Une « logique de pistage, de contrôle et de surveillance ». C’est en ces termes que le Syndicat national des assistants sociaux de l’Education nationale (Snasen) -UNSA et l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) analysent la proposition de loi relative « au suivi des enfants en danger par la transmission des informations », déposée il y a un an par Henriette Martinez (UMP, Hautes-Alpes) avec 47 autres députés. Adoptée le 21 décembre dernier par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, elle devrait être examinée en séance publique le 12 janvier. « Malgré l’évolution favorable de la loi et bien que le suivi des enfants en danger soit correctement assuré grâce à la transmission des informations par les cellules et à la coordination des professionnels de l’enfance au titre du secret professionnel partagé, il est regrettable que, lorsqu’une famille quitte un département pour un autre, les informations ne soient pas transmises au-delà de cette frontière administrative », a expliqué Henriette Martinez lors de l’examen en commission de sa proposition de loi, dont elle était aussi la rapporteure. Ainsi, a-t-elle précisé, « aucun suivi n’est possible lorsque la famille disparaît. Une famille peut ainsi quitter le département où elle réside lorsqu’elle se sent surveillée. » Une crainte exprimée également dans l’exposé des motifs du texte, selon lequel « certaines familles maltraitantes trouvent dans l’itinérance un moyen d’échapper aux services sociaux ».
La députée, qui juge insuffisante la possibilité ouverte à un département de procéder à un signalement national, a donc souhaité « donner au président du conseil général les moyens d’être véritablement le protecteur des enfants que la loi fait de lui et éviter de judiciariser toutes les affaires ». Selon la proposition de loi, qu’elle a amendée pour répondre à certaines observations, notamment de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Assemblée des départements de France, lorsqu’une famille déménage dans un autre département, le président du conseil général « assure sans délai la transmission à son homologue du département d’accueil de l’ensemble des informations concernant les enfants faisant l’objet d’une mesure éducative ou d’une enquête sociale ou concernés par une information préoccupante en cours d’évaluation ou de traitement ». Si le président du conseil général du département de départ ne dispose pas de la nouvelle adresse de la famille, « il saisit dans les meilleurs délais la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales compétentes, qui la lui communiquent dans un délai de dix jours et dans le respect des dispositions relatives au secret professionnel et en informe sans délai son homologue du département d’accueil ». A cette fin, « la caisse primaire d’assurance maladie peut accéder aux informations contenues dans le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l’assurance maladie visé à l’article L. 161-32 du code de la sécurité sociale ».
La députée des Hautes-Alpes rappelle avoir présenté cette réflexion au cours des « états généraux de l’enfance », organisés par le gouvernement et clos en juin dernier (1). Lors de leur lancement, l’atelier sur l’amélioration de la transmission d’informations relatives aux enfants en danger ou en risque de l’être, avec l’objectif maladroitement présenté « d’éviter que le nomadisme de certaines familles ne leur permette d’échapper au contrôle et à la surveillance des services sociaux », avait suscité un tollé des travailleurs sociaux (2). Pour le Snasen, la proposition de loi entretient la confusion. Si, selon le syndicat, elle n’instaure « rien de nouveau », « elle participe pourtant à cette idéologie ambiante que les familles doivent être surveillées, contrôlées, poursuivies… » En cas de maltraitance et de non-collaboration de la famille, « le conseil général et ses services signalent la mise en danger aux autorités judiciaires pour que soit ordonnée une mesure de protection de l’enfance qui se poursuivra quel que soit le lieu d’habitation du mineur et de sa famille, comme le légitime toute décision judiciaire », argumente l’organisation. En revanche, la décision administrative de protection de l’enfance relève « de la collaboration des familles qui sollicitent d’être soutenues et conseillées dans leur rôle éducatif ». Le principe qui préside au texte va donc à l’encontre de celui d’adhésion et de confiance nécessaire à l’accompagnement, renchérit Françoise Léglise, présidente de l’ANAS. « Et combien de familles maltraitantes cherchent réellement à échapper aux services sociaux ? En créant une loi pour des cas exceptionnels, on pointe aussi du doigt des parents qui déménagent pour trouver un logement ou un emploi. » En outre, ajoute-t-elle, la procédure proposée « risque d’être inapplicable au vu des lourdeurs administratives », alors que dans les faits, « le maillage autour de l’enfant se recrée » dans son nouveau lieu de résidence. Tandis que la proposition de loi prône une meilleure efficacité, les professionnels risquent de se sentir une nouvelle fois visés par un déficit de confiance.