Devoir fuir son pays et, après un parcours semé d’embûches, attendre l’octroi du statut de réfugié dans des conditions de très grande précarité – et d’angoissante incertitude : ces facteurs ont un impact déterminant sur la capacité des familles demandeuses d’asile à trouver la force d’affronter le présent et de se projeter dans l’avenir. De fait, les adultes connaissent en France une « situation sociale qui creuse le sillon du sentiment d’impuissance et d’inefficacité parentale », fait observer Séverine Masson, psychologue au centre de santé Essor de l’association Forum réfugiés, à Lyon (1).
Absence du support de la famille élargie, mode d’hébergement à l’hôtel ou en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), qui respecte rarement l’intimité familiale, impossibilité d’exercer une activité professionnelle, ignorance du système scolaire, des codes culturels relatifs à l’éducation des enfants et, souvent aussi, de la langue : l’exil induit de multiples changements susceptibles de menacer le fonctionnement intrafamilial. Au nombre de ceux-ci, l’oisiveté forcée à laquelle sont réduits les demandeurs d’asile fragilise particulièrement les pères : « Privés de tout rôle économique actif, ils craignent de se voir dévalorisés aux yeux de leurs enfants », souligne Jacques Barou, ethnologue et sociologue, qui a notamment dirigé une recherche auprès de familles vivant en CADA (2). Chez les familles qui habitent en centre d’accueil, précise le chercheur, « la présence d’animateurs intervenant quotidiennement au niveau des enfants renforce ce sentiment de perte de pouvoir des parents, même si le travail de ces animateurs est en général apprécié ». Pour leur part, les travailleurs sociaux s’efforcent de ne pas court-circuiter les parents, mais ces derniers sont souvent si désorientés et mal à l’aise vis-à-vis des institutions que les professionnels ont tendance à prendre certaines responsabilités, par exemple en négociant directement avec les écoles. Par ailleurs, ajoute Jacques Barou, « inquiets d’éventuels mauvais traitements que les enfants pourraient subir dans des familles qu’ils savent perturbées et parfois en proie à des conflits internes s’exprimant par des violences, les travailleurs sociaux interviennent aussi parfois auprès des parents pour leur faire savoir qu’il faut agir différemment ». D’autant que malentendus et incompréhension surgissent éventuellement du décalage entre la conception occidentale de l’éducation familiale, fondée sur le dialogue et le respect de la personnalité de l’enfant, et une vision plus traditionnelle où l’enfant doit se taire et obéir. « Inévitablement, les conditions se trouvent réunies pour porter atteinte à la représentation que les adultes peuvent avoir d’eux-mêmes en tant que parents », commente le chercheur.
Le désarroi de leurs parents affecte évidemment les enfants, qui jouent un rôle essentiel pour les aider à garder espoir et à poursuivre leurs démarches. « Ce rôle peut aller bien au-delà du réconfort que représente leur bien-être apparent, leur vitalité et parfois aussi leur réussite scolaire », explique Jacques Barou. En effet, pour épauler des parents en détresse et qui ne maîtrisent pas le français, les enfants, adolescents ou jeunes adultes sont, dans certains cas, en première ligne pour assumer une fonction de médiation entre leur famille et les institutions. « Ces enfants hyper-adaptés, qui deviennent les guides de leurs parents, vont être chargés de maintenir quelque chose d’une cohésion familiale – et on va oublier que ce sont eux qui soutiennent la famille », constate Claire Mestre, psychiatre et anthropologue, responsable d’une consultation transculturelle à Bordeaux (voir encadré ci-dessous). La réalité des enfants est insuffisamment reconnue, estime aussi Séverine Masson. Or, qu’ils fassent office de « tuteurs de résilience intra-familiaux » ou expriment le mal-être familial au travers d’attitudes tristes et repliées ou nerveuses et très agitées, il est essentiel de se centrer sur la façon dont la situation agit sur les enfants, insiste Séverine Masson.
Pour réfléchir aux moyens de soutenir efficacement ces familles, un groupe pluriprofessionnel se réunit régulièrement en Rhône-Alpes (voir encadré page 26). Différentes initiatives sont également prises dans le cadre du CADA, ou ailleurs. C’est le cas au centre d’accueil de l’association Sauvegarde et promotion de la personne situé à Bon-Encontre (Lot-et-Garonne), un CADA neuf de 80 places qui reçoit surtout des familles – très souvent monoparentales – logées en appartements individuels. Avant d’en prendre la direction, début 2008, Florence Carlet travaillait dans le champ de la protection de l’enfance. C’est sans doute ce qui explique qu’elle se soit d’emblée investie dans le soutien à la parentalité. Grâce au partenariat étroit entre le CADA et la commune, les enfants sont scolarisés à Bon-Encontre dans les 15 jours de leur arrivée. Parallèlement, cette moderne tour de Babel propose des cours de français aux adultes, qui sont également incités à en suivre à l’extérieur, dans les associations caritatives qui leur procurent des colis alimentaires. « L’adaptation des enfants est rapide, beaucoup plus que celle de leurs parents, car eux apprennent très vite le français », souligne Florence Carlet. Mais justement, cette prompte acculturation amène les enfants à devenir les traducteurs de leurs parents, ce qui induit une confusion des places et des rôles – « avec des enfants qui sont dans la toute-puissance et traduisent d’ailleurs ce qu’ils veulent », estime la responsable.
Cette perte de repères dans la relation parents-enfants, ainsi que les traumatismes générés chez les adultes par les ruptures, deuils et pertes liés à la migration ont conduit Florence Carlet à mettre en place différentes actions. « Pour que les parents arrivent à retrouver leurs compétences parentales et, aussi, des moments de loisirs et de plaisir avec leurs enfants, nous proposons beaucoup de sorties, accompagnées par les éducateurs, dans des espaces ludiques de Dordogne. Nous organisons également avec les familles des repas et des animations festives », explique la directrice du centre, qui se dit surprise et ravie de l’impact de ces activités au plan de la réassurance des parents.
Au CADA de Bon-Encontre, un groupe de parole animé par un psychologue trilingue (russe, arménien, anglais) est également proposé aux mères. Il s’agit d’un groupe non mixte, car l’unique tentative d’y associer les pères n’a pas fonctionné : peu nombreux à avoir répondu présents, les pères qui sont venus voulaient parler travail, pas de préoccupations d’ordre familial. 10 à 15 résidentes se retrouvent chaque mois dans ce groupe de parole : il ne s’agit pas uniquement de mères. En effet, qu’elles aient ou non des enfants, les femmes se sont saisi de cet espace d’échanges pour exprimer leur ressenti par rapport au fait d’avoir quitté famille et pays, et pour évoquer la place de l’enfant dans la société française.
Au CADA Adoma de Saint-Genis-Laval, dans le Rhône, qui héberge 115 personnes dans des conditions peu propices à la vie de famille – chambres de 9 m2 où une mère seule peut devoir cohabiter avec un grand adolescent, cuisine et sanitaires collectifs –, une activité ludothèque constitue, tous les mercredis matin, un moment privilégié de rencontre entre enfants et parents. Il a fallu faire comprendre à ces derniers que la ludothèque n’avait pas vocation à recevoir les enfants non accompagnés. « C’est aujourd’hui intégré », précise Sophie Devalois, éducatrice spécialisée, et il peut arriver que de nombreux pères viennent jouer ou discuter dans ce lieu de convivialité, également ouvert aux personnes isolées. Au quotidien, les travailleurs sociaux du Cada sont aussi très vigilants à ne pas se substituer aux parents. « On s’est rendu compte que l’école attendait beaucoup de nous. Elle se déchargeait, en fait, beaucoup sur nous, ce que nous n’acceptons plus, par respect pour les parents et afin qu’ils soient le plus possible acteurs de leur vie », explique Sophie Devalois, référente « scolarité des enfants hébergés » et donc plus en lien avec l’institution scolaire que ses collègues. Depuis cette prise de conscience, l’éducatrice est amenée à répondre aux établissements scolaires qu’il leur faut s’adresser aux parents en cas d’absence des enfants – « quitte à nous contacter s’il y a des soucis plus graves afin que nous travaillions avec la famille. Sauf exception, c’est également aux parents, et non aux professionnels, qu’il revient d’aller aux réunions avec les enseignants », affirme Sophie Devalois.
Pour les jeunes, qui peuvent avoir vécu des choses très lourdes dans leur pays d’origine, l’école est un soutien énorme. Mais son expérience d’enseignante intervenant auprès d’écoliers nouvellement arrivés en France a montré à Françoise Estival que certains enfants, pourtant intelligents, n’arrivent pas à apprendre à parler français ni à lire. D’autres manifestent leurs difficultés par des troubles du comportement. Partant de ces constats et de la demande d’un CADA alors installé à Montélimar (Drôme) (3), l’enseignante a imaginé avec Christophe Texier, ethnopsychologue, et Joëlle Revol, psychologue scolaire, un dispositif spécialisé d’aide : l’accompagnement parents enfants migrants (APEM) dont le principe est d’offrir un lieu d’écoute à la famille en dehors de l’école. Ainsi, depuis l’année scolaire 2007-2008, les parents et l’enfant sont reçus le mercredi matin par les trois professionnels et, si nécessaire, un interprète. « La diversité de nos compétences permet de croiser les regards et d’apporter des analyses complémentaires », explique Françoise Estival. Ce sont les interlocuteurs des familles – CADA, établissements scolaires, professionnels du centre médico-social, du centre médico-psychologique ou de la Sauvegarde de l’enfance – qui parlent à l’APEM des situations d’enfants en difficulté. Les familles que le trio pense pouvoir aider sont alors contactées : trois à cinq rendez-vous leur sont proposés – et généralement acceptés. « La première rencontre tourne autour des problèmes scolaires et des représentations que la famille peut avoir de l’école, mais on se rend vite compte que les questions liées à la scolarité ne constituent que le sommet de l’iceberg », souligne Françoise Estival. Aussi, bien d’autres thèmes sont évoqués : le parcours migratoire, les difficultés familiales à l’arrivée en France, l’attente, dans laquelle tout le monde est figé, d’une réponse sur l’octroi du statut de réfugié – « période de latence propice à essayer de travailler les liens familiaux et à renforcer les ressources de l’enfant », estime Christophe Texier. Cette ambition semble tenue. En effet, au fil de ces accompagnements « qui ne sont pas psychothérapeutiques, mais transculturels, on a vu des enfants changer de façon quelquefois spectaculaire, que ce soit en termes d’adaptation scolaire, de comportement, d’accès aux apprentissages. Des changements se font sentir aussi au niveau de la dynamique familiale, par une reprise de dialogue sur la migration par exemple : beaucoup d’enfants sont ici et ne savent pas pourquoi », note l’ethnopsychologue.
Cette étape de l’entrée à l’école et des grands apprentissages, qui marque l’inscription dans la société d’accueil, constitue un moment de particulière vulnérabilité pour les enfants de migrants, précise Christophe Texier. L’adolescence est une autre période délicate, en raison des conflits de valeurs, codes et comportements auxquels les jeunes peuvent être exposés.
A Montauban (Tarn-et-Garonne), c’est précisément autour de la question de l’adaptation des adolescents à leur nouvel environnement qu’un atelier parentalité est organisé, depuis fin 2009, par le CADA de l’Association montalbanaise d’aide aux réfugiés, un centre quasi exclusivement dédié à l’accueil de familles, logées en habitat éclaté. « Nous nous étions aperçu que les parents avaient un réel souci d’éducation par rapport aux adolescents », explique Geneviève Chaminade, éducatrice spécialisée à l’origine de cette initiative. Cet atelier, qui est proposé environ tous les deux mois, réunit généralement une douzaine de parents : très peu de couples, mais presque autant de pères que de mères qui viennent seuls. Grâce à la présence, à chaque séance, d’un intervenant (médecin anthropologue, juriste, formateur en travail social) et de trois interprètes – parlant russe, sri-lankais et albanais –, ces rencontres-débat permettent aux participants d’aborder leurs multiples sujets de préoccupation : les bornes délimitant l’adolescence dans différentes cultures, l’âge des diverses majorités en France (médicale, pénale, civique, sexuelle), l’accompagnement des mineur(e)s à la contraception, le droit de choisir sa religion, la répartition des tâches éducatives entre l’Etat, l’école et la famille, l’autorité parentale, la protection de l’enfance, la monoparentalité, l’autonomie matérielle des femmes.
Parallèlement à cet atelier, aujourd’hui animé par Béatrice Guijarro, conseillère en économie sociale et familiale au CADA, un espace de parole et de massage-relaxation est proposé un après-midi par mois aux demandeuses d’asile – mères ou pas – par Geneviève Chaminade. Trois à neuf résidentes se retrouvent dans ce lieu protégé et protecteur, où « beaucoup de thèmes sortent qui ne sont pas évoqués dans nos bureaux de travailleurs sociaux », note Geneviève Chaminade. Ainsi, les relations mère-fils, l’autonomie des enfants, les codes culturels relatifs à la position du père, ce que les femmes ont vécu de répressif par rapport à leur corps ou leur spiritualité, la souffrance de ne pas pouvoir chanter comme elles le faisaient au pays. « Ce n’est pas bavard, c’est vraiment une parole profonde et aussi, pour certaines femmes, l’occasion de s’endormir en sécurité, alors qu’elles signalent ne pas pouvoir le faire chez elles », constate l’éducatrice.
Lieux d’étayage et de partage où rompre l’isolement et reprendre confiance dans ses compétences, les dispositifs collectifs semblent très pertinents pour aider les parents demandeurs d’asile à rester parents. « Transcendant les différences culturelles, la dynamique de groupe encourage la création d’un langage commun autour des préoccupations parentales », souligne Séverine Masson, psychologue au centre de santé Essor de Forum réfugiés.
Cependant, la clinicienne estime important que les familles qui le souhaitent puissent bénéficier de prises en charge individuelles. Généralement, en effet, leurs conditions d’hébergement font que les intéressées vivent déjà dans une grande proximité, sans intimité possible. Pas de confidentialité non plus sur leur parcours : les demandeurs d’asile sont tenus de le relater plus d’une fois par le menu pour satisfaire aux besoins de la procédure. Autant de réflexions qui conduisent maintenant la psychologue à privilégier les propositions de thérapies familiales ou de couple. Cela correspond à une vraie demande, constate-t-elle : orientées par les travailleurs sociaux de centres d’accueil, par des associations caritatives, par le milieu hospitalier ou les centres médico-psychologiques et venant également, de plus en plus, par le bouche-à-oreille, les familles s’inscrivent volontiers dans cette démarche.
Au fond, que ce soit par une porte d’entrée collective ou individuelle, « la question familiale est sans doute un peu dans tous les pays une voie d’accès aux soins et à la relation », avance Séverine Masson.
Pour améliorer l’accompagnement des parents demandeurs d’asile, des intervenants de Rhône-Alpes – travailleurs sociaux, enseignants, soignants – et quelques universitaires se retrouvent chaque mois, depuis fin 2008, dans le cadre d’un groupe « parentalité ». Ouvert à tous les professionnels et militants qui souhaitent travailler sur cette question, celui-ci a été mis en place au sein du réseau Santé mentale, précarité, demandeurs d’asile et réfugiés en Rhône-Alpes (Samdarra) (4). « Il s’agit de définir des méthodes et des moyens pour soutenir les familles en situation d’exil et sensibiliser les différents acteurs qui les côtoient régulièrement ou occasionnellement », précise Gwen Le Goff, coordonnatrice du réseau.
A l’hôpital Saint-André de Bordeaux (Gironde), une consultation de médecine transculturelle est proposée aux migrants et à leurs familles par Claire Mestre, psychiatre et anthropologue, et son équipe pluridisciplinaire (5). Travailleurs sociaux des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, enseignants, médecins, avocats ou militants associatifs : « Ce sont les professionnels qui nous appellent pour nous confier les situations », explique Claire Mestre. Ce dispositif de soin ne prend en charge que des familles, des couples mères-enfants ou des adultes venant en couple ou isolément ; les enfants qui ont besoin d’un suivi individuel sont orientés vers les structures classiques, comme les centres médico-psychologiques. « Nous recevons généralement les familles à plusieurs pour bénéficier de points de vue complémentaires, parce qu’il y a toujours des problématiques migratoires et intrafamiliales diverses », explique Claire Mestre. Dans l’idéal, ce groupe thérapeutique est composé d’un thérapeute principal – la psychiatre ou une psychologue – et d’un anthropologue ou d’un sociologue, ainsi que d’un traducteur, sauf si l’un de ces participants maîtrise la langue de la famille ou, bien sûr, que celle-ci est francophone. Entre les langues parlées par les membres de l’équipe et l’apport des interprètes – formés et supervisés par celle-ci – « nous pratiquons une vingtaine de langues », précise Claire Mestre, qui souligne « l’importance d’avoir accès à la minutie de la parole de l’autre dans une psychothérapie et, plus largement, l’enjeu considérable que représente la traduction dans le domaine du soin et du travail social ».
Les accompagnements thérapeutiques sont plus ou moins longs. Certains peuvent être assez courts, par exemple avec une femme enceinte qui traverse une période difficile et pour laquelle il s’agit de débroussailler les difficultés – psychiques, administratives, de précarité – et de se mettre en lien avec les possibles protagonistes à même d’aider l’intéressée. D’autres prises en charge sont beaucoup plus longues et certaines s’étendent même sur plusieurs années. Le statut influe beaucoup sur cette durée. Les demandeurs d’asile qui obtiennent le statut de réfugié sont souvent alors dans la recherche de logement et de travail et le soin passe au second plan. En revanche, « avec les personnes déboutées, il faut s’inscrire dans une relation longue, parce qu’il va y avoir non seulement la problématique symptomatologique, mais aussi la question administrative qui demande un engagement particulier de notre part lorsqu’on estime que ces patients doivent rester en France au titre du soin », précise Claire Mestre.
L’équipe hospitalière répond aussi ponctuellement à tout professionnel du champ sanitaire ou social désireux de lui exposer une situation qui fait problème concernant une famille ou une personne migrante. « Lorsqu’on nous demande ainsi conseil, il nous revient, pour l’essentiel, de traduire dans tous les sens du terme, c’est-à-dire de reformuler, contextualiser, passer d’un monde à l’autre », explique la psychiatre. Le travail en réseau est un autre aspect fondamental du rôle de la consultation transculturelle. Les prises en charge thérapeutiques sont, en effet, conçues dans une relation de complémentarité avec les autres interventions sociales et/ou médicales et des réunions régulières sont organisées avec les différents partenaires. Les spécialistes de Saint-André assurent également des formations sur l’approche interculturelle et ils proposent chaque trimestre une rencontre autour de situations de familles demandeuses d’asile, à laquelle les équipes intéressées par un travail sur la parentalité en exil sont conviées à participer.
Les familles avec de jeunes enfants font partie des publics prioritaires pour être logées en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) (6). Les résidents de ces structures y bénéficient de l’accompagnement de travailleurs sociaux qui les aident dans leurs différentes démarches, à commencer par celles qui ont trait à leur requête et, notamment, à l’élaboration du récit destiné à en démontrer le bien-fondé (7). A maints égards, le travail auprès de ces publics s’avère particulier – et particulièrement éprouvant. Sur le plan humain d’abord, bien sûr. En effet, « tous les demandeurs d’asile n’ont pas subi des faits très graves, mais il y a parmi eux des gens qui ont des parcours de vie sans commune mesure avec ce que l’on peut rencontrer en France, même avec les populations les plus fragiles », souligne Christophe Daadouch, formateur en travail social. Or les professionnels ont non seulement à entendre l’exposé d’histoires très lourdes, mais ils doivent aussi demander à leurs interlocuteurs des détails de l’ordre de l’indicible pour rendre crédible le récit des atrocités qui leur sont confiées. « Quand on est travailleur social en CADA, on n’a pas envie de jouer ce rôle-là, mais on se rend compte que parfois, notamment avec le poids du temps compté pour faire un recours, on se transforme en persécuteur », estime Sophie Devalois, éducatrice spécialisée au CADA Adoma de Saint-Genis-Laval (Rhône). Travailler pendant des mois auprès de gens pouvant avoir été traumatisés et qui vivent une attente angoissante n’est pas simple. En outre, la relation de confiance se révèle parfois difficile à établir avec les résidents. « A la différence des usagers “classiques”de l’action sociale, qui ont compris qu’ils doivent tout de suite jouer cartes sur table pour bénéficier de quelques aides, les demandeurs d’asile qui ont été persécutés par les institutions de leur pays peuvent être méfiants vis-à-vis des personnels des CADA, parce que c’est l’Etat qui les envoie là », explique Christophe Daadouch. Usagers atypiques, les résidents le sont sous plusieurs autres angles. Notamment, parce que ce sont des gens qui pouvaient occuper, dans leur pays, une position sociale élevée et, également, parce que ce sont souvent des primo-arrivants : à la barrière de la langue peut donc s’ajouter le poids des traditions culturelles de leur pays d’origine. « Ce qui suppose que les travailleurs sociaux aient une ouverture d’esprit suffisante pour réduire leur niveau d’exigences en termes d’intégration socio-culturelle, et ne cherchent pas à plaquer de modèles-type sur des usagers qui ne le sont pas tout à fait », affirme Chritophe Daadouch.
Pendant cette espèce de « captivité bienveillante » que représente la vie en CADA (8), les professionnels ne peuvent pas non plus recourir à leurs outils classiques d’intervention : le travail sur l’insertion sociale et professionnelle des personnes. Sauf exception en effet, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit d’exercer une activité professionnelle. De plus, leur avenir est subordonné à l’octroi d’un statut de réfugié qui leur sera majoritairement refusé. Se défaire des réfugiés et, plus encore, faire sortir les déboutés : la gestion des sorties fait aussi partie du « “sale boulot”des travailleurs sociaux », note Carolina Kobelinsky, anthropologue, qui a réalisé une enquête approfondie en CADA (9). Tiraillés entre leur idéal du travail social et les fonctions qu’ils doivent quotidiennement remplir, les professionnels de ces centres sont pris dans des enjeux qui les mettent à mal, résume-t-elle.
(1) Cf. Rhizome n° 37, décembre 2009 : « De l’exil à la précarité contemporaine, difficile parentalité » –
(2) Cf. « Les enfants de l’exil. Etude auprès des familles en demande d’asile dans les centres d’accueil », recherche réalisée en 2003 sous la responsabilité de Jacques Barou et de Marie-Rose Moro.
(3) Ce centre a été transféré à Valence durant l’année 2009-2010, mais l’APEM poursuit son activité à Montélimar auprès de publics migrants.
(4) Le réseau Samdarra organisera, au printemps 2011, un colloque sur ces « Parents d’ici venus d’ailleurs ». Contact :
(5) Contact :
(6) Ce qui ne veut pas dire qu’elles accéderont à cet hébergement. En effet, compte tenu du niveau élevé de la demande d’asile – 47 686 demandes ont été déposées en 2009 (réexamens et mineurs accompagnants inclus) –, de la durée d’instruction des dossiers – autour de 16,5 mois en moyenne, ensemble des procédures en premier ressort et en appel compris, l’an dernier – et de la capacité globale des CADA – 20 410 places au 31 décembre 2009 –, la grande majorité des nouveaux arrivants ne peuvent y être logés.
(7) Cette aide se traduit par un taux d’acceptation des demandes des résidents de CADA très supérieur à la moyenne : en 2009, sur 12 018 personnes sorties de CADA, 45,6 % avaient obtenu le statut de réfugié et 36,7 % été déboutées (les autres étaient en cours de procédure ou s’étaient désistées). La même année, tous publics confondus, 29,4 % des demandeurs d’asile avaient obtenu le statut de réfugié, 70,6 % avaient été déboutés.
(8) Cf. L’accueil des demandeurs d’asile. Une ethnographie de l’attente – Carolina Kobelinsky – Editions du Cygne, 2010.
(9) Op. cit.