Etes-vous plus confrontée à la souffrance au travail au sein des entreprises aujourd’hui qu’il y a quelques années ?
Je ne sais pas s’il y a plus de souffrance au travail qu’auparavant, mais elle est davantage exprimée par les salariés, notamment par les cadres, ce qui est assez nouveau dans mon expérience professionnelle. Certains cadres sont en grande souffrance et se permettent désormais de le dire.
Quelles sont les plaintes des salariés ?
Elles portent essentiellement sur un manque de reconnaissance. Et les gens ne trouvent plus personne à qui parler. L’entreprise est devenue un monde d’individus fonctionnant séparément. J’observe en outre une augmentation des exigences contradictoires. Les objectifs ne sont pas forcément bien déterminés, et cela crée du mal-être. J’ai constaté aussi un manque d’évolution professionnelle, avec des personnes en poste depuis très longtemps, des mobilités qui n’aboutissent pas… Enfin, les rapports hiérarchiques sont très tendus. Ce qui est ni plus ni moins l’effet des contraintes qui redescendent des directions, les managers étant eux-mêmes soumis à une intensification du travail. Or ils ne sont pas toujours bien armés pour faire face à cette pression importante.
Les entreprises vous sollicitent-elles davantage sur cette thématique des risques sociaux ?
C’est indéniable. Avant, la souffrance au travail s’exprimait de façon confidentielle. Aujourd’hui, les DRH [directions des ressources humaines]s’en saisissent officiellement, et je suis intégrée dans une politique de gestion des risques psychosociaux, ce qui n’était pas le cas auparavant. Dans deux entreprises avec lesquelles je travaille, mon intervention est ainsi prévue dans les accords sur la gestion du stress.
Quelles sont vos missions ?
D’abord recevoir les salariés qui le souhaitent. Le service social est un lieu de parole, où tout peut être dit en dehors de la hiérarchie. Cela ne suffit pas, certes, mais c’est déjà un soulagement. Ce travail d’écoute me permet de jouer un rôle de veille et, par exemple, de faire remonter des problèmes récurrents dans un service. Je peux aussi faire de la médiation en cas de tensions sur un poste de travail, pour éviter que les choses ne se dégradent. J’essaie de convaincre le salarié qu’il a intérêt à dire sa difficulté, pour pouvoir trouver une solution par une mobilité, une réorganisation d’équipe, une formation… Il y a enfin une dimension collective à mon action, avec ma participation à la réflexion sur la gestion de ces problématiques dans l’entreprise. Je suis amenée à travailler avec les partenaires sociaux, les DRH, les médecins du travail.
Les DRH entendent-ils vos alertes sur ces situations de souffrance au travail ?
Cela reste un sujet délicat. Les directions ne peuvent plus faire comme si la souffrance au travail n’existait pas. Elles sont bien obligées de s’en saisir. En même temps, il ne faut pas trop en parler, car elles ne veulent pas donner l’image d’une entreprise maltraitante. La place de l’assistante de service social reste donc un peu problématique, surtout lorsqu’elle remet en cause le fonctionnement des services. Car cette souffrance touche bien souvent à l’organisation même des entreprises, qui est marquée par une tension économique qui traverse toute la hiérarchie. Mais il n’est pas question de laisser des gens dans des situations de souffrance, et on arrive toujours à quelque chose.
Votre position n’est-elle pas inconfortable en tant que prestataire de l’entreprise ?
Paradoxalement, la position de consultante est beaucoup plus confortable que celle de salariée. On achète ma prestation en tant que spécialiste. Cela me donne un droit de parole, car on ne me paie pas pour ne rien dire. Et puis le service social a la réputation d’être souvent à contre-courant et de mettre le doigt sur des problèmes sensibles… En outre, de plus en plus d’entreprises essaient de jouer le jeu et de se poser les bonnes questions. Ne serait-ce que parce que celles de plus de 1 000 salariés sont incitées à discuter sur le stress au travail. Au moins, cela oblige les gens à se mettre autour d’une table et à essayer de comprendre ce qui se passe. En ce qui concerne la confidentialité, du côté des DRH, je n’ai jamais subi de réelles pressions pour obtenir des informations. Les directions ont bien conscience que si l’on passe outre le respect de la confidentialité, nous n’avons plus de crédibilité. Pour les salariés, il faut parfois expliquer que certaines informations doivent être transmises, avec leur accord, pour pouvoir faire avancer les choses.