Alors que Jean-Marie Bockel, le secrétaire d’Etat à la justice, dresse le constat d’une « parentalité en berne », la famille et l’enfance disparaissent des portefeuilles ministériels. N’est-ce pas pour le moins contradictoire ?
De la part de ce gouvernement, je suis en effet surpris de la suppression d’un ministère de la Famille, quand on nous serine l’importance de cette dernière comme cellule de base de la société et celle des parents dans la structuration et l’accompagnement des enfants. Cela signifie que l’on n’entend traiter ces questions que sur le registre de la répression, lorsque des parents auront été plus ou moins défaillants, mais qu’on ne s’attachera pas à réunir les conditions de la mise en œuvre de l’exercice des responsabilités parentales. A savoir identifier les détenteurs de l’autorité parentale, communiquer sur le contenu de leurs responsabilités et venir en soutien aux familles les plus fragiles. Maintenant, peut-être va-t-on s’apercevoir de cette erreur et nommera-t-on en catastrophe un secrétaire d’Etat à l’enfance et à la famille.
Quels problèmes pose l’absence d’un ministère dédié à la famille ?
Un gouvernement se lit en plein et en creux, et l’absence d’un tel ministère signifie bien que son objet n’est plus considéré comme politique. En d’autres termes, les thèmes de l’enfance et de la famille risquent de n’être considérés que comme des questions administratives gérées dans le cadre des compétences des services de l’Etat, sans plus. Ce qui pourrait amener à des modes d’intervention séquentiels, tronqués et morcelés, alors qu’une véritable politique familiale devrait être transversale. D’ailleurs, un délégué interministériel à l’enfance et à la famille, placé auprès du Premier ministre, ne serait-il pas préférable à un ministre ? Quelqu’un qui donnerait une cohérence à l’ensemble de l’action de l’Etat sur ce sujet. Je crois d’ailleurs que c’est moins le problème de la parentalité qui se pose que celui de la condition parentale. La condition parentale, c’est parvenir à concilier vie professionnelle et vie familiale, arriver à disposer de conditions de vie correctes pour éduquer un enfant… Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’un ministère de la famille mais d’un ministère de la condition parentale.
On demande aux parents d’assumer leurs responsabilités parentales, mais celles-ci sont-elles clairement définies ?
De fait, on entonne l’hymne à la responsabilité parentale mais on néglige totalement la réalité de la composition familiale actuelle. On fait comme si la famille des années 1950 – papa, maman et les enfants – était encore d’actualité. Aujourd’hui, 52 % des enfants naissent hors mariage et, même si les pères reconnaissent de plus en plus leurs enfants, 50 000 à 70 000 bébés naissent encore chaque année sans père légal déclaré. De même, beaucoup d’enfants vivent avec des beaux-parents au sein de familles recomposées. Enfin, il faut tenir compte de la multiplication des familles issues de l’immigration, notamment subsaharienne, avec des enfants dont l’identité est parfois complexe ou les parents polygames. Dans ces conditions, qui exerce l’autorité parentale ? Et quels messages veut-on faire passer sur ce sujet ? Nous n’en sommes plus à « Obéis et tais-toi ! ». Ce que la puissance publique ne dit pas, c’est comment se comporter en tant que parent. Qu’est-ce que protéger un enfant et contribuer à son éducation ? Je vois régulièrement dans mon cabinet des familles qui sont convaincues que, dès lors que l’on a reconnu les enfants comme ayant des droits, eux n’ont plus de responsabilités. Et certains tombent des nues quand je leur explique que, par exemple, leur enfant ne doit pas sortir seul le soir.
Les institutions n’ont-elles pas tendance à déposséder les parents de leur autorité ?
Effectivement. Il s’agit d’un débat entre sphères publique et privée et, pour dire les choses de façon un peu polémique, l’éducation doit être prioritairement parentale et subsidiairement nationale. Ce sont d’abord les parents qui éduquent l’enfant, et ils n’ont pas à être exclus de ce qui se fait pour leur enfant. A l’inverse, l’Education nationale n’a pas vocation à être cogérée par les parents. De même, en matière de délinquance des mineurs, on s’aperçoit que l’on a eu grand tort de vouloir s’occuper des enfants sans tenir compte de leurs parents. Rien ne peut se faire contre eux. Il faut travailler à la fois en direction de l’enfant et de ses parents. C’est d’ailleurs ce que la loi de 2007 est venue consacrer, au moins sur le plan théorique, mais il faut maintenant la faire entrer dans les faits.
Entre la récente mesure de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire et la proposition de Jean-Marie Bockel de faciliter les poursuites pénales à l’encontre des parents défaillants, va-t-on réellement dans le sens d’un soutien à la parentalité ?
Le gouvernement essaie, à travers des sanctions définissant ce qui est mal, de comprendre ce qui est bien et que l’on aurait dû faire. Cela me semble une approche un peu limitée. Il me paraît préférable d’essayer de promouvoir la loi en direction de tous les parents. Dans le cadre de la commission Bockel, qui avait travaillé sur le rapport sur la prévention de la délinquance remis en novembre au président de la République, j’avais préconisé l’inverse. C’est-à-dire d’organiser des campagnes de communication sur l’autorité parentale. Je suggérais que, au travers d’une campagne télévisée, on explique, sans faire des leçons de morale, ce qu’est un parent. Se préoccuper de la scolarisation de son enfant, le déposer à l’école le matin, discuter le soir avec lui de ce qu’il a fait, le valoriser, l’accompagner… On ne peut pas se contenter de punir les parents. Ainsi, bon nombre de familles n’ont pas confiance dans l’Education nationale, et même quand les parents y croient, on voit des enfants qui décrochent. Et ce n’est pas par le retrait des allocations familiales que l’on va gérer ce problème complexe.
L’identification des responsabilités des adultes passe-t-elle aussi par un statut du beau-parent ?
Bien sûr. Il existe actuellement sur cette question plusieurs textes en préparation avec des philosophies différentes. Ainsi, Nadine Morano, lorsqu’elle était secrétaire d’Etat chargée de la famille, estimait que le rôle du beau-parent était un problème de vie privée et qu’il fallait laisser les gens s’organiser entre eux devant notaire. Je pense que, en arrière-plan, elle souhaitait aussi éviter que les couples homosexuels ne parviennent à obtenir l’autorité parentale. Une autre approche, que je défends, est celle de Dominique Versini, la défenseure des enfants, et d’un certain nombre d’associations, pour qui c’est à la loi de définir les règles du jeu en indiquant qui détient l’autorité parentale et quel est son contenu. Nous sommes favorables au principe que les personnes qui vivent avec le père ou la mère de l’enfant soient en droit d’exercer une autorité pour les actes usuels de la vie. D’une façon générale, il est temps que, face à la liberté des adultes de choisir leur mode de vie, on clarifie les choses pour les enfants en leur indiquant qui est responsable de quoi. Il y a tellement de personnes et d’institutions ayant des responsabilités à l’égard des enfants que plus personne ne sait qui fait quoi, et que les enfants sont perdus. Il faut articuler le rôle des beaux-parents et des parents, mais aussi celui des grands-parents et, pourquoi pas, des travailleurs sociaux à qui sont confiés certains enfants.
Selon vous, il faudrait soutenir davantage la parentalité des parents d’origine étrangère maîtrisant mal les règles du jeu social. De quelle façon ?
La première chose, c’est d’abord de les comprendre, de comprendre leur culture. En étant bien conscient que ce n’est pas parce que l’on connaît leur culture qu’elle doit avoir la priorité. Au contraire, il faut leur faire entendre que la culture du pays où ils vivent l’emporte sur celle du pays d’où ils viennent. Et leur dire également qu’ils se doivent de respecter les règles du pays dans lequel ils vivent. Certaines démarches de soutien peuvent aussi être mises en œuvre, notamment autour de la question de la langue pour ceux qui en ont besoin. Il y a quelques jours, j’ai encore vu dans mon cabinet une mère qui ne parlait pas un mot de français. Son enfant était obligé de faire la traduction. Certains parents gagneraient à aller à l’école, volontairement, pour apprendre à mieux parler français et à découvrir les institutions de la République. Car comment un parent qui ne parle pas français et ne sait pas ce qu’est la justice peut-il protéger son enfant ?
Président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig a été directeur de l’Institut de l’enfance et de la famille de 1984 à 1992. Il préside aujourd’hui la branche française de l’organisation non gouvernementale Défense des enfants International, et est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Justice ta mère ! Justice et injustices vues par un juge en réponse aux jeunes » (Ed. Anne Carrière, 2003).