Quel est le rôle de cette commission ?
Créée fin 2008, elle correspondait à la volonté du directeur de l’administration pénitentiaire de l’époque de s’approprier les règles pénitentiaires européennes (RPE) (3). Nous devions accompagner la phase d’expérimentation du processus de labellisation des « quartiers arrivants » dans les prisons au regard de ces règles et guider l’AFNOR – l’organisme chargé de labelliser – dans sa découverte de l’univers carcéral. Notre commission, composée de 12 membres d’origines diverses (un procureur, deux magistrats du siège, deux universitaires, un aumônier national exerçant en prison, un directeur d’établissement…), était indépendante dans son fonctionnement. Une fois l’expérimentation terminée, elle s’est vue rattachée à l’état-major de sécurité (EMS), une sous-direction de l’administration pénitentiaire (4).
Qu’est-ce que cela a changé ?
Cela a fait disparaître l’affichage explicite des règles européennes pénitentiaires au sein de l’administration. Jusqu’alors, le rattachement de la mission au directeur de l’administration pénitentiaire témoignait de l’importance accordée par l’administration à ces règles. Maintenant, les RPE ont disparu de l’organigramme et elles risquent d’être enterrées à petit feu ! Pour justifier cette évolution, l’administration invoque le fait que ces règles sont aujourd’hui intégrées dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et donc « banalisées ». C’est une vision à court terme car on ne peut pas dire que les règles européennes soient complètement appliquées aujourd’hui ! A ce jour, seulement 57 établissements sur les plus de 180 ont été labellisés (5), et encore, uniquement sur la phase d’accueil du détenu ! Il reste un long chemin à parcourir pour que le droit français puisse se prévaloir d’une conformité aux règles européennes. En brandissant le nombre d’établissements labellisés, l’administration pénitentiaire privilégie une politique du chiffre au détriment de l’évaluation des pratiques professionnelles. Une telle évolution ne correspond pas à l’ambition initiale de notre commission.
Vous dénoncez également une reprise en main par l’administration pénitentiaire…
Oui. Le processus de labellisation se généralisant, il a fallu nommer un rapporteur pour la commission. Or l’administration pénitentiaire a placé un fonctionnaire pénitentiaire non pas à la disposition de la commission comme cela était prévu initialement, mais en lien direct avec l’état-major de sécurité, ce qui a mis son indépendance en péril. Nous avons du coup perdu aussi la maîtrise de l’ordre du jour de la commission. Enfin, on nous a demandé de faire des « propositions opérationnelles » très concrètes, ce qui n’était pas prévu au départ. Constituée de personnalités extérieures à l’administration pénitentiaire, notre commission avait davantage pour vocation d’interroger l’approche de la mise en œuvre des règles européennes, à la fois en ouvrant des pistes de réflexion sur la question et en mettant en garde contre leurs possibles effets pervers. Nous avions une vision d’ensemble du processus.
Sur quels plans espériez-vous pouvoir agir ?
Quand la commission s’est créée, nous espérions qu’à l’avenir, au-delà de la seule procédure d’accueil, la labellisation allait toucher d’autres domaines comme par exemple l’expression collective des détenus, qui est loin d’être respectée. Il y aussi beaucoup à faire en matière de professionnalisation des personnels des prisons.
(1) Interrogée pa les ASH, l’administration pénitentiaire fait état de son « étonnement » et impute cette décision « plus à des incompréhensions qu’à des différences réelles de conception ».
(2) Egalement enseignant-chercheur et spécialiste du droit de la prison.
(3) Adoptées en 1973, puis révisées en 1987 et en 2006, les 108 règles pénitentiaires européennes portent à la fois sur les droits fondamentaux des détenus, les régimes de détention, la santé, l’ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, le personnel, l’inspection et le contrôle des prisons.
(4) Chargée d’élaborer et de veiller à la mise en œuvre des politiques visant à assurer la sécurité des personnels, ainsi que des établissements et des services.
(5) L’administration pénitentiaire précise que 66 sites sont labellisés et que 130 le seront d’ici à fin 2011.