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« Il faut s’intéresser aux moyens d’aider les personnes seules »

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Près de 50 % des Français disent avoir souffert de solitude, s’alarme le collectif d’associations « Pas de solitude dans une France fraternelle », qui s’est vu attribuer le label « grande cause nationale » 2011 par le Premier ministre. La solitude reste pourtant un phénomène complexe et mal connu qui touche les différents groupes sociaux de façon inégale, explique le sociologue Jean-Louis Pan Ké Shon, chercheur à l’INED.

Existe-t-il une définition de la solitude ?

Il n’y a pas de définition officielle, seulement des conventions plus ou moins acceptées par les chercheurs. D’autant que la solitude recouvre trois dimensions cousines mais pas identiques. Il y a d’abord l’isolement relationnel, qui concerne les personnes ayant peu ou pas de relations sociales. Il s’agit parfois d’un isolement absolu, mais très peu de personnes sont concernées par une situation aussi extrême. La plupart du temps, cet isolement est relatif. Par convention, j’ai fixé le seuil d’isolement relationnel à quatre contacts d’ordre privé par semaine. Ce système, appliqué à la pauvreté relationnelle, s’inspire des indicateurs de pauvreté monétaire. Selon cette définition, la proportion de personnes isolées en France est d’environ 11 %. La deuxième dimension, qui est celle prise en compte dans les enquêtes de l’INSEE, est le fait de vivre seul sans conjoint. Enfin, la troisième dimension est le sentiment de solitude, c’est-à-dire l’impression subjective d’être seul même si l’on vit avec un conjoint ou que l’on a des contacts avec les autres.

Le degré d’isolement est donc lié à la fréquence des contacts humains…

En partie mais pas seulement, car ce n’est pas tant le nombre des interactions qui compte que le fait d’être en relation avec ceux que l’on appelle des « autres significatifs ». Autrement dit, les personnes qui comptent réellement pour vous, pour qui vous comptez, avec lesquelles vous pouvez parler de choses intimes et qui peuvent vous épauler. Ces personnes sont plus importantes que le nombre de relations que vous pouvez avoir. Pour caricaturer, il ne suffit pas de parler à la caissière du supermarché pour sortir de son isolement relationnel. D’où le lien très fort entre la présence d’un conjoint et le sentiment de ne pas être seul, car le conjoint est par définition un « autre significatif » partageant les aléas du quotidien. On comprend alors pourquoi les personnes seules sont davantage fragilisées par rapport à celles qui vivent en couple.

Le nombre des personnes seules est-il en augmentation ?

Il n’existe pas de véritable point de référence sur l’évolution du nombre de personnes souffrant d’isolement relationnel. En revanche, nous disposons de chiffres pour les personnes vivant seules. En 1962, elles représentaient 6,3 % des individus. En 2005, ce chiffre est passé à 14,2 %. Les ménages de personnes vivant seules sont, eux, passés de 16,6 % à 32,9 % durant la même période. Quant à la part des familles monoparentales, elle a plus que doublé et représente actuellement près de 8 % des ménages français.

Certains groupes sociaux sont-ils davantage frappés par l’isolement ?

Oui, il s’agit des groupes les plus en difficulté, à savoir les personnes peu diplômées ou sans qualification, les ouvriers, les chômeurs, les immigrés… On a longtemps véhiculé l’image d’Epinal de la chaleur relationnelle existant dans les milieux ouvriers, avec l’existence d’un sentiment collectif fort. Cela existait peut-être par le passé mais ce n’est plus le cas, du moins en tant que dominante sociologique. L’aisance à nouer des relations se trouve plutôt du côté des personnes dotées d’un fort capital culturel. Pour elles, une personne inconnue est moins problématique à approcher. En outre, des études ont montré que les personnes dotées culturellement entretiennent leur réseau relationnel de façon moins coûteuse. Elles n’ont pas besoin de voir fréquemment leurs amis pour continuer à les considérer comme tels. En revanche, chez les personnes peu dotées en capital culturel, si trop de temps se passe entre deux rencontres, cela peut être interprété comme une désaffection, avec un risque de rupture relationnelle. L’âge est également discriminant, la probabilité d’être isolé augmentant fortement avec les années. Les personnes les moins sujettes à l’isolement relationnel sont les jeunes et les personnes actives. Les plus touchées sont les personnes âgées de 80 ans et plus. Toutefois, le sentiment de solitude ne progresse pas proportionnellement à l’isolement relationnel proprement dit. Jusqu’à 70 ans, ce sentiment est en effet relativement peu élevé. Il ne commence à progresser de façon significative qu’après cet âge. Ce phénomène s’explique par le fait que non seulement les personnes très âgées sont souvent isolées mais que, de plus, elles subissent l’impact de la perte du conjoint et des personnes proches.

L’individualisation croissante de la société est-elle l’une des raisons de l’augmentation de la solitude ?

De fait, nous vivions auparavant dans une société où l’on était davantage inséré dans des collectifs, religieux, politiques ou encore syndicaux. Mais ces collectifs se sont érodés et les individus se trouvent davantage isolés. Les idéologies et les grandes utopies se sont également effritées, alors qu’elles étaient très structurantes pour les individus et leur permettaient de partager des visions communes, de ne pas se sentir seuls face à la société. Il y a eu en outre un tournant entre 1965 et 1975, que les démographes ont appelé la « seconde transition démographique ». A cette époque, la fécondité a diminué, de même que la taille des familles. La cohabitation et le nombre des naissances hors mariage ont crû, l’âge au premier mariage s’est élevé, les ruptures et les divorces se sont multipliés, ainsi que les épisodes de vie en solitaire. Deux mutations majeures sont intervenues : l’autonomisation de l’individu et l’émancipation des femmes, notamment par l’accès aux études et au travail et par la maîtrise de leur fécondité. Tout cela a généré une profonde mutation des rapports hommes-femmes, avec une exigence plus forte de la part des femmes à l’égard de leurs conjoints. D’une façon générale, les hommes comme les femmes sont devenus plus exigeants sur la qualité des relations affectives au sein du couple.

Le célibat, contraint ou choisi, est-il également un facteur d’isolement ?

Pas en tant que tel. Le célibat concerne en effet d’abord les jeunes qui, pour la plupart, fonctionnent beaucoup en groupes, en réseaux, et communiquent entre eux par toutes sortes de canaux. Ils ont énormément d’interactions avec un réseau relationnel étendu. Ils peuvent aussi nouer des relations amoureuses avec d’autres personnes sans vivre ensemble. Il existe ainsi une grande différence entre un célibataire et une personne qui se retrouve seule après un divorce. Les divorcés sont plus âgés en moyenne que les célibataires et leurs perspectives de remise en couple sont, de ce fait, moins ouvertes. Le sentiment de solitude évolue en fait selon un gradient qui va des personnes en couple jusqu’aux veufs, en passant par les célibataires, les parents isolés et les divorcés. Les travaux d’Emile Durkheim, fondateur de la sociologie française, ont montré en outre que les personnes célibataires, veuves ou divorcées se suicidaient beaucoup plus que les personnes en couple.

Mais la solitude est-elle nécessairement synonyme de mal-être ?

Ce n’est pas mécanique. Un certain nombre de personnes revendiquent leur célibat, notamment parmi les femmes actives dont certaines affirment mieux vivre seules que mal accompagnées. Néanmoins, différents indicateurs de mal-être montrent que ces personnes restent plus fragiles que celles qui vivent en couple face aux tensions de la vie quotidienne. Et puis, parfois, les gens se cachent à eux-mêmes leur propre solitude en la revendiquant. Sans compter qu’une situation qui était agréable à 30 ans ne l’est plus nécessairement à 40, en particulier pour les femmes qui souhaitent avoir des enfants.

Les initiatives volontaristes, telle la « grande cause nationale », vous paraissent-elles utiles ?

Faire prendre conscience de la réalité de la solitude au grand public est une bonne chose. Mais il faut aussi s’intéresser aux moyens qui peuvent aider ceux qui ont du mal à nouer des liens sociaux. Je pense notamment aux personnes âgées et très âgées vivant seules. Il faudrait aller au-devant d’elles en mettant au point des systèmes de mise en relation avec des visites par des travailleurs sociaux ou des bénévoles d’associations, des entremetteurs entre personnes âgées autour d’activités ou de célébrations. Quant aux personnes divorcées qui ont du mal à trouver un conjoint, on pourrait imaginer des systèmes d’accompagnement aux rencontres, des parrainages notamment sur Internet. Je crois que ce type d’action serait plus utile que de simples campagnes de sensibilisation du grand public.

REPÈRES

Jean-Louis Pan Ké Shon est sociologue, chargé de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED). Ses travaux portent, entre autres, sur la sociabilité et l’isolement relationnel. Ses articles peuvent être consultés sur son site http://jlpks.free.fr.

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