C’est à l’unanimité et contre l’avis du gouvernement que le Sénat a adopté le 25 janvier, en première lecture, une proposition de loi visant à diminuer les peines infligées aux « personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits ». Présentée par Jean-René Lecerf (UMP), Gilbert Barbier (RDSE, à majorité radicaux de gauche) et Christiane Demontès (PS), la proposition de loi s’inspire très largement des travaux d’un groupe de travail du Sénat qui avait dressé un constat accablant (1) : plus d’un tiers des détenus souffriraient de troubles psychologiques, et un sur dix, de troubles très graves, au point que leur incarcération fait perdre tout sens à la peine. Une situation qui s’explique par la réduction des capacités d’hospitalisation en psychiatrie générale ou encore par l’absence d’alternative… mais qui trouve également ses racines dans le code pénal. En conséquence, la proposition de loi entend aujourd’hui en modifier certaines dispositions.
Au cœur du problème : l’article 122-1 du code pénal, qui opère une distinction entre l’abolition et l’altération du discernement en raison d’un trouble mental. Dans le premier cas – « personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » –, l’auteur de l’infraction n’est pas pénalement responsable. Dans le second – « personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes », l’intéressé est punissable… mais doit toutefois bénéficier d’un régime particulier, la juridiction devant tenir compte de la circonstance liée à l’altération du discernement dans la détermination de la peine et de son régime. En principe, explique l’exposé des motifs, cela « devrait être dans le sens, d’une part, de la réduction de la peine prononcée et, d’autre part, de son adaptation sous la forme, par exemple, d’un sursis avec mise à l’épreuve ». Or, en réalité, il en est tout autrement. Au contraire, l’altération du discernement conduit le plus souvent à une aggravation de la peine prononcée, en particulier en matière criminelle, les jurés ayant tendance à condamner plus lourdement les personnes atteintes de troubles mentaux. La proposition de loi prévoit par conséquent de réduire d’un tiers le quantum de peine privative de liberté en cas d’altération du discernement. Il appartiendrait, en tout état de cause, à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, « la durée la plus appropriée en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante, plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération », précise l’exposé des motifs. En outre, si un sursis avec mise à l’épreuve était ordonné, il devrait nécessairement comporter une obligation de soins, après avis médical et sauf décision contraire de la juridiction, indique la proposition de loi.
A noter : en matière criminelle, le texte adopté par les sénateurs prévoit que, en cas de culpabilité d’une personne et juste avant que les jurés ne débattent de la peine à infliger au coupable, le président de la cour d’assises leur donne lecture des nouvelles dispositions relatives à l’atténuation de la peine en cas d’altération du discernement au moment des faits.
Le code de procédure pénale prévoit actuellement deux dispositifs de réduction de peine : un crédit de peine dit « automatique », calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année et de deux mois pour les années suivantes ; et un crédit de réduction supplémentaire de peine accordé par le juge de l’application des peines (JAP) pour les « condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale ». La proposition de loi prévoit d’autoriser le JAP à retirer une partie des réductions de peine et à rejeter des réductions de peine supplémentaires lorsque la personne dont le discernement était altéré au moment des faits refuse les soins qui lui sont proposés. Le retrait serait plus précisément facultatif s’agissant du crédit de réduction de peine « automatique » tandis qu’il s’agirait d’un rejet de principe – après, toutefois, avis médical et sauf décision contraire du juge – s’agissant de la réduction supplémentaire de peine.
Si la proposition de loi était adoptée définitivement en l’état, le JAP pourrait, à leur libération, imposer aux personnes dont le discernement était altéré au moment des faits une obligation de soins ainsi que les mesures de sûreté introduites par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental pour les personnes reconnues irresponsables (interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction ou certaines personnes ou certaines catégories de personnes spécialement désignées, interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné, etc.) (2). Il appartiendrait au JAP de fixer leur durée d’application, qui ne pourrait excéder dix ans en matière correctionnelle et 20 ans si les faits constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Les interdictions ne pourraient, en outre, être prononcées qu’après une expertise psychiatrique et ne devraient pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l’objet. Par ailleurs, si la personne devait être hospitalisée d’office, les interdictions dont elle fait l’objet resteraient applicables pendant la durée de l’hospitalisation et se poursuivraient après sa levée.
Autre nouveauté : l’intéressé pourrait demander au juge des libertés et de la détention du lieu de la situation de l’établissement hospitalier ou de son domicile d’ordonner la modification ou la levée de l’obligation de soins ou des interdictions prononcées contre lui, levée qui ne pourrait toutefois être décidée qu’au vu du résultat d’une expertise psychiatrique. Enfin, la méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet d’une de ces mesures serait passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.