A défaut de places disponibles dans les structures adaptées, les demandeurs d’asile peuvent être hébergés dans des tentes « pendant une période raisonnable, aussi courte que possible », estime le Conseil d’Etat dans une décision du 19 novembre dernier qui soulève l’ire des associations de défense des droits de l’Homme et des étrangers (voir ce numéro, page 24).
Dans cette affaire jugée en référé, le Conseil d’Etat était saisi par le ministre de l’Immigration qui lui demandait d’annuler une ordonnance du tribunal administratif de Paris enjoignant au préfet d’indiquer, dans les 48 heures, à un demandeur d’asile afghan un lieu susceptible de l’héberger. Le ministre soutenait que la situation de l’intéressé ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans la mesure où, même s’il n’avait pas pu bénéficier d’un hébergement dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) faute de places, il percevait l’allocation temporaire d’attente (ATA). Et que, ainsi, l’Etat respectait non seulement les articles L. 5423-8 et L. 5423-9 du code du travail sur l’ATA mais aussi l’article 13.5 de la directive européenne 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile, qui laisse une marge d’appréciation aux Etats membres entre prestations en nature et allocations financières.
Dans le droit-fil de sa récente jurisprudence sur le droit à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (1), le Conseil d’Etat a répondu favorablement à la demande du ministère de l’Immigration et annulé l’ordonnance du tribunal administratif. Selon les hauts magistrats, en effet, « même si le versement de l’allocation temporaire d’attente ne peut, eu égard au montant de cette prestation, être regardé comme satisfaisant à l’ensemble des exigences qui découlent de l’obligation d’assurer aux demandeurs d’asile, y compris en ce qui concerne le logement, des conditions d’accueil décentes, le dossier ne fait pas apparaître, compte tenu tant de l’ensemble des diligences accomplies en l’espèce par l’administration au regard des moyens dont elle dispose que des particularités de la situation [de l’intéressé], qui n’est pas accompagné d’enfant et qui ne fait pas état de difficultés particulières de santé, d’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ».
La solution adoptée par le Conseil d’Etat n’est donc pas surprenante au regard de sa jurisprudence. C’est en fait dans la motivation de sa décision que la source de la colère des associations est à rechercher. En effet, après avoir rappelé les devoirs de l’administration envers les demandeurs d’asile, à savoir leur assurer, selon leurs besoins et leurs ressources, des conditions d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement sous la forme de prestations en nature ou d’allocations financières, les juges administratifs expliquent que « lorsque les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, l’autorité administrative peut recourir à des modalités différentes de celles qui sont normalement prévues, […] pendant une période raisonnable, aussi courte que possible ». « Il lui appartient en particulier, poursuivent-ils, de rechercher si des possibilités d’hébergement sont disponibles dans d’autres régions et, le cas échéant, de recourir à des modalités d’accueil sous forme de tentes ou d’autres installations comparables. » Une formulation qui « autorise » donc les préfets, en cas d’indisponibilité de places en CADA, à héberger les demandeurs d’asile sous des tentes. Et que le Conseil d’Etat a de nouveau utilisé trois jours plus tard dans une affaire similaire (2).
(1) Dans une série d’arrêts rendus depuis le début de l’année 2009, le Conseil d’Etat a en effet jugé que, dans le cas où l’offre de prise en charge dans un CADA a été acceptée par l’étranger mais n’a pu être satisfaite dans l’immédiat faute de places disponibles, mais que, dans le même temps, le demandeur d’asile bénéficie de l’ATA, le défaut d’hébergement ne peut être utilement opposé à l’Etat. Une jurisprudence explicitée par le ministère de l’Immigration dans une circulaire du 18 décembre 2009 – Voir ASH n° 2650 du 12-03-10, p. 15.
(2) Conseil d’Etat, 22 novembre 2010, n° 344373, disp. sur