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SIAO : quels enjeux ?

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A l’heure où les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) pour les personnes sans abri ou mal logées se mettent en place, nous publions deux réflexions sur la prise en charge de ces publics. Stéphane Rullac, auteur de plusieurs ouvrages sur les SDF, analyse les enjeux de ces nouveaux services, tandis que Maryse Bastin et Christine Vigne, vice-présidente et secrétaire de la FNARS Rhône-Alpes, reviennent sur les valeurs et les principes qui ont guidé la mise en place, il y a deux ans, dans le Rhône, de la Maison de la veille sociale, un dispositif qui a préfiguré les SIAO.
STÉPHANE RULLAC

« Plaidons pour un droit à l’insertion non normative »

« Les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) pour les personnes sans abri ou mal logées marquent la maturité d’un dispositif qui s’est créé dans l’urgence en 1993 et a connu diverses évolutions, au rythme saisonnier de la compassion des morts hivernales dans la rue. La mobilisation des Enfants de Don Quichotte pendant l’hiver 2006-2007 a fait basculer la logique du court terme vers celle de l’accompagnement, que les SIAO entendent organiser à travers l’ensemble du secteur des prestations du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion (AHI) (1) : l’hébergement (urgence sociale, stabilisation et insertion), le logement adapté (maisons-relais) et la veille sociale (services d’accueil et d’orientation, 115, structures d’accueil de jour, SAMU social et équipes de maraude). Deux textes encadrent les SIAO : la circulaire du 8 avril 2010 qui présente le dispositif et celle du 7 juillet 2010 qui détaille les outils de sa mise en œuvre (2).

Les SIAO visent à organiser un « service public de l’hébergement et l’accès au logement » basé sur trois principes : la continuité de la prise en charge, l’égalité face au service rendu, l’adaptabilité des prestations aux besoins des personnes. La finalité est de favoriser des parcours d’insertion pour conduire vers l’autonomie. Ainsi, cette « plateforme unique » est présentée comme un moyen de favoriser la transition entre l’urgence et l’insertion, en fluidifiant l’accès au logement, selon le principe du « logement d’abord ». Il est ainsi affirmé que chacun peut potentiellement avoir accès au logement. Cette position éthique fonde la logique de ce dispositif qui entend rompre avec une tribalisation des sans-abri les plus désocialisés. Le premier enjeu des SIAO est donc d’affirmer que les sans-abri, en tant que citoyens normaux, ont le droit d’accéder à un service public normal de droit commun.

Les SIAO proposent d’inscrire ces principes dans l’application effective des textes législatifs préexistants, qui ne se traduisent que partiellement dans les faits aujourd’hui. Il s’agit notamment de s’appuyer sur la loi sur le droit au logement opposable (DALO), qui a introduit le principe de continuité de la prise en charge (3), et sur la loi « MOLLE » (Mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion) de mars 2009, qui a affirmé le principe de prise en charge inconditionnelle (4). C’est aussi dans cette perspective que les principes de la loi 2002-2 qui mettent « l’usager au centre du dispositif » sont revendiqués, tels que le projet individualisé, l’évaluation et la participation des usagers. Les SIAO sont enfin appelés à participer, dans le cadre du récent référentiel AHI, à rompre avec le faible encadrement législatif du secteur, le rythme saisonnier de mobilisation, les prises en charge à court terme, un personnel peu qualifié et la rareté des suivis individualisés. Le second enjeu de ces services est ainsi d’intégrer la prise en charge sociale des sans-abri par l’application du droit commun au niveau juridique et réglementaire.

De la régulation à la normalisation

« Dans chaque département est mis en place, sous l’autorité du représentant de l’Etat, un dispositif de veille sociale chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état [5]. » Les SIAO régulent les orientations vers l’ensemble des places d’hébergement (urgence, stabilisation et insertion) et une partie des logements adaptés, selon une évaluation des besoins de la personne ; coordonnent les acteurs locaux de l’hébergement et du logement, en harmonisant leurs différentes évaluations sociales ; veillent à appliquer le principe de continuité en s’appuyant sur des référents personnels. Le troisième enjeu des SIAO est d’harmoniser les prises en charge de tous les acteurs du secteur AHI, en normalisant leurs références méthodologiques en matière d’action sociale.

Ils doivent pour cela appliquer et diffuser des outils communs de gestion, tels qu’un outil informatique et une grille unique d’évaluation de la demande d’hébergement ou de logement et la création d’observatoires locaux afin de mieux évaluer les besoins et les réponses. Le quatrième enjeu des SIAO est d’harmoniser en normalisant les outils de mise en œuvre.

Le principal critère d’évaluation de ce dispositif est de mesurer sa capacité à normaliser la rationalité de la prise en charge des sans-abri, selon les critères du droit commun, du service public et de l’action sociale, selon quatre dimensions complémentaires : éthique, législative, méthodologique et technique. C’est à l’aune de cette logique qu’il convient de mesurer la pertinence et la cohérence de la création, puis de la mise en œuvre des SIAO.

Que pouvons-nous en dire aujourd’hui ? L’accès à la norme sociale, via l’insertion, pour un individu est un droit démocratique. Le travail social est tenu de favoriser la réalisation de cette valeur fondatrice de notre société. Jusqu’à aujourd’hui, le secteur AHI peine à le garantir, dans la mesure où les sans-abri ont principalement accès à des dispositifs ad hoc qui se sont développés à l’ombre des grandes rationalités historiques du travail social, voire en contradiction avec elles. En ce sens, l’avènement des SIAO qui participe à la normalisation de la prise en charge des sans-abri est une avancée historique. Pourtant, un écueil menace. Le droit à l’insertion ne doit pas être une obligation, ni former une idéologie de l’action sociale. En proclamant le « logement d’abord », quid de l’hébergement, qui est pour nombre de sans-abri un horizon indépassable ? Si l’objectif de relogement est une possibilité, un droit même, il ne doit pas être obligatoirement la finalité de tout suivi social. Si tel est le cas, tout refus, ou incapacité, à rejoindre un logement sera évalué comme un échec pour le service social et son usager. Le logement est un droit mais non une obligation ou une contrainte, tout comme le droit commun est un droit mais non une obligation, ni une finalité. Plaidons pour un droit à l’insertion non normative.

Le suivi social est une réponse à un besoin individuel et non l’application d’une doctrine, même si elle est vertueuse comme « le logement d’abord ». La normalisation doit porter sur les modalités de prise en charge et non sur les trajectoires individuelles. Les SIAO vont-ils mesurer et contourner ce risque idéologique ? Enfin, la différenciation entre opérateurs SIAO « urgence » et « insertion », dans certains départements, pose la question de la cohérence entre les principes et leur application. Organiser deux réseaux différents est-il le meilleur moyen de résorber la coupure entre urgence et insertion ? Certes non, et cette limite pose la question du partenariat entre opérateurs qui devront tenter de mettre en place un lien que le dispositif affirme, en organisant institutionnellement l’inverse. »

Contact : stephane.rullac@buc-ressources.org

L'AUTEUR

STÉPHANE RULLAC.

Educateur spécialisé, docteur en anthropologie, coordonnateur du CERA (Centre d’études et de recherches appliquées) pour Buc Ressources, et auteur de plusieurs ouvrages sur les personnes sans domicile – parmi lesquels Le péril SDF. Assister et punir (Ed. L’Harmattan, 2008) et Et si les SDF n’étaient pas des exclus ? Essai anthropologique pour une définition positive (Ed. L’Harmattan, 2005).

MARYSE BASTIN et CHRISTINE VIGNE

« Il faut tenir ensemble l’universel et le singulier »

« Il y a deux ans, la FNARS imaginait et créait la Maison de la veille sociale (MVS) du Rhône (6), fondée sur des modalités originales de coopération entre associations. Cette expérience a servi de modèle aux services intégrés de l’accueil et l’orientation, les SIAO, emblèmes de la réforme conduite actuellement par le gouvernement. Pendant deux ans, la Maison de la veille sociale a inventé, bousculé, testé de nouveaux modes de collaboration entre associations. Elle a parallèlement transformé l’accueil et l’orientation des personnes prises en charge.

Un double pari

Au moment où la MVS évolue juridiquement et prend un statut de GIP [groupement d’intérêt public], ses “créateurs”, avant de passer le témoin, voudraient rendre compte de ce qui a été fait, et transmettre cette courte histoire aux acteurs désormais impliqués dans le futur GIP. Outre le transfert des salariés et des biens matériels, les concepteurs ont souhaité transmettre les “biens immatériels” de ce projet à la fois universel et singulier. Plus que d’un testament, c’est d’un legs qu’il s’agit, celui du sens et de la philosophie de l’action qui a présidé à ce projet.

En 2007, à la suite du mouvement des Enfants de Don Quichotte, l’Etat promulguait une loi rendant tous les citoyens égaux devant le droit à l’accès au logement, avec l’affirmation du droit au logement opposable (DALO). Chacun a alors bien perçu la formidable avancée que cela représentait pour les personnes accueillies dans les structures d’hébergement, mais aussi sa conséquence : la profonde remise en question du secteur de l’hébergement, qui risquait d’être réduit à sa fonction asilaire, de se transformer en voix de garage pour les plus fragiles et de perdre sa dimension ambitieuse, l’insertion.

La conception et la création de la Maison de la veille sociale relevait de ce double pari : favoriser et revendiquer autant que nécessaire un accès au logement pour les plus démunis et faire reconnaître un hébergement adapté, proposant à chacun un accueil et un accompagnement digne de ce nom. La Maison se voulait un symbole d’ouverture, un carrefour où tous les acteurs de l’action sociale pouvaient se retrouver pour tendre vers cet objectif ultime : proposer à chacun une place singulière dans la cité.

Il a fallu imaginer le travail social reposant sur un “diagnostic partagé”, établi par plusieurs travailleurs sociaux, pourtant salariés d’établissements différents, mais travaillant ensemble dans la MVS. Ceux-là ont dû se départir de l’esprit maison consistant à recevoir et analyser les demandes des personnes par le filtre organisationnel de leur structure – “que vais-je pouvoir faire avec cette personne dans ma structure ? Quelles sont les “cases” libres dans ma structure ?” – pour une nouvelle question : “Où vais-je orienter cette personne dans l’ensemble du réseau de structures sur le département ? Quelle sera la meilleure réponse pour elle ?”

La Maison de la veille sociale a donc ouvert ses portes à toutes les personnes, dans toute leur diversité. Cela a forcément changé le travail social fait auprès d’elles. Il ne suffisait plus de tenter de les faire rentrer dans les cases des dispositifs. Il a fallu imaginer des dispositifs qui répondent à leur singularité. Quelle métamorphose !

De même, avec le soutien de l’Etat, de la ville de Lyon et du conseil général du Rhône, la Maison de la veille sociale s’est ouverte à tous les acteurs de l’action sociale : les associations, les CCAS, les Maisons du Rhône, les bailleurs sociaux…

Des besoins sortis de l’ombre

Enfin, grâce à ce travail collectif, on a pu identifier les besoins jusque-là restés dans l’ombre, faute d’observation départementale commune. On a su, par exemple, et au-delà des demandes en urgence, évaluer le nombre de personnes sans solution à un instant T et surtout identifier les profils de ces personnes. Des ébauches très imparfaites de réponses commencent ainsi à poindre, pour adapter nos dispositifs aux besoins, même si tout reste encore à construire pour être lisible, visible aux yeux de tous : professionnels, demandeurs mais aussi société civile.

Notre volonté d’en faire un lieu de regards croisés pour les travailleurs sociaux et les personnes accueillies ne relève pas d’autre chose que de cette croyance en la valeur ajoutée du partage et de la rencontre. Nous soutenons et affirmons que le travail social repose sur une vision collective de la société où l’individu n’existe que par la mise en lien aux autres. L’ouverture entraîne de la tolérance, de l’intelligence et de la compréhension partagées.

Le secteur de l’hébergement peut et doit sortir de l’ombre par son inscription collective et complémentaire dans la cité. Il doit rejoindre ainsi les autres acteurs qui tricotent le tissu social : le logement, le soin, l’économie, l’emploi, l’éducation. Pour ce faire, il doit se transformer, revendiquer, témoigner de son action citoyenne s’il ne veut pas être réduit à une simple fonction asilaire et gestionnaire de filières.

Entre le principe de réalité des coûts et le discours sur le thème “Un toit pour tous” qui peut rester incantatoire, les associations doivent affirmer leur identité singulière au service de l’universel : la personne humaine. La gestion des flux, dominante dans notre société moderne, ne fait que mettre en évidence que l’exclusion est un terme déjà dépassé tant notre monde est régi par un principe global qui ne parle que de vitesse et de circulation : nous sommes tous à la fois des “flués floués” (7) et les personne fragiles plus souvent qu’à leur tour.

Si la Maison de la veille sociale s’est instituée pour éviter la gestion anarchique d’un marché aux pauvres en garantissant un égal accès aux droits, elle ne peut donc se contenter d’être uniquement une gare de triage, un lieu de régulation qui rendrait alors opportunément invisible une réalité sociale qui heurte, celle des pauvres qu’on cacherait au regard des inclus et qui permettrait de maintenir l’illusion que nous “faisons société”.

Aussi, plus que jamais, est-il important de soutenir qu’un lieu tel que celui-ci doit rester un lieu pour tous, ouvert sur le monde dans une souplesse d’adaptation, une capacité de création qui ne l’assigne pas à devenir ce que nous avons refusé et combattu : un bidule technocratique de gestion des flux pour “techno-administrés”.

A l’heure où la globalisation montre ses limites pour construire le sens qui nous fait rester debout, il faut tenir ensemble l’universel et le singulier. “Il y a quelque chose en l’homme qui ne se définit pas, qui échappe en partie au langage, qui se décline au singulier et au pluriel et qui constitue la singularité de tout individu humain et l’égale appartenance de chacun au genre humain” (8).

La FNARS a su être un “passeur”. Elle entend aujourd’hui résolument perpétuer des valeurs et des principes universels et fondateurs de la MVS : des valeurs et des principes de solidarité, de fraternité, de laïcité et d’égalité. »

Contacts : mbastin@slea.asso.fr et vigne@hosocial.fr

LES AUTEURES

MARYSE BASTIN.

Vice-présidente FNARS Rhône-Alpes, secrétaire générale de la FNARS, directrice de pôles à la Société lyonnaise pour l’enfance et l’adolescence (SLEA).

CHRISTINE VIGNE.

Déléguée départementale de la FNARS 69, secrétaire de la FNARS Rhône-Alpes, directrice des CHRS à l’Association de l’Hôtel social à Lyon.

Notes

(1) Le nouveau référentiel est défini par la circulaire du 16 juillet 2010 – Voir ASH n° 2671 du 27-08-10, p. 10.

(2) Voir respectivement ASH n° 2657 du 30-04-10, p. 15 et n° 2671 du 27-08-10, p. 9.

(3) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 21.

(4) Voir ASH n° 2621 du 28-08-09, p. 47.

(5) Article L . 345-2 du code de l’action sociale et des familles.

(6) Voir ASH n° 2629 du 23-10-09, p. 38.

(7) Selon l’expression du philosophe Paul Blanquart.

(8) Mireille Delmas-Marty, citée dans un article de Catherine Labrusse-Riou intitulé « Que peut dire le droit de l’humain ? » et paru dans la revue Etudes d’octobre 2010.

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