Prolonger les « assises nationales de la protection de l’enfance » organisées les 28 et 29 juin dernier (1) en traduisant « les inquiétudes et les appels des professionnels pour nourrir le débat et alerter les pouvoirs publics ». C’est, selon Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), organisateur de ces assises avec le Journal de l’action sociale et le conseil général des Bouches-du-Rhône, l’objectif du manifeste rendu public le 18 janvier avec l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) et l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES). A l’issue de la manifestation de Marseille, les organisateurs se sont attachés à extraire « la substance » des attentes des acteurs dans un texte qui a ensuite été soumis aux associations de professionnels, aux organisations partenaires des assises et à un panel de 500 participants. Malgré les récentes évolutions législatives et les six milliards d’euros dépensés par les départements (en 2009) selon l’ODAS, « la protection de l’enfance semble être aujourd’hui un enjeu de second plan pour les pouvoirs publics », déplorent les initiateurs de cette démarche. Le contexte conduit à six constats, résume Didier Lesueur, directeur général adjoint de l’ODAS : « Un déficit d’évaluation en matière de prise en charge, une insuffisance dans la formation, le poids des normes sur les conditions d’exercice des professionnels, la nécessité de sanctuariser les moyens, de développer l’innovation et de décloisonner les institutions et les champs de compétence. » Décliné en 11 points, le manifeste insiste notamment sur le rôle de la prévention, « mise à mal » dans un contexte politique privilégiant la logique répressive, « où tout le travail qui peut être effectué en amont se délite », souligne Françoise Léglise, présidente de l’ANAS.
Parmi ses revendications, dont la plupart sont portées de longue date par les associations, le manifeste prône de « s’engager dans une approche rénovée de la relation aux familles » afin d’aboutir à une « véritable co-construction des réponses ». Le texte recommande aussi de « prendre davantage en considération l’interaction entre l’environnement et la famille », ce qui nécessite « une plus forte implication territoriale ». Il préconise de renforcer la formation initiale et continue pour promouvoir une culture professionnelle spécifique à la protection de l’enfance, tant sur l’analyse des pratiques et des situations qu’en matière de partenariat. « Sur cette question, les enjeux sont fortement liés aux financements, pointe Jean-Marie Vauchez, président de l’ONES. Il est ressorti de la conférence nationale des formations sociales d’octobre dernier [2] que le temps d’attente pour obtenir un congé individuel de formation est de sept à huit ans ! »
Le manifeste plaide également pour la rénovation « en profondeur de l’accueil en établissement », notamment pour favoriser l’émergence de microstructures, la créativité ou encore « l’assimilation collective de valeurs partagées pour renforcer la cohérence de l’acte éducatif » et, en particulier, éviter les ruptures dans la prise en charge. Il attend, par ailleurs, que soit donnée « une réelle impulsion à la dimension stratégique du travail social » en termes d’observation, d’évaluation, d’animation et de développement du territoire. Autre souhait : « veiller à une plus grande cohérence de la décision publique qui désoriente de plus en plus le travail social par l’accumulation d’injonctions politiques et stratégiques contradictoires prônant tout à la fois l’accroissement des tâches administratives et le retour sur le terrain auprès des familles ». Des repères devraient également être proposés aux professionnels pour permettre l’interprétation des normes et faciliter « la prise de risque ». « La part d’aventure, d’engagement des professionnels, est sans cesse contredite par les normes régissant les activités et les heures de travail », relève ainsi Jean-Marie Vauchez, même si, selon la taille des structures et leur capacité à porter des projets, les marges de manœuvre sont toujours possibles. Par ailleurs, ajoute-t-il, tous les établissements du champ de la protection de l’enfance sont loin d’avoir absorbé l’ensemble des outils de la loi 2002-2, dont certains posent des problèmes de cohérence : « Le contrat de séjour et le projet personnalisé entrent en contradiction avec la logique de placement judiciaire, ce qui entraîne des difficultés supplémentaires pour les professionnels qui doivent se les approprier, à condition d’avoir du temps et des moyens. »
Le manifeste demande enfin que le dispositif d’observation issu de la loi du 5 mars 2007 ait comme première finalité « d’améliorer les orientations stratégiques et les modes d’intervention », de « penser la protection de l’enfance » en impliquant toutes les politiques publiques, de « donner une nouvelle impulsion au partenariat » et de sensibiliser l’opinion publique sur l’importance « d’une forte implication de toute la société » sur la question de l’enfance.
Le texte devrait être adressé aux conseils généraux, aux professionnels par le biais des associations, au Parlement et au gouvernement. Mais, pointe Didier Lesueur, il se veut davantage un outil de mobilisation pour « changer de posture » qu’un plaidoyer en faveur de nouvelles modifications législatives.