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En formation rapprochée

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Au cœur de Paris, le centre social La Clairière forme des femmes éloignées de l’emploi au métier d’auxiliaire parentale. Grâce au maillage entre formation, accompagnement social, préparation à l’emploi et soutien dans le poste, le dispositif permet la création d’une trentaine d’emplois stables chaque année. Soit autant d’enfants gardés dans de bonnes conditions.

Le rendez-vous a été fixé ce lundi, à 12 h 30, dans une salle du centre social La Clairière (1). Comme chaque fois, les vêtements de fête traditionnels se mêleront aux tenues plus occidentales, pour célébrer l’entrée dans une nouvelle vie de Marlyse D., de Colette Z., de Mariama S. et des autres. En présence des élus du IIe arrondissement de Paris, elles recevront leur attestation de compétences d’auxiliaire parentale, chargée de la garde des enfants de moins de 3 ans au domicile des parents. Un sésame pour travailler auprès des familles du quartier, décroché après trois mois de formation au sein de La Clairière. « Un jour, au cours d’une cérémonie, une de nos stagiaires a brandi son attestation en disant : “Avant, je n’étais rien, maintenant j’ai ça”, se souvient Pascale Lagarde, adjointe à la direction générale de La Clairière, chargée du service socioprofessionnel Clairservices. Pour tout le monde, cela a constitué un vrai électrochoc. » Une formule qui ne surprend pas Laouratou Parry, auxiliaire parentale formée en 2008 : « Quand j’ai reçu mon attestation, je me suis sentie très émue, et fière de moi, raconte-t-elle. Quand on m’a confié la garde partagée de deux bébés de 3 mois, je savais que j’en étais capable. »

Depuis presque dix ans (la première session remonte à 2001), des femmes éloignées de l’emploi se forment au métier d’auxiliaire parentale au sein du centre social La Clairière, qui les accompagne ensuite dans la mise en place de leur contrat de travail. Un dispositif qui vise plusieurs objectifs : procurer un emploi stable à des femmes souvent bénéficiaires de minima sociaux, et répondre aux besoins des familles à la recherche d’un mode de garde pour leurs enfants. « Professionnaliser le secteur de la garde à domicile offre la garantie d’une prestation de qualité, loin du système D auquel sont souvent contraints les parents quand l’offre collective ne suffit pas », affirme Christophe Najdovski, adjoint au maire de Paris chargé de la petite enfance. Chaque année, trois groupes d’une douzaine de femmes obtiennent leur attestation. Africaines, Maghrébines ou Françaises, allocataires du RSA ou chômeuses en fin de droits, certaines n’ont aucun diplôme, d’autres possèdent un haut niveau de formation, mais toutes ont connu la galère des petits boulots au noir, des horaires à rallonge et des salaires dérisoires. « Pendant trois ans, j’ai gardé cinq enfants à la fois, de deux familles différentes, se souvient Mariame D., la quarantaine énergique. La journée, je n’avais qu’un bébé, mais à 16 h 30 je courais chercher les grands, je les accompagnais aux activités, et à 18 heures il fallait que je sois en même temps au tennis de table, à la flûte, au judo… Je faisais aussi le ménage et le repassage en alternance dans chaque famille. Je gagnais 1 065 € net. »

Respecter le rôle de chacun

Critère de recrutement principal pour Anne Bernard, éducatrice de jeunes enfants (EJE) et coordinatrice de la formation : l’envie de travailler avec des enfants, qu’elle s’appuie sur une expérience personnelle ou professionnelle. Les stagiaires doivent également maîtriser correctement le français, savoir lire et écrire, et disposer de papiers en règle. « Six mois après la fin de la formation, toutes les auxiliaires en situation d’employabilité ont signé un contrat », indique Pascale Lagarde. Un résultat à porter au crédit du système mis en place par La Clairière : en effet, dès le premier jour de cours, l’équipe de Clairservices assure un encadrement rapproché des stagiaires, associant formation professionnelle, accompagnement social, préparation au travail et soutien dans l’emploi. « Un tel maillage implique de savoir travailler en équipe pluridisciplinaire et de respecter le rôle de chacun, souligne Anne Bernard. Je ne connais rien aux contrats de travail, et même si j’avais des notions, je me garderais bien de répondre aux questions. » Ce domaine, c’est celui de Julia Bemba, la médiatrice emploi, aidée d’une juriste bénévole. L’accompagnement social est assuré par Eliane Tissier, assistante sociale d’entreprise à la retraite, également bénévole.

Conçue par l’EJE, la formation dure 123 heures et balaie tous les domaines relatifs au développement de l’enfant, de l’éveil à la santé, en passant par l’alimentation ou la prévention des accidents domestiques, à l’image de celle des assistantes maternelles. « Mais une assistante maternelle ne doit avoir suivi que 60 heures avant de commencer à travailler, alors que nous délivrons l’ensemble de la formation avant la première garde », glisse Pascale Lagarde. La formation n’étant pas rémunérée, les horaires ont été adaptés pour permettre aux futures auxiliaires de conserver une activité : les cours se déroulent deux jours par semaine, le lundi et le vendredi, jusqu’à 16 heures. Un rythme qui laisse aussi le temps aux stagiaires de respirer entre deux séances et d’assimiler tranquillement les notions abordées.

Un enseignement adapté

Dans la salle de formation du service, Caroline Legrand, conseillère en économie sociale et familiale (CESF), initie les stagiaires à l’utilisation du baby-cook, un appareil de cuisson fréquent dans les cuisines françaises. L’occasion de rappeler les grandes étapes de la diversification alimentaire, les règles de prévention des allergies ou les aliments à éviter. « On ne donne pas de fruits exotiques avant 12 mois, et pas de riz avant 18, à cause du risque de fausse route », insiste-t-elle. En fin d’après-midi, elle distribue des fiches résumant l’ensemble de son intervention. « La formation, c’est avant tout de l’échange, explique-t-elle. Prendre des notes, ce n’est pas simple, alors je préfère qu’on se concentre sur la pratique. » Comme elle, tous les formateurs vacataires – infirmière puéricultrice, orthophoniste, pharmacienne ou pédopsychiatre – adaptent leur enseignement. « On part toujours du concret et de ce que les stagiaires connaissent déjà, décrit Anne Bernard, l’EJE. Par exemple, on amène les jouets, puis on observe, lors d’une mise en situation, comment les stagiaires parlent, s’approchent du poupon, comment elles le portent. » Tout en respectant la culture de chacune, les formateurs s’efforcent de montrer ce qu’il est nécessaire de comprendre pour élever un enfant dans une famille française. Un distinguo entre pratiques professionnelles et personnelles qui évite les malentendus. « En Afrique, pour montrer qu’on va bien s’occuper d’un enfant, on le prend dans les bras de sa mère. Pour une maman française, cela peut être très violent », illustre Anne Bernard.

Reste le fil rouge de la formation : l’importance de la parole dite à l’enfant, et des gestes qui lui sont prodigués. Toutes les occasions sont bonnes pour aborder cette question. « Prenez le change des bébés. Est-ce qu’on change seulement une couche, ou est-ce qu’on change un enfant ? Est-ce qu’on se contente d’un geste mécanique et professionnel, ou est-ce qu’on réfléchit à ce qu’on fait de cette peau nue, au contact que l’on entretient avec l’enfant, à son autonomie ? » Objectif : transformer la motivation des stagiaires en professionnalisme.

Pour parvenir à ce résultat, les futures auxiliaires doivent pouvoir se libérer de leurs soucis quotidiens : logement à l’hôtel, enfants restés au pays, recours au SAMU social, absence de revenus… L’accompagnatrice sociale, Eliane Tissier, intervient au centre trois matinées par semaine, et à la demande auprès des stagiaires. « Je ne suis pas pour le systématique, déclare-t-elle. Je me présente à chaque session, et je leur dis que je suis disponible et tenue au secret professionnel. » L’essentiel de ses interventions relève de l’accès aux droits : dossiers DALO, demande de CMU, problème de garde d’enfants… « Il s’agit surtout d’orientation, notamment vers les assistantes sociales de secteur quand les stagiaires ne sont pas du tout suivies », décrit-elle. L’absence de contrôle facilite le contact. « Ici, c’est très libre, on s’appelle par nos prénoms, il n’y a pas de procédures, pas d’enquête sociale. Parfois on vient seulement parler, sous un prétexte administratif. » Certains cas lui sont signalés par les formateurs ou les autres membres de l’équipe, alertés par un comportement inhabituel d’une stagiaire. « J’essaie d’établir un lien de confiance, mais je ne brusque pas les choses, et leur laisse le temps de venir vers moi », insiste l’assistante sociale. Entre les professionnels de Clairservices s’est bâtie une vraie culture du secret partagé, chacun intervenant dans son domaine sans ingérence des autres. Les situations d’urgence peuvent cependant déclencher des réunions de synthèse, qu’il s’agisse de problèmes de logement, d’un grave manque de ressources ou, pour les auxiliaires en poste, d’une difficulté persistante avec les parents employeurs. « Se réunir permet d’élaborer une réponse cohérente, de s’assurer que nous tenons tous le même discours », résume Pascale Lagarde.

Face aux réalités du travail

Dernier maillon de la chaîne, l’accompagnement vers et dans l’emploi commence très tôt dans la formation. Outre les classiques entraînements aux entretiens d’embauche, Julia Bemba, la médiatrice emploi, prépare les stagiaires à penser comme des professionnelles. Dès sa première intervention, elle les place devant les réalités du travail avec des particuliers employeurs. « Entre autres, je leur apprends qu’on ne doit pas choisir n’importe quel jour de la semaine pour aborder la question des congés, ce qui les surprend beaucoup, détaille Julia Bemba. Le lundi, les parents reprennent le travail, ils sont stressés ; alors que le vendredi ils sont plus détendus, plus disponibles pour discuter. » Assistée d’une juriste bénévole, la médiatrice familiarise notamment les futures auxiliaires avec le droit du travail. « Pour nous, c’est un changement radical, affirme Colette Z., ancienne secrétaire en Côte d’Ivoire. Quand on ne connaît pas ses droits, on se fait flouer. Désormais, de même que chaque acte qu’on posera avec les enfants sera réfléchi, on peut marcher la tête droite. » Quand Mariame D., voyant arriver la fin de son indemnisation par Pôle emploi, a envisagé d’accepter une garde d’enfants pour 4,20 € brut l’heure, ses camarades de formation ont été les premières à lui conseiller de refuser.

Julia Bemba s’emploie également à rassurer des parents, potentiels employeurs, pour qui La Clairière constitue souvent le dernier recours, et qui ont parfois vécu de mauvaises expériences avec des nourrices non formées. Une fois par semaine, elle reçoit les parents des arrondissements du centre de Paris, orientés par les mairies ou les centres de PMI. Titulaire d’un agrément qualité délivré en juin dernier, Clairservices propose toute une gamme de prestations pour les employeurs : présélection des candidates, assistance à la mise en place du contrat de travail, puis, à terme, gestion administrative des salaires et des congés. Si le dispositif séduit les parents, Julia Bemba les aide à préciser leur projet, les interroge sur leurs horaires, sur les particularités de leur logement, sur leurs choix éducatifs… Ajouté à sa connaissance de la personnalité des auxiliaires, ce diagnostic doit l’aider à proposer les meilleurs recrutements possibles. « Si je propose une association qui ne fonctionne pas, je suis sûre de retrouver tout le monde dans mon bureau en médiation au bout de deux mois, ce que je ne veux pas, notamment pour le bien des enfants, qui ne doivent pas changer constamment de têtes », insiste la médiatrice emploi.

La participation des parents

Le cas échéant, elle intervient comme médiatrice entre les auxiliaires et les parents employeurs. « Il ne faut pas imaginer des conflits, rassure-t-elle. Il s’agit le plus souvent d’accompagner des ruptures de contrat ou des changements d’horaires quand les enfants entrent à l’école, ou d’aider au calcul des congés. » En cas de situation plus conflictuelle, l’équipe s’efforce de pacifier les choses pour parvenir à une séparation satisfaisante pour tous. « Nous avons travaillé avec une mère qui multipliait les injonctions contradictoires, se souvient Pascale Lagarde. Elle ne parvenait pas à quitter son enfant. Il a fallu intervenir très vite pour redonner de l’assurance à l’auxiliaire, lui garantir une sortie positive vers un nouvel emploi, pour qu’elle ne se sente pas nulle et corvéable à merci. De l’autre côté, nous avons amené tout doucement la mère à admettre que le rôle d’employeur ne lui convenait pas, tout en lui disant que cela ne faisait pas d’elle quelqu’un de mauvais. » Du point de vue éducatif non plus, les auxiliaires ne sont pas abandonnées à leur sort une fois en emploi. Au cours de la période d’essai, Anne Bernard se rend au moins une fois sur leurs lieux de travail, pour s’assurer qu’elles ont pu prendre leurs marques, observer comment s’installe la relation avec l’enfant. Et elle reste évidemment disponible pendant toute la durée du contrat, notamment par le biais du relais d’accueil de la petite enfance, ouvert aussi bien aux auxiliaires qu’aux parents du quartier.

Point fort du dispositif créé par Clairservices, cet accompagnement complet a un coût pour les parents : selon les prestations choisies, de 770 à 945 € pour la première année, avant déduction fiscale. Des sommes indispensables au fonctionnement du service : sur les 180 000 € qui constituent son budget, 70 % proviennent de subventions de la Ville et du département de Paris, le tiers restant étant constitué de dons, de subventions de fondations et de la participation des parents. Une pratique peu courante dans le champ du travail social. « En réalité, pour les parents, c’est assez facile à admettre, estime Stéphanie Lecuyer, qui a salarié une auxiliaire et siège désormais au conseil d’administration du centre social. Boucler des budgets, dire que les financements ne couvrent pas tout le fonctionnement, on fait ça tous les jours dans une entreprise. Et par rapport à d’autres structures de services à la personne, cela reste abordable. » Une nouvelle relation à la prestation rendue par le centre social qui, pour Pascale Lagarde, dessine une vraie évolution : « Nous nous sentons de plus en plus appartenir au champ de l’économie sociale et solidaire, affirme-t-elle. Ce dispositif offre une plus-value pour tout le monde : des enfants gardés par des personnes compétentes qui leur assurent une sécurité affective, des parents qui trouvent une solution satisfaisante, et des auxiliaires qui peuvent se projeter à long terme dans une vie stable. En somme, c’est toute la société qui sort gagnante. »

PÉRIMÈTRE
Un dispositif transposé dans d’autres centres parisiens

A la demande de la municipalité, deux centres sociaux parisiens ont été choisis pour importer le dispositif de formation et d’accompagnement créé par Clairservices : Solidarité Roquette, dans le XIe arrondissement, et le Relais 59, dans le XIIe. Des quartiers de mixité sociale, « dans lesquels les locataires du parc social voisinent avec des familles dont les revenus permettent de recourir à la garde à domicile », décrit Christophe Najdovski, l’adjoint à la petite enfance. Après une dizaine de réunions et de rencontres avec l’équipe de La Clairière, Solidarité Roquette vient d’ouvrir sa première session de 12 stagiaires. Si Clairservices assure 83 heures de formation, chaque centre social se charge de la partie locale : connaissance des lieux de petite enfance du quartier, préparation à l’emploi… « Du moment que le nœud du dispositif est préservé, à savoir le maillage entre les différents accompagnements, chacun peut ensuite apporter des modifications en fonction de ses locaux ou de ses ressources humaines », observe Pascale Lagarde. Au centre Solidarité Roquette, la coordination pédagogique et le suivi social ont ainsi été confiés à la référente du secteur social adultes, Dorothée Maulucci. Une juriste qui intervenait comme bénévole a été embauchée pour la médiation emploi, et une EJE détachée sur le relais. « Pour l’instant, nous tâtonnons sur la transposition, et surtout nous faisons avec le budget dont nous disposons : 20 000 €, au lieu des 50 000 € dont nous estimions avoir besoin », précise Marie-Line Benoît-Hervé, la directrice du centre. Pour l’équipe de La Clairière, l’expérience se révèle très enrichissante : « La transposition nous a obligés à réfléchir à ce que nous faisions empiriquement, et le regard porté par d’autres professionnels peut nous amener à faire évoluer encore le dispositif », conclut Pascale Lagarde.

Notes

(1) Centre social La Clairière : 60, rue Greneta – 75002 Paris – Tél. 01 42 33 82 46.

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