Dans un arrêt du 15 décembre dernier, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de recrutement d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS) présentée par les parents d’un jeune enfant handicapé scolarisé en maternelle. Cette décision, largement motivée par des circonstances de fait, ne remet néanmoins pas en cause le droit à l’éducation et à une formation scolaire adaptée des enfants handicapés. Elle apporte au contraire plusieurs précisions sur l’étendue et la nature de ce droit.
Dans cette affaire, un enfant en situation de handicap a fait l’objet le 12 décembre 2008, alors qu’il était âgé de 3 ans, d’un accord de la commission départementale des droits et de l’autonomie des personnes handicapées des Bouches-du-Rhône pour l’intervention d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS) 12 heures par semaine pour permettre sa scolarisation en classe de maternelle d’une école primaire privée à Marseille. En dernier lieu, une auxiliaire avait été recrutée pour l’assister à compter du 1er octobre 2010. Cette personne ayant démissionné et l’administration n’ayant pu lui trouver un remplaçant, il n’a plus bénéficié d’assistance depuis la rentrée des vacances de la Toussaint. Il est toutefois demeuré scolarisé en dépit de « conditions difficiles ». Les parents ont saisi en urgence le juge des référés du tribunal administratif de Marseille. Celui-ci a enjoint au ministre de l’Education nationale d’affecter un nouvel AVS.
Le ministère a saisi le Conseil d’Etat pour faire annuler cette décision. Il soutient que la condition d’urgence justifiant le recours au juge des référés n’est pas remplie (1). En effet, selon lui, dès lors que l’enfant reste scolarisé, son droit à l’éducation n’est pas méconnu. La démission de l’AVS ne l’a pas empêché de poursuivre une scolarisation effective. De plus, le droit à l’éducation n’a pas été reconnu par la jurisprudence comme une liberté fondamentale et, si tel était le cas, il n’inclurait pas le droit à l’éducation avant l’âge de la scolarité obligatoire et n’aurait pas nécessairement pour corollaire un droit à la scolarisation. Ce n’est qu’à la suite d’un concours de circonstances que la décision de la commission des droits et de l’autonomie n’a plus été provisoirement exécutée, de sorte qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale n’est caractérisée, argumente encore le ministère.
Pour les parents, qui demandent à la Haute Juridiction de rejeter le recours du ministre, le refus persistant de l’Etat d’affecter un AVS à leur enfant constitue bien une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l’éducation. Selon eux, l’urgence est caractérisée dès lors qu’en l’absence d’assistance de l’enfant, le déroulement des cours auxquels il participe se trouve gravement perturbé. Ils craignent de ce fait que le directeur de l’école soit contraint de le déscolariser à bref délai au motif que l’absence d’AVS met en péril la sécurité de leur enfant et de ses camarades.
Ayant considéré les arguments des deux parties, le Conseil d’Etat tranche en faveur de l’Etat. Certes, il incombe à l’administration de prendre toutes dispositions pour que l’enfant bénéficie d’une scolarisation au moins équivalente, compte tenu de ses besoins propres, à celle dispensée aux autres enfants, indique-t-il dans un premier temps. Toutefois, les circonstances de cette affaire ne permettent pas de caractériser, contrairement à ce qu’a décidé le juge des référés, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant son intervention. Le Conseil d’Etat n’a donc pas estimé nécessaire de se prononcer sur la condition d’urgence.
La Haute Juridiction revient sur l’argument de l’Etat excluant le droit à l’éducation avant l’âge de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire 6 ans. Sans se prononcer directement, elle rappelle les règles applicables en la matière, prévues par le code de l’éducation. Ainsi, l’article L. 113-1 de ce code prévoit que, si la famille en fait la demande, l’accueil des enfants doit être assuré dès l’âge de 3 ans dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile. L’article L. 112-1 du même code précise en outre que la formation scolaire adaptée qu’il prévoit pour les enfants handicapés doit être entreprise avant l’âge de la scolarité obligatoire si la famille en fait la demande. Ce rappel de la législation devrait permettre d’unifier la jurisprudence des cours administratives d’appel (2).
La privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un handicap, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarité ou d’une formation scolaire adaptée est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, pouvant justifier l’intervention du juge des référés, décide le Conseil d’Etat. Toutefois, précise-t-il, encore faut-il qu’une urgence particulière rende nécessaire une mesure de sauvegarde dans les 48 heures. Autre précision importante apportée par les hauts magistrats : le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte de l’âge de l’enfant et des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente au regard des moyens dont elle dispose.
(1) Les conditions de recours au juge des référés administratif sont fixées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Selon ce texte, « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures. »
(2) Rappelons en effet que sur cette question, les magistrats de la cour administrative d’appel de Cergy-Pontoise ont tranché en faveur d’un droit à la scolarisation applicable dès la maternelle en 2008 tandis que leurs homologues de Versailles se sont prononcés dans le sens contraire en 2010 – Voir ASH n° 2661 du 28-05-10, p. 42 et n° 2673 du 10-09-10, p. 6.