« S’il est incontestable que le droit au logement opposable (DALO) permet à des ménages en difficulté d’être relogés, s’il est réel que l’administration et ses partenaires font plus et mieux qu’avant, force est néanmoins de constater que le droit n’est pas pleinement assumé. » Or « l’Etat ne peut pas rester hors la loi ». Tel est, en substance, le « message d’alerte » que le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a voulu faire passer au gouvernement dans son quatrième rapport annuel, rendu public le 15 décembre (1), appelant les pouvoirs publics à une « implication sans faille ».
Avec 6 000 recours mensuels enregistrés, le rythme de dépôt des recours amiables a continué de progresser entre juillet 2009 et juin 2010. Au total, ce sont 84 885 dossiers qui ont été déposés, donnant lieu à la délivrance de 68 704 accusés de réception (2). La comité note à cet égard une hausse de la part des recours déposés en vue d’obtenir un accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale. Le rapport en a en effet compté 8 972 sur cette période, ce qui représente 10,6 % de l’ensemble des recours des 12 mois. Or ce pourcentage n’était que de 6,2 % au cours du premier semestre 2008. Cette hausse s’est accélérée en particulier en 2010, le taux de « recours hébergement » s’élevant à 12 % au premier semestre 2010 puis à 13,4 % au second.
La tendance qui se dessinait dès les premiers mois de l’ouverture des recours, en 2008, s’est par ailleurs confirmée : la répartition territoriale des recours est demeurée très contrastée et l’Ile-de-France représente toujours les deux tiers d’entre eux. Hors Ile-de-France, l’« activité DALO » la plus forte a été enregistrée dans le département des Bouches-du-Rhône, avec plus de 5 300 dossiers déposés. Dans le même temps, 59 départements ont reçu moins de 10 dossiers par mois. Certains, comme la Meuse ou les Deux-Sèvres, n’en ont même reçu aucun depuis le 1er janvier 2008. Le « délai anormalement long » est le motif qui a été le plus invoqué par les demandeurs d’un logement (48,9 %).
Parmi la masse de données chiffrées communiquées par le comité de suivi, une en particulier « interroge » : le taux de décisions favorables prises par les commissions de médiation, en net recul pour la période de juillet 2009 à fin juin 2010. Il s’établit en effet à 43 % alors qu’il était de 51 % à fin juin 2009. Cette diminution, indique le rapport, est clairement imputable aux décisions prises en Ile-de-France sur des « recours logement ». Y a-t-il pour autant une relation entre la faiblesse du taux d’acceptation d’une commission et la tension du secteur ? Pour le comité, ça n’est pas impossible mais les chiffres de l’Ile-de-France montrent que « les choses ne sont pas aussi simples », Paris étant à la fois le département le plus tendu et celui où le taux de décisions favorables est le plus élevé.
Quid de la mise en œuvre de ces décisions favorables ? Globalement, les relogements intervenus après un recours logement ont connu une nette montée en charge au cours des derniers mois, indique le rapport. Ainsi, alors que leur nombre cumulé s’élevait à 11 411 en juin 2009, il est passé à plus de 27 500 en juin 2010. Les ménages ont été relogés quasi exclusivement dans le parc locatif social. Près de 3 000 ménages ont par ailleurs été hébergés à la suite d’un recours DALO, ce qui représente également une progression.
Pour autant, déplore le comité de suivi, ce rythme « reste très en dessous des besoins et les retards s’accroissent ». Le nombre de « prioritaires logement » sans offre au 30 juin 2010 était ainsi de 14 000 ménages dont 12 500 désignés par les commissions franciliennes (dont 10 000 par celle de Paris). Celui de « prioritaires hébergement » sans offre était, quant à lui, de 2 900, dont 2 200 franciliens (dont 663 des Hauts-de-Seine, département le plus en retard).
Cette situation a abouti à la condamnation de l’Etat dans de nombreux cas. Dans le détail, les recours devant les tribunaux administratifs pour non-mise en œuvre des décisions favorables logement ou hébergement dans le délai légal se sont ainsi élevés à 5 226 entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010, et sur les 4 844 jugements rendus sur la période, 77,6 % ont été favorables au demandeur.
Un « effet levier » incontestable…
Pour le comité de suivi, la loi DALO a eu un « effet levier incontestable », y compris en Ile-de-France « où l’on n’a jamais autant relogé de ménages en difficulté ». « L’obligation de résultat est globalement respectée dans trois départements sur quatre », souligne-t-il, et, « là où l’obligation n’est pas respectée, on reloge plus qu’avant ». L’Etat, note encore le rapport, « tend à se réapproprier son rôle, qu’il s’agisse de la gestion du contingent préfectoral ou du pilotage du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion ». En outre, le droit au logement fait l’objet de bonnes pratiques et le comité de suivi en a, du reste, identifié quelques-unes, notamment en matière de gestion de la demande de logement social. Il suggère notamment de généraliser la pratique de hiérarchisation des demandes de logement social en fonction des critères de priorité sociale et d’ancienneté.
Le bilan dressé par le rapport reste néanmoins assez sombre, avec de nombreuses insuffisances constatées dans l’application de la loi. Le comité de suivi déplore notamment que, en amont de la commission, l’information sur le DALO et l’accompagnement des demandeurs ne fassent l’objet que d’un « service minimum ». Il juge également que « l’instruction doit encore être améliorée », estimant par exemple « anormal » que, concernant les recours fondés sur le motif du caractère impropre à l’habitation, insalubre, dangereux ou non décent des locaux, la moitié des commissions statue sans un rapport des services compétents ou d’un opérateur mandaté pour constater l’état des lieux. Mais c’est sur les décisions mêmes des commissions que le comité a enregistré les plus graves dysfonctionnements. Il note par exemple que certaines décisions s’écartent de la loi par volonté de limiter le nombre de prioritaires. C’est ainsi qu’« on voit des commissions refuser des demandes de personnes dépourvues de logement au motif que leur demande [de logement social] est trop récente, ou ne pas prendre en compte un demandeur menacé d’expulsion tant que le concours de la force publique n’est pas accordé, ce qui conduit à intervenir trop tard », explique le rapport. Or « de telles décisions, qui tendent à considérer le DALO comme la simple inscription sur une liste d’attente jugée déjà trop remplie, méconnaissent la loi ». « Elles sont certes cassées par les tribunaux administratifs, mais ceux-ci sont peu saisis par les demandeurs et il est essentiel que leur jurisprudence soit intégrée par les commissions. » Aux yeux des membres du comité de suivi, pour remédier à cette situation, il faudrait notamment faire du guide des bonnes pratiques des commissions de médiation une référence reconnue.
L’impact de l’échéance du 1er janvier 2012
Le comité de suivi s’est, en dernier lieu, interrogé à propos de l’impact de l’échéance du 1er janvier 2012 sur le nombre de recours déposés. A cette date en effet, les personnes reconnues prioritaires au motif du délai anormalement long seront autorisées à exercer un recours devant le tribunal administratif si elles n’ont pas obtenu une offre adaptée dans le délai légal, ce qui les mettra à égalité de droits par rapport aux autres requérants (3). Pour le comité, cette situation ne devrait a priori concerner que les quelques départements qui enregistrent déjà des recours contentieux. Elle ne devrait donc pas entraîner un afflux de recours contre l’Etat. Mais elle pourrait avoir un « impact d’information » et conduire ainsi à une augmentation du nombre de recours amiables déposés pour le motif du délai anormalement long.
Le rapport rappelle à cet égard que le niveau des délais en vigueur est librement fixé par chaque préfet sans qu’aucune règle ait été édictée si ce n’est la prise en compte des « circonstances locales ». Il varie ainsi selon les départements entre six mois et… dix ans. « Pour que le recours ait du sens, avertit le comité, il faudrait cependant que cela ne conduise pas à des délais qui n’ont pas de rapport avec les besoins des demandeurs. » Il faudrait également que les recours pour délais anormalement longs soient correctement pris en compte par les commissions de médiation. En effet, « celles-ci ont des pratiques diverses, qui peuvent aller d’une acceptation quasi systématique, dès lors qu’il est avéré que le demandeur n’a pas reçu d’offre adaptée dans le délai, à un rejet tout aussi systématique si le demandeur ne justifie pas par ailleurs être mal logé ». Le comité de suivi propose en conséquence d’« objectiver et[d’]unifier le mode de fixation des délais anormalement longs avant 2012 ». Il suggère également de fixer des objectifs de réduction du délai anormalement long pour les départements où ils sont supérieurs à deux ans.
Disponible dans la docuthèque, rubrique « infos pratiques », sur
(1) L’Etat ne peut pas rester hors la loi – Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable – 4e rapport annuel – Décembre 2010.
(2) Ce décalage a deux explications : les dossiers déposés peuvent se révéler inexploitables, d’une part ; la délivrance des accusés de réception par les préfectures peut prendre du retard, d’autre part.
(3) Actuellement – et ce depuis le 1er janvier 2008 –, ce recours contentieux contre l’Etat est ouvert uniquement aux demandeurs non logés ou mal logés et aux demandeurs d’une place en hébergement ou en structure adaptée non satisfaits.