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Quelle après-crise ?

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Voici un peu plus de deux ans qu’a éclaté la crise économique la plus violente depuis celle de 1929. Et déjà on se projette dans un avenir peint aux couleurs de l’espérance. Le discours ambiant est à la « sortie de crise », le moindre frémissement de la croissance et de l’emploi est jugé annonciateur de lendemains qui chantent, les oracles de ces Pythies des temps modernes que sont l’INSEE et Pôle emploi sont interprétés avec l’optimisme de la volonté, même les difficultés de l’euro sont vues comme un levier de croissance prometteur dès lors qu’elles le font baisser… Quant au bilan de la crise elle-même, on ne s’y attarde pas. Les deux « calamiteuses » n’auraient été qu’un mauvais moment à passer.

Le monde d’avant n’est pourtant pas prêt à revenir. L’onde de choc de la crise n’a pas fini de se faire sentir. Ceux qui sont aux avant-postes, les nouveaux hussards de la République, ces femmes et ces hommes de l’année que sont collectivement les travailleurs sociaux, grâce auxquels notre société n’a pas implosé, le savent mieux que quiconque : c’est maintenant que se font progressivement jour toutes les ruptures provoquées par la crise. Des dispositifs exceptionnels de soutien en ont pour partie amorti le choc immédiat, mais leur désarmement les uns après les autres laisse désormais à nu toutes les plaies. L’emploi perdu, le logement menacé, la pauvreté qui s’installe, l’éclatement familial et la solitude, cette spirale du pire est à l’œuvre, d’abord souterrainement, puis, en une sorte de sinistre épiphanie, de plus en plus visiblement. La demande de plus en plus forte d’aide alimentaire n’est que le révélateur inquiétant de ces trous noirs qui s’élargissent continûment dans le silence.

Ne nous y trompons donc pas : nous allons vivre longtemps sous l’ombre portée de la crise. Refuser de regarder en face cette réalité dérangeante, faire comme si notre société n’avait pas été ébranlée jusque dans ses tréfonds, se réfugier dans l’espoir que demain sera immédiatement meilleur n’est que le masque poli de l’indifférence aux enjeux essentiels qui se jouent en ce moment même : comment ne pas ériger la précarité en système de régulation sociale ? comment ne pas renvoyer l’individu à sa solitude ? comment empêcher qu’une personne ne soit jugée par principe responsable de ses échecs ? Ce sont les questions majeures de l’après-crise, auxquelles l’attentisme ne peut tenir lieu de réponse. Seule, en effet, une société rassemblée et soudée, qui refuse des injustices présentées comme des fatalités, reprendra confiance pour relever tous les défis de la mondialisation et saura trouver en elle-même les ressorts de volonté et d’espérance pour le nouvel élan qui s’impose à elle.

La priorité en cette période où tout se joue pour notre pays et pour notre destin collectif doit ainsi être sociale autant, sinon plus, qu’industrielle et économique. Il ne s’agit de rien d’autre que de refonder notre pacte social ou, plus exactement, de lui réassigner ses priorités. Il faut avoir le courage et la volonté, dans un contexte où le financement à crédit de notre Etat-providence n’est plus admissible, de le recentrer sur ceux qui sont les plus fragilisés et qui ont véritablement besoin d’être accompagnés, soutenus, aidés pour les re-lier à notre société. Nous connaissons depuis longtemps les insuffisances de notre système de protection sociale, dont la générosité ne va pas toujours vers ceux qui sont le plus en difficulté. La crise les a accusées encore. C’est particulièrement clair en matière d’emploi. Ainsi, les conventions de reclassement personnalisé et les contrats de transition professionnelle ont bénéficié à un nombre très limité de salariés menacés par un licenciement économique qui ont disposé d’un niveau d’indemnisation exceptionnel et d’un accompagnement privilégié, quand aucun dispositif spécifique n’a été ouvert aux intérimaires et aux précaires qui ont été, et de loin, les premières et principales victimes de la crise.

Un même constat de priorité inversée peut être fait en matière de logement : malgré les besoins considérables en logements sociaux supplémentaires, les opérations de rénovation urbaine ont mobilisé des budgets complémentaires sur des démolitions-reconstructions qui, certes, vont substantiellement améliorer à terme la qualité de vie des locataires en place, mais n’aboutissent qu’à peu de logements en plus. Et que dire de notre système de sécurité sociale, dont les modalités de financement et les prestations peuvent parfois aboutir à une redistribution à l’envers ?

Au moment où allait s’achever la Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la résistance, dans le pluralisme de sa composition, avait défini avec audace, et sans craindre de remettre en cause d’innombrables tabous, les fondements du pacte social sur lequel se sont bâties les Trente Glorieuses et sous l’emprise duquel nous vivons encore. Alors que la crise n’a pas craché tout son venin et que s’engage une guerre économique entre les grandes zones de la planète, et puisque c’est en ce début d’année la période des vœux, il n’en est peut-être pas de plus fervent à formuler que celui d’une semblable démarche pour son indispensable aggiornamento.

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