Recevoir la newsletter

Prise en charge de l’hébergement des familles : l’ANAS rappelle les départements à l’ordre

Article réservé aux abonnés

Après avoir interrogé des professionnels dans 25 départements, l’Association nationale des assistants de service social lance un pavé dans la mare : certains conseils généraux limitent ou refusent le financement de l’hébergement des familles. Elle les rappelle à leur mission d’aide sociale à l’enfance.

Certains départements sacrifieraient-ils une partie de leur mission d’aide sociale à l’enfance (ASE) sur l’autel de leurs impératifs budgétaires ? C’est en tout cas ce qu’explique l’ANAS (Association nationale des assistants de service social), s’appuyant sur un dossier technique de 26 pages (1). Interpellée sur des dysfonctionnements, l’organisation a lancé un appel à ses adhérents sur la question de la prise en charge financière par l’ASE de l’hébergement des familles sans domicile, notamment après des violences conjugales ou une expulsion locative et en l’absence de solution en centre d’hébergement. Résultat : dans plus de la moitié des 25 départements concernés par les réponses – que l’association a choisi de ne pas citer –, « le droit n’est pas respecté ».

Si elle relève une grande disparité des pratiques, l’ANAS s’inquiète d’une tendance aux restrictions ou aux refus, qui se traduit par une « omission volontaire d’une partie du cadre législatif », l’« ajout de critères restrictifs à ceux prévus par les textes », la « diffusion d’une règle tacite qui ne se véhicule qu’oralement » ou un mode d’organisation « renforçant la logique gestionnaire aux dépens de la logique de mission ». Concrètement, cette orientation est souvent motivée par le renvoi vers la responsabilité de l’Etat en matière d’hébergement. Ou par la seule application de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, qui définit les catégories de publics pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. La loi du 25 mars 2009 sur la mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (MOLLE) y a ajouté « les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile ». Certains conseils généraux limitent du coup leur prise en charge à ces publics explicitement cités par la loi, en leur imposant parfois des conditions supplémentaires, ou à l’accueil provisoire des mineurs, selon l’ANAS. Avec comme conséquences des maltraitances institutionnelles. « Ces refus de soutien, donc de prévention, renforcent la précarité des familles, pouvant aller jusqu’à créer les conditions qui vont amener à proposer une mesure de protection », comme le placement de l’enfant, s’indigne l’association.

Contrer les « dérives institutionnelles »

Or, argumente-t-elle dans un avis juridique (2), la définition des missions de l’aide sociale à l’enfance peut à elle seule justifier la prise en charge d’un hébergement, au moyen d’une aide financière à la famille. Elle rappelle que, selon le code de l’action sociale et des familles, cette aide doit être attribuée lorsque la santé de l’enfant, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent et lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes (3). Le maintien dans le milieu familial doit en outre être privilégié, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant, souligne encore l’association.

Jugeant que les professionnels « repèrent difficilement le cadre de référence dans lequel est traitée cette question de l’hébergement des familles », elle formule des préconisations afin de contrer les « dérives institutionnelles ». Toute demande d’hébergement devrait être formalisée par écrit pour « garantir un traitement des personnes en tant que sujet de droit » et donner lieu à une évaluation montrant que la demande est pertinente au regard des missions de l’aide sociale à l’enfance. En cas de refus, la famille devrait être accompagnée dans une procédure de recours. Au-delà, l’ANAS annonce saisir la direction générale de la cohésion sociale afin qu’elle produise « une note d’orientation nationale » clarifiant les responsabilités. Elle souhaite également un projet de loi afin que la défenseure des enfants (dont les missions pourraient bientôt être intégrées dans le périmètre du futur défenseur des droits) puisse être saisie par des professionnels sur un dispositif ou une mission « en danger ».

Renvoi de balle

Egalement interpellée par l’ANAS, l’Assemblée des départements de France (ADF) n’a, pour l’heure, pas publiquement réagi. Pour autant, « on aimerait en savoir plus sur la méthodologie de l’enquête et la représentativité de ses résultats », s’irrite Jean-Pierre Hardy, chef du service « politiques sociales », sans contester l’analyse juridique de l’association. A un détail près : « La disposition de la loi MOLLE selon laquelle les conseils généraux financent, en plus des centres maternels, l’hébergement en CHRS des mères isolées avec enfants de moins de 3 ans et des femmes enceintes nécessite un décret d’application que l’Etat n’a pas pris », souligne-t-il. Or la question est sensible, le gouvernement réfutant l’argument d’un transfert de charges nécessitant une compensation financière aux départements.

Car il s’agit aussi d’un problème politique. Depuis deux ans, le conseil général de la Seine-Saint-Denis réduit l’utilisation de son « fonds d’aide généraliste », dont une partie est destinée aux familles en situation de précarité, pour les frais d’hébergement. « Nous avons consacré jusqu’à près de 70 % des aides financières aux hébergements d’urgence, explique Philippe Sacerdoti, chef du service départemental des aides financières. Sachant qu’un millier de familles est hébergé à l’hôtel, quand il reste 30 % des aides pour les 14 000 autres que nous aidons, cela pose aussi la question de l’égalité de l’accès aux droits et de la perversion du système. L’Etat recule sur ses compétences en matière d’accès à l’hébergement et au logement et laisse les collectivité s’en débrouiller ! Il ne faut pas se tromper de porte. » Le conseil général a donc choisi de se recentrer sur ses missions « en accueillant prioritairement les femmes enceintes et les mères isolées et, au cas par cas, en privilégiant les familles qui ont des fragilités particulières ou dont le dossier logement est susceptible d’aboutir ». Parallèlement, « il mène un combat pour que le 115 ait des moyens à la hauteur des besoins », insiste Philippe Sacerdoti.

C’est justement vers les services du 115 que sont renvoyées les personnes n’ayant pas bénéficié d’autres aides. « Nous suivons une famille orientée, excepté le week-end, chaque soir vers un hôtel et un département différent, en fonction des places, témoigne Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement. Le temps du trajet, elle n’arrive pas avant 23 heures sur place. Les enfants sont scolarisés à Montreuil. Ils dorment debout. Cela fait trois mois qu’ils subissent ce traitement ! » Entre mal-logement et mise en danger, c’est le serpent qui se mord la queue. Et pendant que les pouvoirs publics se renvoient la balle, que les moyens tardent, les familles en situation de précarité font les frais humains d’un manque de solution.

Notes

(1) Disponible sur http ://anas.travail-social.com.

(2) Rédigé à partir des avis demandés à Pierre Verdier, avocat au barreau de Paris et spécialiste de la protection de l’enfance, et à Laurent Selles, responsable de l’unité juridique de l’Institut d’enseignement supérieur de travail social de Nice.

(3) L’article L. 221-1 définit les missions de l’ASE et les articles L. 222-2 et L. 222-3 définissent les aides à domicile.

Sur le terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur