On n’a pas encore beaucoup débattu, dans les milieux de l’action sociale, de la réforme des collectivités territoriales que la récente loi du 16décembre 2010 vient d’entériner. Sans aucun doute, la digestion difficile des effets potentiels de la révision générale des politiques publiques (la fameuse RGPP), ajoutée aux inquiétudes soulevées par la loi dite « hôpital, patients, santé et territoires » (ou loi « HPST ») du 21 juillet 2009, a-t-elle déjà largement encombré les colloques, journées d’études et autres séminaires.
Si l’on s’attache à mesurer les effets généraux de la RGPP et de la loi « HPST », on peut les ramener à deux remarques. Tout d’abord, l’Etat a fixé son centre de gravité au niveau régional puisque, avec l’autorité conférée au préfet de région et la subordination du niveau départemental au niveau régional, l’articulation des politiques centrales avec les « territoires » est montée d’un cran. Le vieux modèle républicain d’administration locale, de type « départementaliste », a vécu. Mais dans le même temps, côté loi « HPST », la création de l’ARS complexifie le modèle en introduisant ce nouvel acteur dont on ne perçoit pas bien encore les rapports avec les autres services étatiques.
Pour l’action sociale, jusque-là essentiellement départementalisée, ces mutations accroissent la complexité de la « régulation » du côté de l’Etat. Concernées par deux niveaux, dont dorénavant un niveau régional dominant, et désarticulées par l’ARS, qui règne sur le médico-social quand une part du social reste dans le giron des autres services déconcentrés, les politiques d’assistance subissent un nouvel éclatement. Et il n’est pas certain que la parade imaginée, qui tient dans une mise en cohérence d’une planification restée par ailleurs multiniveau, soit à la hauteur des effets désintégrateurs de ces évolutions.
Et c’est là qu’il convient de faire entrer dans le tableau la réforme des collectivités territoriales. On le sait, nous avons en France un débat sur le nombre des niveaux d’administration locale, débat qui a rebondi assez récemment avec la mise en cause explicite de la collectivité départementale. Mais faute de pouvoir parvenir à un consensus sur cette question, c’est la stratégie du contournement qui a été choisie : le département demeure, mais il subit deux mutations. D’une part, les conseillers départementaux et régionaux sont confondus dans des élus territoriaux siégeant à la fois à l’assemblée départementale et au conseil régional. D’autre part, des « métropoles » sont créées qui, dans les départements où elles seront instituées, se verront confier les attributions de ces derniers. A cela s’ajoute le renforcement des intercommunalités, dont on attend qu’elles captent de plus en plus de compétences, soit montantes depuis les communes, soit descendantes depuis le département. De là, il suit que l’avenir de ce dernier est pour le moins incertain, avec une érosion de sa légitimité par le haut et une vidange de ses attributions par le bas.
Certes, cette évolution n’est qu’hypothétique, mais cette nouvelle réforme territoriale introduit l’action sociale dans un degré supplémentaire d’incertitudes. Le cycle engagé avec les lois Defferre au début des années 1980 avait en quelque sorte été parachevé par le dénommé « acte II » de la décentralisation, en 2003-2004. Commençant par constituer la collectivité départementale en acteur principal de l’action sociale, on avait fini par en faire le « chef de file » dans ce domaine tout en lui confiant les politiques d’insertion, la coordination des politiques gérontologiques et un rôle important dans le champ du handicap. Or voilà que ce processus de mise en cohérence à la fois organique et territoriale risque de se défaire du fait de la montée en puissance de l’échelon régional, de la métropolisation et du retour d’un acteur communal recomposé.
Les « territoires » de l’action sociale ont toujours comporté un certain degré de complexité et de potentielle incohérence, mais la circonscription départementale constituait un espace commun de mise en œuvre et la décentralisation avait jusque-là semblé vouloir faire du département l’acteur dominant. Avec la régionalisation de l’administration déconcentrée, sa complexification pour l’action sociale et le potentiel assèchement de la collectivité départementale, on ne peut pas dire que la situation s’éclaire et que le mouvement en cours vienne conforter les quelques certitudes que l’on avait pu tirer des évolutions antérieures.
Robert Lafore succède à Michel Thierry, aux côtés d’Antoine Durrleman, aux commandes du « Point de vue ». A 59 ans, ce juriste, spécialiste de l’action sociale et du droit social européen, est professeur de droit public à l’université de Bordeaux – Institut d’études politiques. Il intervient en outre régulièrement auprès de travailleurs sociaux en formation. Il est par ailleurs président du conseil de prospective de l’Uniopss. Il a publié La République sociale (Ed. PUF, 2000) et est coauteur de deux ouvrages de référence : Droit de l’aide et de l’action sociales, avec Michel Borgetto (Ed. Montchrestien), et Droit de la sécurité sociale (Ed. Dalloz), avec Michel Borgetto et Jean-Jacques Dupeyroux.