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Dépendance : la médiation familiale peut être utile…

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La médiation familiale (1) peut constituer un outil pertinent pour éclairer les décisions, toujours délicates, relatives à l’orientation et à la prise en charge d’un parent vieillissant en situation de dépendance. Telle est la conviction de Jean-Claude Sury et Marie Théault, tous deux médiateurs familiaux depuis plus de 20 ans et formateurs (2).

« Le vieillissement et la dépendance mettent l’accent sur l’engagement de la famille contemporaine vis-à-vis de la personne âgée, de plus en plus confrontée à la recherche de solutions pour répondre aux besoins des aînés : leur élaboration et leur mise en œuvre resserrent ou distendent les liens familiaux, en particulier les relations internes à une fratrie.

Les sollicitations dont nous avons été l’objet de la part des familles et des institutions spécialisées dans l’accueil des personnes âgées nous ont amenés à réfléchir à la pertinence de la médiation familiale pour permettre à la famille de convenir de l’orientation à prendre pour un parent en situation de dépendance.

Après bientôt 25 ans d’existence en France, la médiation familiale a démontré son efficience pour aborder avec des parents les conséquences de leur séparation ou de leur divorce ; elle y a acquis une expertise dans la gestion des conflits permettant d’éviter une rupture des liens familiaux. Elle a pu ainsi aborder les différends entre des parents et leurs enfants ou encore entre des grands-parents et leurs descendants. Plus récemment, les magistrats ont eu recours à la médiation familiale pour recueillir la parole de l’enfant dans le cadre de son audition. Cette extension s’avère cohérente avec la définition retenue par le Conseil national consultatif de la médiation familiale en 2003, qui met en avant l’idée que la médiation concerne « la gestion des conflits dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution » (3).

Il s’agit là d’un premier niveau de légitimation. Un deuxième tient au contenu même de cette évolution : toutes ces situations renvoient à des étapes du cycle de la vie familiale caractérisées par une fragilisation des personnes et une menace pour leurs relations. Dans ce contexte, le médiateur veillera à ce que cette dernière étape soit empreinte de sérénité tant pour la personne âgée, en respectant sa dignité, que pour sa famille, en pacifiant les interactions liées à un climat émotionnel déstabilisant.

Enfin, pour tenir compte de la singularité des problématiques et du contexte législatif, nous avons dû, à chaque fois, adapter le processus méthodologique de la médiation familiale sans en altérer la philosophie dont nous rappelons les fondamentaux : l’expression des besoins et des attentes, ce qui va permettre à chacun de retrouver un niveau satisfaisant d’estime de soi ; l’instauration ou la restauration de la communication intrafamiliale en favorisant des échanges directs ; l’équité dans les échanges et dans les décisions ; la création d’un espace de négociation ; la mutualisation des compétences, des moyens, de la réflexion ; le respect des décisions dont les personnes ont été actrices.

Pour la personne aînée, il faut prendre en compte : les contingences auxquelles elle est soumise en raison de la possible réduction de ses capacités physiques, intellectuelles ou mentales ; les modifications dans ses relations affectives, puisqu’elles s’inscrivent maintenant dans un rapport de dépendance plus ou moins prononcé avec ses proches ; les ruptures avec ce que l’environnement avait de sécurisant ; les tonalités de deuil (liées à la séparation ou au décès du conjoint, des frères et sœurs, des amis…).

Inversion des rôles

Pour la fratrie, la problématique essentielle est la suivante : comment, pour des enfants, accepter de devenir parents de leurs propres parents ? Cette inversion des rôles ne va pas sans culpabilité ni sans réactiver d’éventuelles rivalités au sein de la fratrie. Elle remet en scène, entre autres, des jeux de préférence, des jeux d’alliance et de coalition, des perceptions différentes des événements traumatiques qui ont marqué l’histoire familiale, des représentations subjectives des rôles, places et fonctions de chacun, surtout quand un « aidant naturel » les accapare, et qui peuvent altérer les relations fraternelles. Ajoutons que, dans certaines situations, l’acceptation par les descendants du « lâcher prise » de la part de la personne aînée s’accompagne là encore de tonalités de deuil qui peuvent entraver leurs capacités à prendre des décisions réalistes. Enfin, la difficulté est amplifiée par une double contrainte : ne pas prendre de décision à la place du parent âgé et respecter sa dignité, ses valeurs, bien qu’elles puissent, parfois, aller à l’encontre de ses intérêts.

A ce basculement qui affecte le fonctionnement du groupe familial, correspond celui du médiateur : alors que jusqu’à présent son travail était centré sur le développement d’un enfant en devenir, il doit maintenant contribuer à l’émergence d’options visant le meilleur confort physique, moral et affectif d’une personne dans la dernière séquence de sa vie. Cette spécificité l’oblige à reconsidérer le déroulement du processus, notamment dans l’organisation des étapes de la médiation, en réservant au passé une place particulière, ne serait-ce que par son évocation par les anciens, qui constitue un éclairage permettant une compréhension des interactions dans la famille.

C’est dans ce contexte que la médiation va aborder la gestion du conflit, qu’il soit intrapsychique (conflits de loyauté) ou qu’il influence les relations entre les membres de la famille. On abordera alors des conflits de valeur (idéologie par rapport au placement), des conflits d’intérêt, des conflits sur les données, le tout sur fond de conflits relationnels. Par ailleurs, de par ses objectifs de clarification et d’explicitation, la médiation est susceptible de mettre en lumière des zones d’ombre ou de réactiver des conflits sous-jacents. A minima, les échanges vont réinterroger la nature du lien que chacun entretenait avec ses parents ; le style de communication dans la famille ; la perception du lien conjugal des parents et du lien de chaque parent avec chacun des enfants ; la perception individuelle de la situation et son impact sur les décisions. Comme toujours en médiation, le conflit, dont l’expression est contrôlée par la mise en œuvre des techniques de l’écoute active, est source de changement et de redéfinition des relations aux autres, ce qui ouvre de nouvelles perspectives. La médiation familiale offre ainsi un espace de communication et de réflexion partagée qui préserve aussi le niveau d’intégrité des personnes concernées.

Cette nouvelle approche se doit d’être en conformité avec la déontologie du médiateur, qui repose sur trois grands principes : la confidentialité, l’impartialité et la neutralité.

La confidentialité : elle est notamment impliquée lorsqu’un magistrat intervient dans le cadre d’une tutelle ou d’une curatelle. Le positionnement du médiateur consiste alors à l’informer de ce que la médiation a eu lieu, en aucun cas il ne sera fait part du contenu des entretiens. Si des accords ont été établis, ils seront possiblement transcrits et remis à chacun des participants qui décideront de les communiquer ou non au juge. De même, la confidentialité s’impose vis-à-vis des professionnels exerçant dans des établissements pour personnes âgées ou en lien avec ces structures (assistantes sociales, médecins, notaires…) Cette exigence respecte la complète responsabilité des personnes engagées dans la médiation, qui sont, seules, habilitées à faire communication des décisions arrêtées.

L’impartialité : il ne s’agit pas ici de prendre le parti de la personne âgée, de son conjoint ou d’un membre de la famille, mais de soutenir chacun dans son expression, puis de favoriser les échanges entre eux. Il serait donc plus pertinent de parler de pluri-partialité, ce qui évoque la capacité de soutenir activement et alternativement chacun des protagonistes.

La neutralité : concept qui renvoie à l’obligation pour le médiateur de neutraliser ses résonances personnelles et de ne pas se référer à ses propres valeurs. Il ne doit pas orienter les décisions ni entraver l’expression des acteurs. Un manque de neutralité contaminerait l’impartialité, ce qui ne permettrait pas au médiateur de tenir la posture de tiers qui est fondamentale en médiation.

Dans un article paru dans Le Monde le 19 mai dernier (4), la psychologue Marie de Hennezel présente la vieillesse dans ses potentialités et non exclusivement comme un « déclin » ou un « effondrement ». En s’inspirant de cette perception, la médiation familiale peut contribuer à une modification du regard porté sur cette étape de la vie. Le médiateur familial s’inscrit alors dans cette démarche sociétale en constituant une ressource pour la personne aînée et sa famille.

Un accompagnement « côte à côte »

Notre intervention est un accompagnement, un « côte à côte », car elle ne se substitue pas à une prise en charge mais permet que cette dernière procède de décisions libres et éclairées de la part de ceux qui sont amenés à les prendre. Ce faisant, elle comporte intrinsèquement une dimension préventive, en ce sens qu’elle anticipe sur les effets destructeurs de conflits intrafamiliaux. Par sa philosophie, elle participe à la définition du concept de care considéré comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible » (5). Reste que les conséquences du vieillissement déterminent des niveaux de dépendance très différents et l’usage permettra de mettre en place de façon opérationnelle et innovante les complémentarités entre les intervenants concernés et le médiateur dans le cadre d’un réseau élargi.

Ressource pour la personne aînée et sa famille, la médiation familiale s’avère en adéquation avec les attentes de la société contemporaine en rendant possibles l’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles solidarités familiales. »

Contacts : Jean-Claude Sury : 78, rue Jules-Barni – 80000 Amiens – jcsury@netcourrier.com ; Marie Théault – Société « Hors Cadre » – 5, impasse de la Mue – 14210 Cheux – marietheault@free.fr

Notes

(1) Rappelons la récente parution d’un numéro juridique des ASH intitulé « La médiation familiale. Une voie d’apaisement des conflits » – Décembre 2010.

(2) Marie Théault est directrice de l’organisme de formation « Hors cadre ».

(3) Cette instance définit la médiation familiale comme « un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ».

(4) « Cultivons l’art de bien vieillir – Vive la sagesse du grand âge ».

(5) Joan Tronto in Un monde vulnérable (Ed. La Découverte, 2009) – Sur le concept de care, voir également ASH n° 2611 du 29-05-09, p. 40.

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