terme faire disparaître leur culture de la dialectique entre judiciaire et éducatif », s’inquiète Robert Bidart.

Une course au « juger plus vite »

Dans ce même souci de continuité des parcours, les juges des enfants demeurent très attachés au maintien de leur double compétence. Si sa remise en question est moins d’actualité, ils restent prudents. « Les velléités de séparer les fonctions civile et pénale reviennent régulièrement, une extrême vigilance s’impose. D’ailleurs, on évoque la création d’un pôle de la famille… Dans ce cadre, on pourrait avoir, d’un côté, le juge aux affaires familiales pour le civil et, de l’autre, un juge pour le pénal. Cela amènerait à considérer moins le parcours que les actes et à glisser vers des logiques de plus en plus répressives, ce qui serait improductif. Nous ne devons pas perdre la culture de la protection de l’enfance », assure Marie-Pierre Hourcade, juge des enfants à Paris.

La montée des attentes répressives malmène cependant d’ores et déjà la figure du juge des enfants au pénal et fait reculer les principes de l’ordonnance du 2 février 1945 qui affirme la primauté de l’éducatif sur le répressif. Tout d’abord, la société s’est durcie à l’égard des jeunes, tout comme le droit. « Le seuil de tolérance s’est abaissé et on saisit très rapidement la justice pour une bagarre au collège, la moindre dégradation… », témoigne Juliette Morvan. La magistrate de Béthune a ainsi été saisie pour abus de confiance concernant un gamin de 9 ans qui n’avait pas rendu un MP3 prêté… L’activité pénale des juges des enfants s’est ainsi largement accrue, malgré l’augmentation sensible de la troisième voie (les alternatives aux poursuites) mise en œuvre par les parquets. « Beaucoup de juges ont la moitié de leur cabinet occupé par les affaires du pénal. Cela peut aboutir à un recul de leur singularité », analyse Benoit Bastard. La judiciarisation des comportements des mineurs et les saisines en masse altèrent la tâche des juges. « Cela se fait à moyens constants, aussi le temps que nous consacrons aux jeunes qui mériteraient une réponse autre que judiciaire est ôté à des mineurs dans une spirale plus inquiétante et pour lesquels nous pourrions être plus soutenants et réactifs », déplore Delphine Bourgouin. La poussée du répressif, la tolérance zéro, s’accompagnent de surcroît d’une exigence de rapidité. « Nous manquons cruellement de temps et nous sommes envahis par les procédures rapides. Il y a une pression, qui est, en fait, une modalité de traitement des flux. Cette course effrénée au “juger plus vite” n’est, en outre, qu’en partie valable pour les mineurs. Certes, ils ont besoin d’entendre des choses rapidement, mais pas forcément tout », estime Françoise Neymarc, présidente du tribunal pour enfants de Lyon. L’AFMJF plaide d’ailleurs pour une césure du procès pénal (voir encadré ci-contre).

Ces évolutions s’accompagnent en parallèle d’une montée en puissance du parquet qui affecte l’image du juge des enfants. « Aujourd’hui, les vraies figures de la justice pénale des mineurs sont le substitut et le délégué du procureur, car 60 % des affaires poursuivables sont traitées par la voie des alternatives aux poursuites. Le juge des enfants est mis à distance par ce filtre et par la volonté de réponse systématique à chaque acte posé », regrette Frédéric Chevallier.

Sous la pression répressive, les juges doivent veiller à garder la tête froide. « On reste libre de faire ce qu’on veut dans notre cabinet, mais il est difficile parfois de raison garder. Un passage devant le juge peut être démesuré, mais l’infraction est là et on ne peut relaxer pour le plaisir ; on est un peu piégé. On regrette parfois de devoir ainsi prononcer une mise sous protection judiciaire [5] car, si cela offre un suivi éducatif, c’est au prix d’une mention sur le casier… », reconnaît Juliette Morvan. De même, face à des jeunes récidivant dans de courts délais, les juges tentent de résister à la logique du parquet de durcissement des réponses. « On ne peut que tenir compte de la montée du pénal mais on tente de privilégier les accompagnements éducatifs. Des sanctions pénales peuvent bien sûr s’imposer mais il faut au maximum laisser sa chance à l’éducatif et lui donner le temps de produire ses effets », affirme Evelyne Monpierre. Les juges des enfants tiennent en effet à disposer à tout moment de la palette des moyens existants, en termes de mesure éducative et de sanction pénale, et à pouvoir jouer avec. Ce qui est en contradiction avec l’esprit des peines planchers. « L’important est que le mineur tire les conséquences de la sanction. Elle peut être rapide, lourde… mais, si elle n’est pas intégrée, elle sera inefficace, poursuit la juge. Pour certains, cela ne peut passer que par un travail avec un service éducatif. Un mineur n’est pas un majeur et il est impératif de considérer son âge, sa maturité, sa famille, son environnement… » Au final, les juges déplorent que les mineurs se retrouvent souvent plus poursuivis et plus réprimés que les majeurs. « Depuis une dizaine d’années, le droit pénal des mineurs perd de sa spécificité. Cela apparaît autant dans le contenu des sanctions qu’au plan procédural », observe Denis Baillard, juge des enfants à Angoulême. Et sur ce plan, l’avenir ne s’annonce pas meilleur. « Il est envisagé d’instituer un système de saisine directe du tribunal pour enfants par le parquet ! Il ne sera plus question de mise en examen mais de jugement pour toute une partie du contentieux. On n’est plus que dans du traitement de flux, on ne réfléchit plus ! Nous sommes en train de perdre une part de notre identité de magistrat, alors qu’il y a urgence à travailler à l’insertion de ces jeunes », s’alarme Françoise Neymarc. Pour l’instant, les juges parviennent encore à résister. Ce que souligne Denis Baillard tout en dénonçant la dérive actuelle : « Le modèle de compréhension de la personnalité du mineur, du contexte du passage à l’acte, avant de juger, reste encore la référence. Mais notre modèle d’action se rapproche de celui des majeurs tout en glissant vers une logique de sanction-exclusion avec les centres éducatifs fermés, les établissements pénitentiaires pour mineurs… » Le juge des enfants est d’ailleurs, depuis 2004, devenu aussi le juge de l’application des peines (JAP) des mineurs. Si l’évolution est plutôt bien perçue par les juges car elle conforte leur spécialisation et la continuité de la prise en charge, ceux-ci dénoncent toutefois, la non-spécificité de cette « japerie ». « On aurait souhaité un régime spécifique aux mineurs car on a vu, là aussi, la transposition de ce qui se fait pour les majeurs. Or certaines dispositions, tel le système de régimes de peines, leur sont peu adaptées », observe Robert Bidart.

Des juges « disqualifiés »

Enfin, au pénal aussi, le manque récurrent de moyens handicape les juges des enfants, qui déplorent la difficulté à trouver des lieux où placer les mineurs, notamment en urgence, et la surcharge des services. « Les parquetiers nous disent : “Vous voulez des mesures éducatives, mais elles ne sont pas exécutées…”, ce n’est pas simple », souligne Françoise Neymarc. Cela concourt à la décrédibilisation de l’action du juge. Un phénomène que constate Hervé Hamon : « Nous souffrons d’une disqualification depuis que les politiques se sont emparés de la question de la délinquance juvénile en stigmatisant un groupe, en donnant lieu à une surenchère sécuritaire et à un braquage sur la récidive, déplore-t-il. On nous taxe de laxistes et d’incompétents alors que le problème est d’emblée mal posé et qu’on nous ôte les moyens d’agir efficacement. On nous reproche également d’être ringards alors que nous sommes juste cramponnés à des outils qui nous semblent utiles. » Et de souligner combien les juges des enfants continuent d’être créatifs. A Paris, par exemple, ont été mis en place une approche interculturelle pour des mineurs issus de l’immigration, un dispositif adapté aux mineurs isolés étrangers, et un autre pour faciliter leur insertion (voir encadré, page 38)…

On le voit, les magistrats n’ont pas perdu leur motivation. « Ce métier reste passionnant, noble. On a conscience de l’enjeu de nos décisions. Ce qui se passe dans nos cabinets est souvent dur et violent, mais également beau et émouvant. Cela permet de tenir », remarque la secrétaire générale de l’AFJMF. « On exerce dans des conditions plus difficiles qu’il y a 15 ans, certaines positions sont devenues plus dures à tenir, mais on n’a pas envie de se désengager », renchérit sa collègue de Créteil. « Les juges des enfants s’investissent beaucoup pour continuer à faire des choses qui ont un sens », confirme Françoise Neymarc. Reste qu’ils peinent à se mobiliser ensemble, faute de temps et du fait de la solitude de l’exercice de leur métier. Une solitude parfois pesante. « Sur des dossiers complexes, cela peut être lourd. Il existe aussi un risque de s’enfermer dans sa pratique car on a, en face, peu de contradicteurs. La continuité du suivi est très riche mais elle peut être à double tranchant : il n’est pas toujours simple de garder le recul nécessaire quand on suit des dossiers de bout en bout. Sur certains, on devrait travailler à plusieurs », estime Juliette Morvan. C’est le cas d’ailleurs dans certaines juridictions, où une collégialité s’instaure pour traiter de cas complexes en assistance éducative. Plusieurs juges assurent ainsi l’audience et prennent ensemble la décision. De même, des « intervisions » s’expérimentent çà et là, permettant à des magistrats d’assister aux audiences de leurs collègues pour leur faire un retour sur leurs pratiques. Enfin, des supervisions ont été lancées dans certains tribunaux (voir encadré ci-contre). Mais encore faut-il que les juges aient le temps de s’y rendre…

JUGER EN DEUX TEMPS

Soucieuse, en matière de délinquance des mineurs, que la réponse ne se centre pas que sur l’acte commis, l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) défend l’adoption d’une procédure spécifique : la césure du procès pénal. « Certaines choses peuvent, ou doivent, être jugées vite, comme tout ce qui tourne autour des faits (établissement de la culpabilité, indemnisation de la victime) ; mais d’autres, ayant trait à la personnalité du jeune, réclament du temps », explique Robert Bidart, juge des enfants à Pau.

Dans une première phase, une audience d’examen de culpabilité se tiendrait donc devant le magistrat avec le mineur, son avocat et les parties intéressées. En cas de reconnaissance de culpabilité, l’indemnisation de la victime serait étudiée. Concernant le jeune, si les faits le justifient, un temps de mise à l’épreuve pourrait alors être ouvert de manière à instaurer des mesures d’investigation, d’accompagnement éducatif, de réparation, voire de contrôle judiciaire ou de détention provisoire. « L’objectif est d’avoir, au terme de cette période probatoire, une idée de ce que peut être le parcours du mineur », poursuit le juge.

Lors de son audience, le tribunal pour enfants examinerait les infractions et la progression du jeune et le sanctionnerait en conséquence : attribution ou dispense de mesure ou de peine. Un dossier unique serait ouvert depuis l’audience initiale de culpabilité jusqu’au jugement. « Cela permettrait de sanctionner le mineur en fonction des actes commis, de l’évolution de ses conduites, et d’éviter un chevauchement des procédures. Cela nous semble mieux adapté au fonctionnement des adolescents », précise-t-il. Une proposition, retenue par la commission Varinard (6), et qui, estime Frédéric Chevallier, substitut général près la cour d’appel de Poitiers, « répondrait à l’objectif de rapidité face à un acte délinquant mais aussi à la nécessité de retrouver un temps éducatif, un temps “juste” ».

MARIE-PIERRE HOURCADE
« Innover pour mieux répondre aux besoins »

Ayant le goût de l’expérimentation, Marie-Pierre Hourcade, juge des enfants à Paris, a mis en place, sur son secteur, une action pour lutter contre le trafic de drogue.

Est-il encore possible pour un juge des enfants d’innover ?

Nous avons une grande liberté et nous sommes un acteur central en matière de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance. Beaucoup de juges ne cherchent pas à innover car ils sont débordés. Cela permet pourtant de mieux répondre aux besoins sur son territoire. Il faut cependant bien maîtriser son métier et son cabinet, et avoir établi de bonnes relations partenariales. Pour qu’une expérimentation fonctionne, il est en effet impératif de partir d’un diagnostic partagé, de réfléchir collectivement aux moyens à mobiliser, de rendre chaque partenaire acteur du dispositif et de trouver des financements. Les villes et les préfectures disposent, par exemple, de fonds pour la prévention de la délinquance, il existe les budgets déconcentrés de la MILDT [mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie] et la PJJ [protection judiciaire de la jeunesse] peut fournir du temps d’éducateur…

Vous menez depuis 2007 une action innovante dans le XXe arrondissement de Paris. Quelle est-elle ?

A mon arrivée, j’ai été frappée par l’importance du trafic de cannabis dans mon secteur et je me suis demandé comment lutter contre. Partant du principe que les jeunes recherchent avant tout à gagner de l’argent, j’ai pensé qu’il fallait proposer du travail aux plus de 16 ans sur des postes non qualifiés pour quelques mois. L’objectif n’est pas de donner un emploi à des trafiquants de drogue mais de lutter contre la récidive et de sortir ces jeunes de la rue pour les inscrire dans un processus d’insertion. L’idée est de leur redonner confiance, de leur faire découvrir qu’ils peuvent satisfaire un employeur et de leur permettre de rejoindre le droit commun grâce au suivi d’éducateurs. Un comité de pilotage a été constitué avec le parquet, le commissariat, la Ville de Paris, la PJJ, des avocats, la MILDT… Grâce aux financements de la mairie et de la préfecture, nous avons recruté une personne pour animer le dispositif et assurer les liens avec les entreprises.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Les jeunes sont orientés vers le dispositif par des éducateurs de la PJJ ou de l’association de prévention Feu vert. La salariée les reçoit et, s’ils semblent motivés et fiables, elle leur propose un entretien avec un responsable des ressources humaines d’une entreprise où un tutorat est instauré. Aujourd’hui, une quarantaine de mineurs sont concernés dans le cadre d’une mesure ou d’une peine. Globalement, ils sont satisfaits car ils disent que cela leur donne un statut et que cela améliore leur image. Même s’ils gagnent parfois moins qu’en trafiquant, ils y voient une chance. Certains ont enchaîné avec une formation qualifiante, d’autres avec de l’intérim. Dès le début, nous avons intégré un système d’évaluation et cela se révèle positif. Bien sûr, la réussite n’est pas à 100 % mais certains semblent sortis d’affaire. L’action a d’ailleurs été étendue au XIe arrondissement.

PROPOS RECUEILLIS PAR F. R.

AMÉLIORER LES PRATIQUES ET LE BIEN-ÊTRE DES JUGES DES ENFANTS

Un besoin d’échange et un stress important. Telles sont les deux caractéristiques ressortant des supervisions que, depuis juin 2010, l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) organise, dans le cadre de la formation continue, à la demande des juges des enfants. Initiée en Ile-de-France, l’expérience s’étendra à d’autres juridictions en 2011. Pour la mener, Hélène Bazex, docteur en psychologie et coordinatrice de formation à l’ENM, a élaboré un protocole spécifique d’accompagnement des pratiques professionnelles.

La première des quatre séquences proposées est dédiée à la compréhension du vécu des magistrats, les participants étant appelés à s’exprimer spontanément sur les aspects structurels, organisationnels, partenariaux et cliniques de leur travail.

Un questionnaire relatif à leur niveau de satisfaction et de stress professionnels est distribué. La deuxième séquence donne lieu à un retour de la psychologue sur ce qui a été dit et les deux séances suivantes permettent de travailler à partir des besoins exprimés par les juges des enfants : par exemple, formation en psychopathologie, techniques d’entretien, reprise de dossiers, simulations d’audience…

Il ressort de l’expérience que les juges sont extrêmement satisfaits de pouvoir se rencontrer, discuter de leur quotidien et avoir des retours sur leurs pratiques. « Ils expriment des difficultés en termes d’excès de travail, d’isolement et de surcharge émotionnelle. Or ce sont des facteurs de risques du “burn out”, et cela peut porter préjudice aux juges comme aux justiciables », pointe Hélène Bazex. D’où l’importance de favoriser la réflexion commune et les échanges de bonnes pratiques entre pairs. « Les juges des enfants ont souvent confondu indépendance et solitude et leur manque de temps n’arrange rien », rappelle-t-elle. Conscients des enjeux de leur fonction, les magistrats évoquent par ailleurs leurs difficultés à devoir prendre des décisions importantes au plan humain sur des données « de seconde main » puisqu’elles émanent des travailleurs sociaux. Ils souffrent en outre beaucoup du manque de moyens et des retards de mise en œuvre de leurs mesures. Pour autant, estime la psychologue, « ils sont excessivement motivés et consciencieux. Leur abnégation pour leur travail est réellement impressionnante. » Evalués, les effets de la supervision devraient faire l’objet d’une publication en 2011 et ses enseignements, servir à nourrir les modules de formation initiale.

Notes

(1) Lors du colloque « La justice des mineurs en questions – Regards croisés chercheurs et professionnels » organisé par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales à Paris, à la Maison du barreau, le 9 septembre 2010 – Cesdip : 43, boulevard Vauban – 78280 Guyancourt – Tél. 01 34 52 17 00.

(2) AFMJF – Tribunal pour enfants : Palais de Justice – 75055 Paris-Louvre – www.afmjf.fr.

(3) Ordonnée par le juge, cette mesure d’aide à la décision consiste en un bilan pluridisciplinaire de la situation personnelle, familiale, éducative et psychologique du mineur.

(4) Auteurs de L’avenir du juge des enfants, éduquer ou punir ? – Ed. érès, 2010 – Voir ASH n° 2563 du 20-06-08, p. 43.

(5) La mise sous protection judiciaire ouvre l’exercice de mesures éducatives pénales sous la forme d’un placement ou d’une protection en milieu ouvert.

(6) Voir ASH n° 2585 du 5-12-08, p. 5.

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