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Contentieux des 35 heures dans la BASS : une décision inattendue de la Cour de cassation

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Presque huit années après la promulgation de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi (1), censée mettre un terme à une jurisprudence très coûteuse pour les établissements sociaux et médico-sociaux à but non lucratif, le contentieux du passage aux 35 heures dans ces établissements n’est toujours pas clos (2). Ainsi en a décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 24 novembre.

« Un droit acquis » depuis le 1er janvier 2000, selon les requérants

En l’espèce, cinq salariées d’une association gérant une maison d’enfants à caractère social et éducatif ont, entre décembre 2004 et janvier 2005, saisi la juridiction prud’homale de demandes de rappels de salaire pour la période du 1er janvier 2000 au 30 septembre 2001. Selon les requérantes, l’accord du 1er avril 1999 organisant la réduction du temps de travail (RTT) dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (BASS) (3) obligeait en effet leur employeur d’alors à abaisser l’horaire collectif dès la fixation de la durée légale à 35 heures, soit dès le 1er janvier 2000 dès lors que l’association comportait plus de 20 salariés. Or elles ont continué a travailler 39 heures par semaine sans aucune contrepartie financière jusqu’au 30 septembre 2001, date de mise en œuvre effective des 35 heures dans l’association les employant.

Estimant avoir, « depuis le 1er janvier 2000, un droit acquis à la perception de sommes consécutives aux modalités financières de la RTT », les salariées ont demandé qu’elle leur règle les heures effectuées au-delà de 35 heures, en tant qu’heures supplémentaires, majorées de la bonification alors applicable.

Une application après agrément de l’accord conventionnel

Pour s’opposer à cette demande, l’association a invoqué l’article 8 de la loi « Fillon » du 17 janvier 2003. Intervenant, entre autres, après un arrêt du 4 juin 2002 de la Cour de cassation rendu en faveur des salariés (4), ce texte est venu mettre un terme – du moins, le croyait-on – au contentieux 35-39e heure, en énonçant que, dans les établissements de santé et les établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif financés en tout ou partie par des crédits publics, l’indemnité de RTT – destinée à maintenir le salaire à son niveau antérieur lors du passage aux 35 heures – n’est due qu’à compter de la date d’entrée en vigueur des accords collectifs locaux permettant le passage effectif aux 35 heures. Entrée en vigueur qui est subordonnée à un agrément ministériel. Ainsi le législateur, pour contrer une jurisprudence très coûteuse, est venu valider le principe selon lequel le paiement de l’indemnité de RTT n’était dû qu’à compter de la mise en œuvre effective de la RTT et non à partir de la date d’entrée en vigueur de la durée légale à 35 heures (1er janvier 2000 ou 2002, selon l’effectif). Mais cette règle n’est pas applicable aux décisions de justice devenues définitives, ni aux instances en cours à la date du 18 septembre 2002 (5) pour lesquelles les juges étaient donc libres de se conformer à l’interprétation de la Cour de cassation et de condamner l’établissement à payer le différentiel de salaire.

« L’existence d’une espérance légitime »

En l’espèce, les cinq salariées ont saisi la justice postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2003. Leur employeur a fait valoir cet argument et la cour d’appel l’a retenu. Les juges ont ainsi déclaré irrecevables les demandes des requérantes au motif que, « en l’état des recours engagés par les salariées postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi du 17 janvier 2003, aucune créance salariale relative au complément différentiel litigieux ne pouvait naître puisque le non-paiement de ce complément, découlant de l’application de cet article, était devenu licite en l’absence de rétroactivité de cette application ».

Les salariées se sont alors tournées vers la Cour de cassation, qui les a entendues. Les juges d’appel, qui avaient constaté que les demandes de rappels de salaire invoquées portaient sur la période de 1er janvier 2000 au 30 septembre 2001 (antérieure donc à l’entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2003) auraient dû, selon la Haute Juridiction, en déduire « l’existence d’une espérance légitime ». Ils leur appartenaient « de vérifier si l’application rétroactive de cette loi respectait un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens », a-t-elle considéré, invoquant l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales à l’appui de sa décision. La Cour de cassation a ainsi estimé que « caractérise un bien, au sens [de ce] texte, l’intérêt patrimonial qui constitue une “espérance légitime” de pouvoir obtenir le paiement de rappels de salaires pour les compléments différentiels de salaire prévus par un accord collectif en vue d’assurer aux salariés la garantie du maintien de leur rémunération mensuelle en vigueur à la date de la réduction collective du temps de travail ».

Une portée limitée ?

En clair, la Cour de cassation a considéré que la loi « Fillon » du 17 janvier 2003 ne pouvait faire obstacle à la demande de salariés qui invoquent une jurisprudence antérieure qui leur est favorable, dès lors qu’ils peuvent se prévaloir d’une « espérance légitime ». Peu importe que leurs recours aient été engagés après l’entrée en vigueur de ce texte, qui ne peut porter atteinte à une espérance légitime de créance que si l’intérêt général l’impose.

Plus encore que la décision, c’est la portée de l’arrêt de la Cour de cassation qui pose question. A tout le moins, il a de quoi susciter pour les associations certaines inquiétudes, compte tenu des incidences financières majeures susceptibles d’en découler. Reste que, dans cette affaire, la Cour de cassation n’a pas tranché la question sur le fond, renvoyant à la cour d’appel le soin de vérifier s’il y a un juste équilibre entre le droit des biens, protégé par le protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et l’intérêt général. De plus, en matière de salaire, la prescription est quinquennale, ce qui signifie qu’un salarié ne peut réclamer un rappel de salaire au-delà de cinq ans en arrière.

[Cass. soc, 24 novembre 2010, n° 08-44.181 et autres, disponible sur www.legifrance.gouv.fr]
Notes

(1) Voir ASH n° 2291 du 27-12-02, p. 9 et n° 2294 du 17-01-03, p. 13.

(2) Sur ce contentieux, voir ASH n° 2345 du 6-02-04, p. 8.

(3) Voir ASH n° 2114 du 9-04-99, p. 11.

(4) Cass. soc. 4 juin 2002, n° 01-01.318, disp. sur www.legifrance.gouv.fr. S’agissant de structures appliquant la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, les juges suprêmes ont estimé que, en application d’un accord-cadre sur la réduction du temps de travail prévoyant le maintien de la rémunération des salariés passés aux 35 heures par le versement d’une indemnité compensatrice de réduction du temps de travail, la mise en œuvre des 35 heures au 1er janvier 2000 (ou 2002 selon l’effectif) n’était pas subordonnée à la conclusion d’un accord d’entreprise complémentaire ni à la diminution effective du temps de travail. Et que, de ce fait, les salariés qui avaient continué à travailler après cette date sans avoir bénéficié de la RTT avaient droit à l’indemnité compensatrice de maintien du salaire à son niveau antérieur mais aussi au paiement des heures accomplies au-delà de 35 heures, en tant qu’heures supplémentaires, majorées de la bonification légale alors applicable (10 %). Dans un arrêt du 14 janvier 2004, la Cour de cassation a retenu la solution inverse s’agissant d’établissements relevant de la convention collective du 31 octobre 1951 (FEHAP).

(5) Date de présentation du projet de loi « Fillon » en conseil des ministres.

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