Afin d’avoir une vision plus précise des causes des difficultés financières des services d’aide à domicile, Nora Berra, alors secrétaire d’Etat chargée des aînés, avait lancé en février 2010 trois groupes de travail, dont un s’intéressant aux questions de tarification et de solvabilisation de ces structures. Les conclusions des inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des finances (IGF), chargées de cette mission, viennent d’être rendues publiques (1).
Certes, admettent-elles, dans un contexte d’augmentation des besoins des personnes âgées et de crise économique, « le secteur des services d’aide à domicile à destination des publics fragiles fait face à des difficultés financières » (2). Les financeurs, et en particulier les conseils généraux, sont également fragilisés : le montant de leurs dépenses d’aides sociales est passé de 14,8 milliards d’euros en 1999 à 31,6 milliards en 2009, ce qui correspond environ à la moitié de leurs dépenses. Et, parmi elles, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap comptaient pour 12,3 milliards. Pour les auteurs du rapport, les difficultés des services d’aide à domicile sont surtout liées à leurs charges, notamment celles relatives au personnel, au niveau de tarification qui ne couvre pas le coût de revient des structures ainsi qu’aux caractéristiques du département et du territoire sur lequel ils interviennent (géographie, niveau de vie de la population, situation financière du conseil général…).
L’IGAS et l’IGF constatent que la part des frais de personnel des services d’aide à domicile, quel que soit leur statut, est « de l’ordre de 80 à 90 % ». Cette situation tient notamment au niveau des rémunérations des intervenants salariés déterminé selon leur ancienneté et leur taux de qualification, ce dernier ayant un « impact financier particulièrement lourd pour les associations », qui sont tenues d’appliquer les grilles de rémunération des conventions collectives de la branche de l’aide à domicile (3). Autre poste important de dépenses : les heures non productives, c’est-à-dire toutes les heures rémunérées aux salariés qui ne sont pas réalisées sur le terrain auprès des usagers (temps de formation ou de réunion, heures programmées mais non réalisées en raison du décès du bénéficiaire…). Selon le rapport, elles représentent de 20 à 25 % du total des heures rémunérées. Quant aux frais de structure (frais d’administration, de gestion, d’encadrement…), le plus souvent sous surveillance des conseils généraux, ils sont de l’ordre de 20 à 25 %, et souvent moins importants dans les structures publiques dans la mesure où les collectivités locales auxquelles elles sont rattachées prennent en général une part importante de ces frais à leur charge.
Dans ce contexte, l’IGAS et l’IGF estiment que « les marges de manœuvre des services pour améliorer leur rentabilité et conserver ou retrouver un équilibre financier, si elles existent, demeurent limitées en dehors du poste “dépenses de personnel” ». Elles suggèrent donc que les services d’aide à domicile s’attachent « à une gestion optimisée de leurs plannings et à une adaptation de la structure de leurs effectifs à la nature de leur activité » (4). Cela devrait leur permettre, en particulier, de mieux gérer les interventions trop fractionnées et d’optimiser le temps de travail des salariés ou encore d’améliorer le rapport entre heures rémunérées et heures facturées. A ce titre, ajoutent les inspections générales, « la professionnalisation du secteur […] doit passer par la professionnalisation des fonctions d’administration des services [souvent assumées par des bénévoles] afin d’améliorer leur performance de gestion » ou encore par la mutualisation des fonctions supports et des personnels administratifs. En outre, les auteurs considèrent qu’il faut « une tarification différenciée selon la nature de la prestation assurée, en lien avec la qualification de l’intervenant » (voir ci-dessous), de façon à « inciter les services à rechercher une plus grande corrélation entre les besoins des personnes à prendre en charge et les ressources humaines à mobiliser. »
Plus globalement, le rapport suggère d’élaborer, sous l’égide de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, un « référentiel commun d’analyse de l’activité et des coûts de revient des services » afin de tendre vers une « harmonisation des pratiques au niveau national et de donner davantage de transparence aux procédures de tarification ». Un système qui permettrait en outre d’accélérer la convergence tarifaire entre services et de limiter à terme les écarts de tarification entre départements.
Selon l’IGAS et l’IGF, les règles de la tarification des services d’aide à domicile autorisés ne sont pas appliquées de façon uniforme, conduisant ainsi à des niveaux de tarification différents (de 13,05 €/h à 25,17 €/h). Autre problème : l’autorisation délivrée aux services se fait sur la base d’une prévision d’activité, ce qui entraîne une définition de moyens nécessaires et donc un coût de revient approximatifs. Aussi les inspections générales préconisent-elles d’« aller vers la contractualisation et [de] mieux corréler la tarification avec la nature des prestations », plutôt que de supprimer le régime de l’agrément au bénéfice du régime de l’autorisation ou inversement (5). En effet, expliquent-elles, considérant que les régimes de l’agrément et de l’autorisation sont d’application récente, un nouveau changement de cap paraît « difficilement envisageable et ne serait pas nécessairement de bonne administration ». Par ailleurs, « les récentes évolutions juridiques confortent, dans l’immédiat, les deux régimes ». Rappelons en effet que la loi « HPST » du 21 juillet 2009 a confirmé le principe de l’autorisation, en instaurant la procédure d’autorisation par appel à projet (6), opposée à celle de l’autorisation « allégée ». Mais il convient de « faire évoluer rapidement les procédures avec, d’une part, une procédure d’autorisation/tarification pour les seuls services ayant été retenus suite à un appel à projet et, d’autre part, une procédure simplifiée unique, hors tarification », estiment l’IGAS et l’IGF. Quoi qu’il en soit, les règles de procédure d’autorisation/tarification devront à terme évoluer au regard de la directive européenne « services », cette procédure ne légitimant pas, du point de vue du droit européen, l’octroi d’aides publiques à un établissement ou service.
Enfin, actuellement, il existe une triple tarification horaire par service en fonction du niveau de qualification (aides et employés à domicile, auxiliaires de vie sociale et techniciens de l’intervention sociale et familiale). « Ce système n’est pas appliqué, notent les inspections générales, un seul tarif étant en pratique fixé pour chaque service autorisé, qui reflète dès lors son prix de revient moyen ». Elles suggèrent donc de « mieux articuler les dispositifs de financement en diversifiant les tarifs par nature d’intervention », en instaurant un tarif « aides à la personne » et un tarif « aides à l’environnement ». Un système qui permettrait aussi de mieux articuler le dispositif de l’APA ouvert aux personnes des groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4 (les plus dépendantes) et les dispositifs d’aide ménagère ouverts aux personnes des GIR 5 et 6.
La prise en charge des personnes âgées dépendantes dans le cadre de l’APA est aujourd’hui fonction de leur niveau de dépendance et de leur revenu. En outre, le volume d’heures est pris en charge suivant le tarif du service ou de la personne qui assure l’aide à domicile, lui-même variable selon que l’intervention est réalisée en mode prestataire, mandataire ou de gré à gré. La prestation n’est donc pas de même niveau ou bien, pour un même niveau de prestation, le coût de la prise en charge pour la collectivité et le bénéficiaire n’est pas le même. Aussi l’IGAS et l’IGF préconisent-elles de « faire évoluer les règles de solvabilisation [des besoins des personnes âgées] afin d’ajuster au mieux le niveau de la prise en charge avec les besoins effectifs des personnes et leurs capacités contributives ». Un constat qui conforte l’idée de créer des tarifs « aides à la personne » et « aides à l’environnement ».
Au-delà, l’IGAS critique une nouvelle fois le contrôle d’effectivité de l’APA (7), qui, selon elle, « doit encore progresser et être conçu comme une partie intégrante d’un contrôle de la qualité des prestations ». En la matière, certains conseils généraux ont développé des outils de contrôle tels que l’échange de fichiers dématérialisés, le chèque emploi-service universel préfinancé ou la télégestion. « Leur déploiement […] mérite d’être développé et soutenu », soulignent les auteurs.
(1) Mission relative aux questions de tarification et de solvabilisation des services d’aide à domicile en direction des publics fragiles – Octobre 2010 – Disponible sur
(2) Les auteurs rapportent que, selon les professionnels du secteur, « une centaine de structures, représentant 60 000 personnes aidées, se sont déclarées en cessation de paiement […], des chiffres probablement appelés à augmenter en 2010 ». Ajoutant que, fin 2009, plus de 11 500 emplois avaient été détruits.
(3) Par exemple, pour les salariés relevant de la convention collective des organismes d’aide ou de maintien à domicile du 11 mai 1983, à ancienneté identique de dix ans, la différence est de 4 341,12 € par an entre des agents de catégorie A et C pour la rémunération de base.
(4) Dans ce cadre, considèrent les inspections générales, « la signature d’un contrat avec les usagers est de nature à optimiser l’élaboration des plannings et à minimiser les conséquences financières d’événements non prévus qui viennent les bouleverser ».
(5) Dans un rapport de juillet 2009, l’IGAS avait pourtant suggéré de privilégier le régime de l’agrément – Voir ASH n° 2628 du 16-10-09, p. 12.
(7) Dans un précédent rapport, l’IGAS avait déjà critiqué la mauvaise gestion de l’APA – Voir en dernier lieu ASH n° 2674 du 17-09-10, p. 10.