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Prélude d’une nouvelle vie

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A l’Institut protestant de Saverdun, dans l’Ariège, sont pris en charge près de 60 jeunes migrants qui ont fui la guerre ou la misère. Là, grâce à un accueil à la fois éducatif et psychologique, ils peuvent se reconstruire et élaborer un projet de vie, en assimilant la langue et la culture françaises, en trouvant leur voie professionnelle et en régularisant leur situation administrative.

A Saverdun (Ariège), on reconnaît de loin l’Institut protestant (1), avec son allée de pins parasols – l’arbre symbole du refuge pour les protestants pourchassés durant les guerres de religion. Ouvert en 1839 afin de recueillir les orphelins protestants et de leur offrir une formation agricole, ce lieu est désormais une maison d’enfants à caractère social (MECS) spécialisée dans l’accueil des mineurs isolés étrangers. Une équipe de 73 personnes (dont 31 équivalents temps plein éducatifs) y accueille une soixantaine de jeunes âgés de 10 à 21 ans, issus de pays où sévissent la guerre ou la misère. Arrivés sur le territoire français, comme 3 000 autres enfants chaque année, ils sont envoyés ici par l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Paris, du Haut-Rhin ou de l’Ariège (voir encadré page 32).

Ali est de ceux-là. Arrivé seul il y a trois ans des montagnes d’Afghanistan sans avoir connu l’école, ce jeune berger de 19 ans a brillamment réussi son CAP de boulanger-pâtissier. Le pâtissier de Foix qui l’a pris en apprentissage veut d’ailleurs faire de lui son successeur. Comme Ali, les jeunes migrants trouvent au pied des Pyrénées un havre où poser leur sac, panser leurs plaies et se reconstruire. Ils apprennent le français et bâtissent un projet professionnel, un projet de vie, afin de trouver une place sur leur terre d’accueil. « A leur arrivée, ils souffrent de traumatismes psychiques, de déracinement culturel, d’inadaptation sociale, et peuvent aussi avoir une problématique psychiatrique, explique Isabelle Franc, chef du service éducatif depuis 1998. Très souvent, ils arrivent grâce à des passeurs qui ruinent leur famille, après un voyage très difficile pendant lequel ils ont parfois été séquestrés des mois durant. Au début de leur séjour chez nous, certains mettent une armoire devant la porte la nuit ou dorment avec la lumière allumée… »

Pour répondre à ces difficultés, « notre premier travail est de les rassurer, de les mettre en confiance, sinon ils ne pourront pas se projeter dans l’avenir car le traumatisme fait écran à leur capacité de penser », détaille Isabelle Franc. Trois à six mois leur sont nécessaires pour se poser, comprendre le vocabulaire de base et le rôle de chacun dans l’institution. « Quand ils arrivent, certains mineurs sont en grande détresse et en grande insécurité, complète Nicolas Männlein, éducateur technique spécialisé. Nous essayons de tisser du lien avec eux, ce qui peut prendre plusieurs mois pour des jeunes qui ont erré parfois pendant des années, ont d’importants problèmes d’hygiène, certains ne sachant pas se servir de couverts ou de papier-toilette. Ils doivent aussi réapprendre la socialisation avec l’autre. » Toute l’équipe, éducateurs, psychologue et enseignants, mais aussi femmes de ménage et cuisiniers, concourt à leur redonner confiance en l’adulte.

Une fois ce premier objectif atteint, tout peut aller très vite. « Au bout de six mois, ils sont prêts à apprendre et la progression peut être fulgurante, observe la chef de service. Après un an, ils sont dans le circuit scolaire normal et, au bout de deux ans, dans un projet professionnel car, à 18 ans, ils ne dépendent plus de l’ASE mais de la législation sur l’immigration. » Une course contre la montre difficile à vivre pour les enseignants de français langue étrangère (FLE) ou la psychologue. « Il y a des entrées et sorties permanentes, explique Marie-Christine Walter, l’un des trois professeurs de FLE. Un jeune Afghan est arrivé il y a deux jours. Aujourd’hui, ce sont une Congolaise et un Angolais. Il faut s’adapter sans cesse ! Certains peuvent rester un an, d’autres un mois ou une semaine… On doit leur apprendre très vite la langue car, après 16 ans, ils doivent être inscrits dans un établissement de l’Education nationale pour des questions de papiers. » Malgré cette pression, l’institut essaie de les accompagner au maximum vers une insertion sociale et professionnelle. « Nos trois objectifs pour ces jeunes sont l’apprentissage du français et la découverte professionnelle, l’acquisition d’une autonomie suffisante pour une intégration sociale et la régularisation administrative », explique Simon Sire, directeur de l’Institut protestant depuis le début de 2010.

L’accès à la nationalité entravé

Des objectifs atteints par la plupart des jeunes, avec cependant des difficultés croissantes de régularisation administrative depuis 2003, en raison du vote de lois plus restrictives sur l’accueil des étrangers en France. « L’accès à la nationalité de nos jeunes d’Ariège est passé de 40 % à 17 %, à cause de blocages administratifs absurdes », déplore le directeur. L’âge d’entrée sur le territoire est déterminant au regard de leur statut. En effet, s’ils ont été pris en charge pendant au moins trois ans par l’ASE avant leurs 18 ans, les mineurs étrangers peuvent engager une procédure de déclaration de nationalité avant leur majorité. S’ils sont confiés à l’ASE avant leurs 16 ans, ils bénéficient de plein droit d’un titre de séjour de un an renouvelable. En revanche, s’ils entrent en France après 16 ans, la décision est laissée au pouvoir discrétionnaire du préfet, le juge administratif pouvant néanmoins être saisi (2). Autre problème : depuis janvier 2010, les employeurs des jeunes placés en apprentissage doivent payer à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) une taxe de 900 € pour l’emploi de travailleurs étrangers sur une durée égale ou supérieure à douze mois et pour un salaire égal ou inférieur à 1,5 fois le SMIC. Il en résulte des difficultés accrues pour trouver des places en apprentissage pour les jeunes de l’Institut protestant.

L’accompagnement vers l’autonomie se fait progressivement. A leur arrivée, les non-francophones suivent sur place des cours de FLE et sont logés dans l’un des quatre confortables pavillons de neuf places, dont un réservé aux plus jeunes. Quelques mois plus tard, lorsqu’ils sont en cours d’insertion scolaire et professionnelle, ceux qui sont capables de se prendre en charge rejoignent un autre pavillon où ils vivent en semi-autonomie. Enfin, ils partent habiter en studio, seuls ou à deux, près de leur lieu d’apprentissage ou de travail, jusqu’à la fin de leur prise en charge, qui a lieu entre 18 et 21 ans selon qu’ils signent ou non un contrat jeune majeur avec l’ASE.

Le sésame de la langue

Le FLE est une étape incontournable car la plupart ne parlent pas français. Marie-Christine Walter enseigne aux débutants complets, pas ou peu scolarisés dans leur pays d’origine. « Comme ils ont vécu des conditions éprouvantes, il est très important de les sécuriser et de les valoriser, souligne-t-elle. Avec une bonne relation psychoaffective, on obtient des résultats exceptionnels. » L’enseignante utilise la méthode de Caleb Gattegno, qui associe les sons à des couleurs afin d’aider l’élève à s’approprier la langue. Outre les 18 heures hebdomadaires de FLE, les mineurs pratiquent deux jours par semaine le français en situation, dans des ateliers professionnels (mécanique, bâtiment, couture et composition florale, service et restauration). Le jour de notre visite, deux adolescents de 14 et 15 ans, afghan et indien, préparaient la table pour un repas où serait reçu le préfet, sous la direction bienveillante de l’éducatrice d’atelier Elena Männlein. « Les objectifs de ces ateliers sont la découverte professionnelle et l’apprentissage des bons comportements comme la ponctualité, la politesse, l’hygiène, explique cette Colombienne, arrivée elle-même en France il y a six ans, mais aussi l’apprentissage de la langue, de la culture et des codes sociaux : s’asseoir correctement, mettre la table, tenir ses couverts… »

Après le FLE, les élèves intègrent rapidement un établissement de l’Education nationale en passant par le centre d’information et d’orientation chargé de les évaluer et de les orienter. Cet impératif de scolarisation rapide, lié à des raisons de régularisation administrative, est cependant parfois difficile à vivre. « Ce n’est pas évident quand ils ne parlent pas encore bien, explique Marjorie Rubinraut, éducatrice au pavillon1. C’est pour cela que nous privilégions, au collège, les cours qui favorisent la socialisation comme le sport ou le dessin, et que nous évitons les cours pointus comme la chimie. »

Dans chaque pavillon, les jeunes apprennent à cohabiter malgré leurs différences de langue, de culture et de religion. Le jeune Afghan de l’atelier vit avec deux Pakistanais, une Haïtienne, un Sri-Lankais, un Chinois, un Sénégalais, un Ivoirien et un Mauritanien. Les repas concoctés par la cuisine centrale sont, autant que possible, adaptés aux régimes spécifiques de chacun. « Nous montrons que les communautés peuvent vivre ensemble en harmonie », souligne Isabelle Franc. Deux éducateurs spécialisés, deux moniteurs-éducateurs et des stagiaires éducateurs se relaient dans chaque pavillon sur les tranches horaires de 6 h 30-14 heures et de 14 heures-22 h 30. Entre 22 h 30 et 6 h 30, deux éducateurs de nuit se partagent la surveillance des cinq pavillons. Lorsque les jeunes sont en formation ou au travail dans la journée, les éducateurs effectuent les tâches administratives indispensables pour les deux ou trois mineurs dont ils sont référents : renouvellement de couverture maladie universelle, autorisations de sortie, régularisation administrative, relations avec les établissements scolaires ou les employeurs, organisation des vacances… Après le collège, l’apprentissage est privilégié par 60 % des jeunes car il permet de gagner un peu d’argent, indispensable pour ceux qui doivent rembourser leur voyage ou envoyer de l’argent au pays. Des économies qui leur seront également utiles pour leur future installation en appartement.

En effet, plusieurs dizaines de jeunes vivent à l’extérieur de l’institution, suivis par une équipe éducative chargée de les accompagner vers une vie complètement autonome. Les éducateurs apportent leur aide pour la location de studios, grâce à un réseau de propriétaires et d’agences immobilières. Ils assistent aussi les jeunes dans la recherche d’un premier emploi, pour l’ouverture d’un compte en banque, la régularisation de leur situation ou la signature éventuelle d’un contrat jeune majeur avec l’aide sociale à l’enfance. « Ces jeunes sont plus motivés que ceux pris en charge d’habitude par l’ASE », remarque Patricia Nguyen, l’une des trois éducatrices du service appartements. De fait, les mineurs isolés étrangers ne présentent généralement pas les problèmes de comportement que l’on peut observer habituellement dans les MECS. « On arrive à construire un projet avec chacun d’entre eux, confirme Nicolas Männlein, qui a été éducateur en pavillon pendant quatre ans. Ils sont dans une démarche positive. Ils savent ce qu’ils veulent et comprennent rapidement que c’est en respectant le cadre proposé qu’ils pourront réussir leurs études, travailler et avoir leurs papiers. »

Des réussites stimulantes

La rencontre avec la psychologue de l’institution fait partie aussi du processus d’accueil, même si la demande de soins émane rarement de ces adolescents, qui souffrent pourtant de nombreux troubles liés à l’exil (anxiété, troubles du sommeil, maux de ventre, fatigue, sentiment d’incapacité, etc.). Laurence Rodriguez, psychologue à Saverdun depuis 2001, doit donc adapter sa pratique en permanence : rencontrer les jeunes directement sur les pavillons, se présenter à eux en cours de FLE, proposer un travail de groupe à ceux qui sont réfractaires à la relation duelle, mettre en place des relations médiatisées autour de livres, d’Internet… Pour leur permettre de s’exprimer dans leur langue maternelle, elle fait appel à des interprètes qu’elle contacte par téléphone. Elle s’attache aussi à connaître les pays dans lesquels ils ont vécu, pour replacer leurs paroles dans un cadre social, culturel et politique. Et, surtout, elle leur laisse le temps. « Ils ont éprouvé des souffrances. Ils sont vulnérables car coupés de leurs références familiales et sociales, de leurs valeurs, de leurs repères temporels et sensoriels, analyse cette petite-fille de républicains espagnols. C’est pourquoi je leur offre un espace de parole libre, sans jamais les obliger à s’exprimer. C’est un apprivoisement progressif. J’avance tout doucement, à leur rythme. »

Avec un adolescent angolais traumatisé par la guerre, elle a eu ainsi pendant deux mois des rencontres fugitives dans l’allée de pins parasols avant de pouvoir mettre en place des rendez-vous réguliers. « Quand le jeune est apprivoisé, on peut commencer un travail thérapeutique intéressant, et indispensable pour bâtir un projet d’insertion durable, poursuit-elle. Si cela n’est pas fait, on aura beau travailler sur l’insertion professionnelle, ça ne marchera pas. Il y aura impasse, surtout pour ceux qui ont vécu des événements attaquant leurs fondements psychiques, comme de voir leurs parents assassinés. En revanche, si on prend le temps, ils pourront s’en sortir. »

La plupart des jeunes passés à Saverdun s’en sortent bien : 60 % obtiennent un diplôme et 7 % arrivent jusqu’au bac, voire au-delà. Jasmine, une Rwandaise arrivée il y a trois ans, suit même un cursus à l’Ecole supérieure de commerce de Toulouse. Parmi ceux qui n’ont pas décroché de diplôme, souvent du fait de la barrière de la langue, beaucoup réussissent toutefois à trouver du travail, excepté lorsque des troubles psychiatriques graves font obstacle à leur insertion professionnelle. Marie-Pierre Bigorre, éducatrice spécialisée à l’institut depuis 1994 et déléguée du personnel, est admirative de la détermination de ces jeunes migrants : « Malgré leurs parcours très durs, ils travaillent et fondent des familles. Ce sont des modèles d’intégration », souligne-t-elle, égrenant les histoires exemplaires. Comme celle de Liliana, une Angolaise orpheline arrivée à 15 ans avec son frère et sa nièce, qui est aujourd’hui élève à l’école d’infirmières de Toulouse. Ou Mossine, un Afghan de 18 ans arrivé voici deux ans sans connaître un mot de français, et qui, son CAP de chaudronnerie en poche avec les félicitations de l’équipe enseignante, va être embauché en CDI par une entreprise spécialisée de Saverdun.

Des bons résultats qui n’empêchent pas l’équipe de l’institut de mettre en place de nouvelles activités. Chargé auparavant de l’insertion professionnelle dans un centre éducatif fermé, Jean-Jacques Reverdy a été embauché en tant que chef de service pour développer de nouveaux projets. En septembre dernier, il a mis en place une auto-école solidaire au sein de l’établissement, de manière à aider les jeunes à passer leur permis. Il a également créé un service de location de scooters. Un dispositif qui devrait être complété par un volet de conduite accompagnée à partir de 16 ans. Quant au restaurant d’application, qui fonctionne actuellement une fois par semaine, il devrait devenir en 2012 un hôtel-restaurant pédagogique, avec pour objectif la délivrance d’un diplôme validé par l’AFPA. Un potager pédagogique devrait aussi voir le jour afin d’alimenter le restaurant.

POLÉMIQUE
Des mineurs qui coûtent cher ?

L’Institut protestant de Saverdun est doté d’un budget annuel de 3,4 millions d’euros, financé sur le système du prix de journée par les conseils généraux placeurs. Soit, entre 2002 et 2009, à 73,4 % par Paris, à 16,75 % par l’Ariège et à 9,85 % par le Bas-Rhin. Début 2010, il a été pris dans une polémique lancée par le président du conseil général de l’Ariège, le socialiste Augustin Bonrepaux. En effet, celui-ci estime que les mineurs isolés étrangers coûtent trop cher à un département pauvre comme le sien : 1,5 million d’euros, soit 12 % des crédits affectés à l’enfance et 1 % du budget total du conseil général (3). Il pointe également du doigt la mauvaise répartition de l’accueil de ces jeunes entre départements et juge qu’ils relèvent de la responsabilité de l’Etat. « Il regrettait aussi que le conseil général paie pour des personnes qui repartaient ensuite, souligne Nicolas Männlein, éducateur technique spécialisé à l’Institut protestant. Or, pour nous, ce n’est pas vrai. » En effet, 60 % des jeunes placés par l’ASE de l’Ariège à l’Institut protestant se seraient installés dans le département. C’est aussi le cas de certains mineurs placés par l’ASE de Paris. Une chance, selon lui, pour un département touché par l’exode rural.

Notes

(1) Institut protestant : hameau d’enfants de Jeanne-Petite – 09700 Saverdun – Tél. 05 61 60 30 02.

(2) Le projet de loi « relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité », actuellement en cours de discussion, prévoit la délivrance d’une carte de séjour pour les mineurs étrangers isolés confiés à l’ASE entre 16 et 18 ans à condition qu’ils aient suivi une formation sérieuse.

(3) L’aide sociale à l’enfance du département où le mineur isolé étranger a été au départ pris en charge paie pour lui le prix de journée jusqu’à ses 18 ans (ou ses 21 ans en cas de contrat jeune majeur).

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