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Le service social hospitalier sous pression

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Chargées du suivi social des patients et de leurs familles, les assistantes sociales hospitalières tanguent sous le poids des réformes successives de l’hôpital. A l’heure de la mise en place des agences régionales de santé, elles veillent à conserver la spécificité de leur intervention sociale tout en s’adaptant aux nouveaux impératifs de rentabilité dans un contexte d’accroissement de la précarité.

« Les réformes qui visent à maîtriser les dépenses de soins se succèdent et s’accélèrent, observe Françoise Ricciuti, cadre socio-éducatif au centre hospitalier de Béziers. Elles ont un impact sur le volume d’activité du service social hospitalier, mais aussi sur sa place et son rôle en le plaçant sous la coupe de la finance. » Le plan « hôpital 2007 », dont les grandes lignes ont été an­noncées dès 2002, s’est déjà traduit par deux réformes majeures visant à réduire l’augmentation des dépenses de santé en mutualisant les ressources : une nouvelle gouvernance avec la création de pôles regroupant plusieurs services hospitaliers et la mise en place progressive de la tarification à l’activité (T2A).

Premier coup de butoir : l’organisation de l’hôpital en pôles s’accompagne de la hantise, pour les acteurs concernés, du démantè­lement du service social hospitalier. « Si l’option retenue consiste à éclater l’affectation des assistantes sociales hospitalières dans les pôles dirigés par des médecins qui connaissent mal leur rôle, il y a un risque de voir remise en question la mission sociale de l’hôpital », explique Marie-Joseph Auvray, cadre socio-éducatif au centre hospitalier du Bassin de Thau à Sète (Hérault). Dans ce cas, en effet, le chef de pôle peut tout à fait arbitrer entre plus d’infirmières et moins ­d’assistantes sociales hospitalières par exemple. « Il devient également impossible de conserver une dynamique d’équipe », se plaint Claudine Maurey-Forquy, présidente de l’Association professionnelle des services sociaux hospitaliers et de la santé (AProSSHeS) (1).

Prenant la mesure du danger, l’association a fait, dès 2005, des recommandations allant dans le sens du rattachement du ­service social à la direction de l’hôpital ou à un pôle transversal. Une formule qui a l’avantage de conserver l’unité et l’identité du service sans empêcher la mise à disposition des assistantes sociales hospitalières dans les différents pôles médicaux en fonction des besoins. Au centre hospitalier de Béziers, les 24 assistantes sociales hospitalières sont ainsi intégrées aux huit pôles médicaux (soins critiques, clinique médicale, neuro-cardio-vasculaire, femme-mère-enfant, chirurgie des membres et de la face, cancérologie, psychiatrie et gérontologie) tout en restant sous la responsabilité des deux cadres socio-éducatifs qui assurent la transversalité des missions du service social directement relié à la direction générale. « Au­tant nous coopérons à la prise en charge médico-psychologique, autant nous souhaitons conserver notre spécificité en évitant d’être fondus dans les soins », observe Françoise Ricciuti.

« Globalement, il y a eu beaucoup d’inquiétudes lors de la mise en place des pôles mais, aujourd’hui, nous sommes à peu près rassurées », constate Claudine Maurey-Forquy. Selon elle, environ 80 % des services sociaux hospitaliers (hors psychiatrie) sont désormais rattachés à un pôle administratif de direction. Reste que, sur le terrain, il n’y a aucune homogénéité : de nombreux services sociaux continuent, sans grande cohérence, à être rattachés de façon aléatoire au pôle chargé des ressources humaines ou au pôle clientèle, voire au pôle financier – avec le risque, dans ce dernier cas, que le service social ne devienne l’instrument d’une politique de réduction budgétaire visant prioritairement à limiter la durée de séjour des patients.

On rejoint là le deuxième volet du plan « hôpital 2007 » : la T2A. Avec ce système qui lie les recettes de l’hôpital à son activité (2), les assistantes sociales hospitalières subissent des pressions pour « faire tourner les lits » – autrement dit, pour raccourcir l’hospitalisation des malades afin qu’ils ne fassent pas perdre de l’argent à l’établissement (voir encadré, page 29) (3). « La durée moyenne des séjours a tendance à diminuer nettement, ce qui nous pousse à voir les patients le plus vite possible, dès le premier jour dans certains cas, note Claudine Maurey-Forquy. Dans cette logique, les patients dont on s’occupe sont considérés comme de “mauvais malades” au sens où ils ont des difficultés sociales telles qu’il est plus difficile de leur faire quitter rapidement l’hôpital. » La contrainte s’exerce particulièrement dans les services d’urgence : en retardant la sortie du patient, les interventions des assistantes sociales – qui consistent, dans ce cas, principalement à actionner des relais à l’extérieur de l’hôpital – sont rarement accueillies à bras ouverts.

« Faire du cousu main »

En outre, cette injonction à gérer les flux a des répercussions sur la préparation des sorties, vouée à être réalisée en un temps record. Que ce soit pour des soins de suite et de réadaptation, le transfert vers un établissement spécialisé ou le retour au domicile (sachant que ce dernier, s’il est trop précoce, multiplie les risques de ré-hospitalisation) (4), les assistantes sociales hospitalières sont amenées à mobiliser leur réseau pour trouver des solutions adaptées à chaque cas. Ce travail d’ouverture sur la cité, de lien entre l’hôpital et l’extérieur, est même une facette très importante de leur métier. « Or faire du cousu main suppose d’entretenir des liens avec les organismes de soins à domicile et les associations locales », explique Marie-Paule Queval, cadre socio-éducatif au centre hospitalier d’Abbeville (Somme). Comme de « connaître les dispositifs de suivi qui ne cessent de changer et les nouveaux partenariats mis en place par les hôpitaux qui conventionnent de plus en plus », observe Françoise Ricciuti. Il faut également tenir compte du fait que les services de soins de suite et de réadaptation, qui pourraient parfois servir utilement de sas vers un établissement spécialisé, sont largement embouteillés.

Quant à passer la main aux assistantes sociales de secteur, elles-mêmes débordées et peu au fait des problématiques de santé, ce n’est pas toujours possible – même si, du fait de la limitation de la durée des séjours, l’accompagnement social se fait de moins en moins pendant une hospitalisation et de plus en plus lors d’une consultation de jour. Dans ce dernier cas, les assistantes sociales hospitalières n’ont plus à se préoccuper de la préparation de la sortie des malades. Leur mission se concentre sur d’autres axes tout aussi essentiels : faciliter l’accès aux droits et aux soins, aider à la réorganisation familiale qu’implique l’hospitalisation, prévoir les incidences budgétaires de la maladie… Or, pour ces missions, là aussi la pression s’accroît sur les assistantes sociales hospitalières. Car, indépendamment de la T2A, l’augmentation de la pauvreté crée un surcroît de travail avec des situations de plus en plus complexes (voir encadré, page 30).

Paradoxalement, prendre à bras-le-corps cette dimension sociale n’est pas sans in­térêt pour les établissements. En accompagnant les patients dans l’accès aux droits, les assistantes sociales hospitalières peuvent en effet limiter les impayés, générant des économies pour l’hôpital – ce qui n’est jamais négligeable dans un contexte où la rentabilité n’est plus un mot tabou. « Il y a quelques années, notre service social a permis de recouvrer un million de francs, simplement en récupérant des frais de séjour après avoir ouvert des droits à un patient », raconte Claudine Maurey-Forquy. « Nous devons montrer que notre approche globale du patient peut être tout à fait ­profitable pour l’hôpital, explique Marie-Joseph Auvray. ­Crédibilité, valeur ajoutée, rentabilité : ce sont des termes que nous sommes obligées de nous approprier. »

Dans cette perspective, des réflexions sont actuellement en cours (dans les hôpitaux et au sein de l’association professionnelle) pour codifier les actes réalisés par les services sociaux hospitaliers et les intégrer dans les modalités de calcul de la T2A. Elles pourraient déboucher sur la création d’un « indice de complexité » (prenant en considération, par exemple, l’absence de logement ou la non-maîtrise du français), qui permettrait de prolonger la durée de séjour d’un patient en difficulté sans entraîner un surcoût pour l’hôpital. « Cette solution est tout à fait intéressante, il nous faut absolument tendre vers elle », note Claudine Maurey-Forquy. « Encore faut-il réussir à sensibiliser les agences régionales de santé sur cette question, tempère Françoise Ricciuti. Or ce n’est pas évident : les services sociaux hospitaliers sont du social dans le sanitaire et, à ce titre, ils n’ont qu’une place subsidiaire. »

Ne pas subir les réformes

Bien qu’elle soit défendue par les assistantes sociales hospitalières et qu’elle semble à terme incontournable, la codification des actes sociaux n’est toutefois pas sans danger pour le service social. Par son biais, il pourrait en effet rapidement se retrouver instrumentalisé à des fins uniquement économiques, sa vocation se limitant à faciliter la sortie des patients. « A nous d’être vigilantes pour que le service social ne se réduise pas à un traitement administratif des situations et qu’il continue à insuffler une vision sociale qui ne fasse l’impasse ni sur la déontologie professionnelle, ni sur une prise en charge globale », défend Françoise Ricciuti.

Ne pas subir les réformes mais s’en saisir comme d’une opportunité pour renforcer leur rôle au sein de l’hôpital en devenant force de propositions : tel est l’objectif que se fixent désormais les assistantes sociales hospitalières. Plutôt que d’assister à l’informatisation de l’orientation vers les soins de suite et de réadaptation sans rien faire, avec le risque de voir l’évaluation sociale réduite à la portion congrue, des assistantes sociales hospi­talières de Beauvais (Oise) se sont ainsi saisies de la question et forment aujourd’hui tous les utilisateurs (médecins, agents administratifs…) du logiciel en les sensibilisant à la dimension sociale. « Une convalescence n’est pas sans répercussion sur la vie sociale d’une personne, explique Marie-Paule Queval. Si elle est transférée vers un autre établissement, il faut par exemple être attentif à ne pas l’envoyer trop loin de chez elle sinon elle risque de déprimer faute de visites. »

Cette volonté d’élaborer des solutions constructives plutôt que de baisser les bras est partagée par les assistantes sociales des centres hospitaliers de Béziers et du bassin de Thau à Sète, qui ont suivi une formation-action en 2008 et 2009. Objectif : créer un outil d’évaluation de l’intervention sociale mesurant, par exemple, le temps passé pour les différents actes du service social. « Cela permettra de valoriser notre activité sociale et de contractualiser avec les pôles sur la base d’indicateurs précis », explique Françoise Ricciuti. Pour l’instant en phase d’expérimentation dans la région Languedoc-Roussillon, cet outil pourrait, à terme, servir de support à l’élaboration et à la généralisation des contrats d’intervention sociale qui formalisent d’ores et déjà dans certains hôpitaux les engagements réciproques du pôle et du service social.

En bousculant leurs habitudes de travail, le plan « hôpital 2007 » a ainsi poussé les assistantes sociales hospitalières à revendiquer davantage leur place au sein de l’hôpital. Ses conséquences commençaient à peine à être pleinement identifiées que la loi « HPST » (hôpital, patients, santé et ­territoires) du 21 juillet 2009 est venue à nouveau troubler le jeu. Nouvelles actrices, les agences régionales de santé (ARS) ont été créées en avril 2010. « On commencera à en voir vraiment les effets dans un an », prévoit Marie-Joseph Auvray. Parmi leurs objectifs : approfondir la mutualisation des moyens amorcée par le plan « hôpital 2007 ». Dans les petits hôpitaux, cette habitude est déjà une réalité. Elle n’est d’ailleurs pas forcément négative. « Mutualiser permet de mettre en place des logi­ques d’intervention intéressantes, analyse Marie-Paule Queval. Créer un poste d’as­sistante sociale hospitalière à mi-temps sur les urgences et à mi-temps sur une permanence d’accès aux soins de santé [PASS] a du sens dans la mesure où cela permet de mieux prendre en charge un sans-abri dénutri sans mutuelle par exemple. Idem pour un poste d’assistante sociale partagé entre le service des urgences et une unité médico-judiciaire [5]»

« Quid » de l’accès aux soins ?

La loi « HPST » modifie également la direction des pôles. Là encore, pas nécessairement dans la mauvaise direction. Dorénavant, les directeurs de pôle décident de nommer qui ils veulent comme assistant de pôle, y compris un cadre socio-éducatif ou une assistante sociale hospitalière (même si cela reste encore rare). « Au début, cela a un peu fait tiquer, reconnaît Marie-Joseph Auvray, cadre socio-éducatif et assistante du pôle médico-social dans son hôpital. Pourtant, c’est tout à fait cohérent avec l’organisation du pôle qui comprend le service social et l’unité d’addictologie. »

Malgré ces possibilités nouvelles, beaucoup s’étonnent néanmoins de la célérité avec laquelle a été votée cette nouvelle loi alors même que « le plan “hôpital 2007” n’a pas encore été évalué », comme le souligne Claudine Maurey-Forquy. La loi « HPST », en regroupant les hôpitaux publics et privés dans une catégorie unique d’« établissements de santé » soumis aux mêmes règles de financement, ne pourra se faire qu’au détriment des premiers qui continueront à accueillir les pathologies les plus graves et les patients les plus précaires, s’inquiète la présidente de l’association. « Les pouvoirs publics annoncent toujours comme prioritaires le droit des patients et l’accès aux soins mais, dans le détail, tout ça est oublié », déplore également Marie-Paule Queval. Selon elle, plus que de tarification ou de mutualisation de moyens, ce dont le patient a besoin – notamment lorsqu’il est précaire –, c’est de proximité. « Quand le soin ne va pas vers le malade, il est difficile de le rendre accessible », constate-t-elle. Dans cette perspective, l’hôpital doit être, d’après elle, un observatoire de la santé publique capable de s’adapter aux besoins des malades.

Encore faut-il qu’il puisse s’appuyer sur des réseaux forts, en externe ou en interne. Or, au-delà de la loi « HPST », les politiques actuelles entraî­nent des réactions en chaîne. Exemple concret : la fermeture programmée du tribunal de grande instance d’Abbeville va grandement complexifier le travail des assistantes so­ciales hospitalière de pédiatrie de l’hôpital local puisqu’elles devront désormais se rendre à Amiens pour accompagner les familles lors des jugements les concernant dans le cadre de la protection de l’enfance.

Enfin, autre motif d’inquiétude récurrent : les moyens attendus sont rarement au ­rendez-vous. « Nos besoins sont souvent sous-évalués par les directeurs d’établissements, regrette Marie-Paule Queval. Certains services ne comptent souvent qu’une assistante sociale à mi-temps alors qu’ils auraient grand besoin d’un temps plein. C’est le cas en cancérologie, étant donné les incidences du cancer sur l’ensemble de la vie des personnes. » Si des financements supplémentaires ont pu être perçus pour certaines actions menées par les services sociaux hospitaliers via les enveloppes MIGAC (missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation), ces dernières ne sont pas pérennes ; un gel pourrait même être envisagé prochainement. Dans le contexte de non-remplacement d’un poste de fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraite, mesure qui touche bien enten­du aussi les services sociaux hospitaliers, la situation deviendrait vite très tendue.

« Cela nous pousse à être inventives pour trouver des solutions et des fonds », témoigne Marie-Paule Queval. Mais cette créativité s’accompagne aussi d’un stress intense. Selon Jacqueline Duchêne, responsable de l’atelier « souffrance au travail » au sein du mouvement MP4-Champ social, les assistantes sociales hospitalières subissent une profonde détérioration de leurs conditions de travail : « Réduction drastique des moyens, mobilité des personnels, prises en charge morcelées, course et urgence, impossibilité de maintenir les conditions relationnelles de la rencontre avec l’autre comme sujet (certaines assistantes sociales hospitalières n’appellent plus les patients par leur nom mais par leur numéro de lits) : la course de chacune empêche le travail collectif, l’élaboration en équipe, la prise en compte des différentes dimensions de la personne bio-psycho-sociale », analyse-t-elle. « Avec les réformes hospitalières, les assistantes sociales hospitalières ont l’impression de perdre le sens de leur travail, confirme Marie-Joseph Auvray. Elles ont le sentiment de devenir des prestataires de services dont le rôle consiste à préparer la sortie des patients dans une logique de rentabilité qui n’était pas dans leur culture. » « Dans l’ensemble, on fait partie intégrante de l’équipe pluridis­ciplinaire mais ce n’est jamais entièrement acquis ; nous devons continuellement défendre notre place et montrer ce que l’on sait faire », note, pour sa part, Claudine Maurey-Forquy.

Dans les arbitrages qu’elles auront à faire, les ARS sauront-elles prêter une oreille attentive aux services sociaux hospitaliers ? « Pour l’instant, nous demandons à être intégrées dans leurs commissions de travail pour faire valoir notre vision sociale et assurer la prise en compte des publics fragiles », explique Marie-Paule Queval. « Nous n’avons d’autres choix que d’investir les espaces de négociation existants pour défendre une certaine éthique et porter nos positions », atteste Françoise Ricciuti. Si ces dernières ne sont pas entendues, la crainte ultime est l’externalisation du service social : « Au Canada, les hôpitaux passent déjà des conventions avec des associations de travailleurs sociaux extérieures aux établissements. A nous d’être aux aguets pour que ce mouvement ne gagne pas la France », prévient Marie-Joseph Auvray.

LES ASSISTANTES SOCIALES HOSPITALIÈRES MALADES DE LA T2A ?

Dans le cadre de sa formation au Caferuis (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale), Françoise Ricciuti, cadre socio-éducatif au centre hospitalier de Béziers, a réalisé, en 2008, une enquête sur les conséquences de la T2A (tarification à l’activité) auprès de 40 assistantes sociales hospitalières des hôpitaux de Béziers, Sète et Montpellier (6).

« A l’époque, l’application totale de ce nouveau mode de financement étant récent, elles avaient peu de recul et leurs réponses s’appuyaient plus sur des représentations que sur des constats empiriques, note-t-elle. Cette enquête reste néanmoins très représentative en ce qu’elle montre qu’un mouvement s’amorce tant au niveau du volume d’activités que des modalités d’intervention du service social hospitalier. »

De fait, ses conclusions sont éloquentes : 85 % des assistantes sociales interrogées redoutent que la T2A n’implique une réduction de l’intervention sociale à la seule organisation de la sortie de l’hôpital et 75 % soulignent le risque d’instrumentalisation du service social à des fins de placements ou de recouvrement des impayés. Elles sont majoritaires à constater un accroissement de la pression dans le sens d’une plus grande rapidité d’intervention, une amplification de leur charge de travail et une augmentation du turn-over des patients avec des sorties jugées prématurées et des orientations opportunistes. La moitié d’entre elles déplorent que le patient soit réduit à une pathologie et à un coût. Globalement, les assistantes sociales interrogées sur leur vécu professionnel font état d’insatisfaction, de stress, de sentiment d’épuisement, d’isolement et d’un manque de reconnaissance. « Ces réponses traduisent une prise de conscience des enjeux de la T2A et de la nécessaire intégration, dans leur système de références, de la logique financière dans laquelle entre l’hôpital », analyse Françoise Ricciuti.

UN RÔLE ESSENTIEL DANS L’ACCÈS AUX SOINS DES EXCLUS

Titulaires du diplôme d’Etat d’assistant de service social (DEASS), les 4 500 assistants de service social hospitalier (soit environ 10 % de l’effectif global des assistants de service social en France) exercent principalement dans les hôpitaux publics (surtout dans les centres hospitaliers universitaires [CHU] et dans les hôpitaux psychiatriques). Ils relèvent de la catégorie B de la fonction publique hospitalière (FPH) sous le titre d’assistants socio-éducatifs créé par le décret du 26 mars 1993 et sont placés sous la houlette de cadres socio-éducatifs (catégorie A de la FPH).

A l’articulation du social et du sanitaire, les assistantes sociales hospitalières (ce sont principalement des femmes) sont chargées du suivi social des patients en difficulté et de leurs familles lors de l’hospitalisation ou des consultations à l’hôpital. Il s’agit plus concrètement d’informer, d’évaluer les besoins, d’orienter, d’établir ou rétablir des droits sociaux, de rédiger des signalements, de prévenir les difficultés matérielles liées à des interventions médicales coûteuses… Mais aussi de préparer la phase de post-cure en organisant les soins de suite et de réadaptation, le transfert vers un établissement spécialisé ou l’aide à domicile. Ou encore de mettre en place des actions de prévention (7).

Malgré ces missions communes, le métier diffère grandement selon les services médicaux. « En psychiatrie, l’assistante sociale hospitalière cale son intervention sur l’évolution de la pathologie du malade alors qu’en MCO [médecine, chirurgie, obstétrique], c’est le rythme médical qui prime : si un patient doit sortir dans dix jours, il faut trouver une solution dans ce laps de temps quelle que soit sa situation », note Marie-Paule Queval, vice-présidente de l’Association professionnelle des services sociaux hospitaliers et de la santé. L’augmentation du nombre de maladies chroniques nuance toutefois ce constat : plus la maladie est longue, plus l’assistante sociale a, en effet, la possibilité de suivre les patients sur le long terme. En pédiatrie, l’investissement émotionnel est particulièrement fort : souvent confrontées à des hospitalisations de plusieurs semaines, les assistantes sociales hospitalières ont le temps de nouer des liens étroits avec l’ensemble de la famille. Il y est également plus facile de créer une dynamique autour de projets collectifs – à l’instar de l’association « L’île aux enfants », à l’hôpital Necker, qui gère notamment trois appartements occupés par des familles de malades hospitalisés sur de longues périodes. « En chirurgie notre intervention est beaucoup plus ponctuelle – elle se fait même parfois avant l’opération lorsque celle-ci est programmée », explique Claudine Maurey-Forquy, présidente de l’association professionnelle.

Indépendamment du secteur d’intervention, les assistantes sociales hospitalières assistent à une aggravation générale de la précarité des patients.

« Certains ont refusé d’ouvrir leur porte aux autres services sociaux et déposent à l’hôpital tout leur fardeau, constate Marie-Paule Queval. On voit de plus en plus de personnes âgées endettées ou qui renoncent à leur mutuelle car elles préfèrent donner 70 € par mois à leurs enfants ou petits-enfants au chômage. Mais aussi des adolescentes qui avortent à 15 ans et qu’on retrouve ensuite pour une grossesse précoce. J’observe aussi la résurgence de pathologies de la précarité, comme la gale, avec des patients qui reviennent régulièrement à l’hôpital car la désinfection de leur environnement n’est pas pris en charge par la sécurité sociale. » « Nous accueillons globalement davantage de personnes sans aucun droit – notamment des patients en situation irrégulière – pour lesquelles nous sollicitons les associations, sous forme d’aide alimentaire par exemple, quand nous avons épuisé le recours aux dispositifs de droit commun », note Claudine Maurey-Forquy, qui remarque une nette progression de l’activité du service social. Par son truchement, l’hôpital devient ainsi un lieu central pour détecter des problématiques sociales jusque-là passées inaperçues.

Dans ce contexte, les assistantes sociales hospitalières jouent un rôle essentiel dans l’accès aux soins des exclus en facilitant la prise de rendez-vous avec un médecin, en ouvrant un dossier CMU (couverture maladie universelle), en utilisant la ligne budgétaire d’urgence de la pharmacie de l’hôpital… A ce titre, les PASS (permanences d’accès aux soins de santé), créées dans les hôpitaux par la loi de lutte contre les exclusions de 1998 et dotées d’un financement pérenne, représentent pour elles un outil supplémentaire. « Elles confirment notre rôle, souligne Marie-Paule Queval. Encore faut-il que l’hôpital ait pris l’initiative d’en constituer une et qu’il facilite la coordination avec les urgences, la médecine interne, les collectivités locales (ces dernières peuvent notamment prendre en charge une partie du transport du malade)… La faire peser uniquement sur les assistantes sociales hospitalières est réducteur. »

Notes

(1) L’AProSSHeS a été créée en 2001 en remplacement de la délégation nationale de l’association européenne des assistantes sociaux hospitaliers et de la santé (AEASHS) – www.ashopital.com.

(2) Seuls les services de MCO (médecine, chirurgie et obstétrique) sont pour l’instant concernés. La psychiatrie et les soins de suite et de réadaptation continuent à être financés par une dotation globale de fonctionnement.

(3) La T2A fixe des durées de séjour maximales en fonction des pathologies des patients au-delà desquelles ils deviennent un coût pour l’hôpital.

(4) Effet pervers de la T2A : un patient qui sort dans les délais prévus mais est réhospitalisé quelques jours plus tard génère de nouvelles recettes, alors que s’il avait dépassé le temps imparti, il aurait coûté de l’argent à l’établissement.

(5) Les UMJ sont des lieux de soins d’urgence qui accueillent, sur réquisition judiciaire, des adultes ou des enfants. Les assistantes sociales hospitalières y interviennent notamment dans le cadre de la protection de l’enfance et des violences conjugales.

(6) Contact : francoise.ricciuti@ch-beziers.fr.

(7) En 2003-2004, l’Association professionnelle des services sociaux hospitaliers et de la santé (AProSSHeS) a élaboré deux référentiels de compétences très complets pour les cadres socio-éducatifs et pour les assistants sociaux hospitaliers – Hôpital Necker-Enfants malades : 149, rue de Sèvres – 75015 Paris – Tél. 01 44 49 47 79 – aprosshes@voila.fr – www.ashopital.com.

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