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Justice des mineurs : l’assesseur, « vigie sociétale »

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Les assesseurs des tribunaux pour enfants (1) sont aux premières loges pour observer le « malaise sociétal » et les mécanismes d’exclusion d’une frange de la jeunesse, témoigne Christian Fournival, éducateur spécialisé, formateur, consultant et assesseur, membre de l’association des assesseurs du tribunal pour enfants de Douai (Nord) (2).

« Ma fonction d’assesseur ne me cantonne pas dans une logique d’application de sanctions. Les représentations des jeunes justiciables doivent laisser l’espace d’une réflexion et d’une compréhension singulière des parcours pénaux.

Ces jeunes sont des entités incluses dans le débat social. Ils questionnent l’image de notre société d’aujourd’hui, de demain. Leurs trajectoires sont à mettre en lien avec les facteurs économiques, politiques, culturels, sociaux… Les lieux géographiques, les sexes, les identités constituent d’autres éléments structurels.

Les mineurs justiciables n’ont pas toujours identifié les valeurs d’une société qui peuvent leur apporter un fil conducteur. Ainsi, l’école, pour eux, n’est pas un vecteur de réussite. Ils expriment des difficultés à s’y intégrer, montrant de la sorte le champ des inégalités sociales et culturelles liées aux lieux de vie, aux origines, à la traduction des habitus… Les jugements de jeunes mineurs ne peuvent donc échapper aux interrogations d’une société dont ils sont des acteurs directs. La justice reste, par leur intermédiaire, une « vigie sociétale ».

La fonction d’assesseur interroge à la fois ce que la société produit mais aussi la façon dont elle punit, tolère, excuse et dont le code pénal arbitre.

Comme à une époque les malades mentaux, les jeunes justiciables sont décrits comme dangereux et les enfermements s’accroissent, reflets de la sévérité des condamnations. Mais l’un des aspects de leur dangerosité est qu’ils bousculent les instances civiles et judiciaires. Ils se distinguent par cette manière antinomique et paradoxale d’être reconnus dans l’espace de récits de faits répréhensibles. Ils peuvent, par certains biais, constituer une contre-société, souhaitant se déterminer selon leur propre loi.

Ces jeunes ne sont pas toujours en capacité d’identifier l’impact d’une peine d’enfermement. Celle-ci ne semble pas être toujours dissuasive. Ils revendiquent la sanction comme une reconnaissance identitaire, une opposition sociale, presque un projet de vie : un capital judiciaire au sens « bourdieusien », un mode de validation de leurs qualités déterminant ainsi leur valeur au regard des actes commis et des sanctions appliquées et exécutées. Elle leur permet de déterminer leur place, leur rôle et de les entretenir par la spirale de la reproduction.

A leur égard, il ne s’agit pas de mettre en œuvre une logique de représailles tous azimuts en sanctionnant sans différencier les peines : la justice doit, dans son esprit, être humaine. Ce difficile équilibre à tenir entre les faits, leur analyse, les sanctions et la personnalité complexifie les jugements à rendre. Il s’agit d’appliquer la loi, tout en sachant que la rencontre d’un jeune avec celle-ci, la justice, le tribunal, les différents acteurs judiciaires et sociaux, n’opérera pas toujours les effets escomptés, en l’occurrence l’empêchement de la récidive.

S’écarter des clichés

Il convient donc de s’interroger sur les identités de ces jeunes justiciables (primaires et chroniques) en se fondant sur la singularité de leurs histoires de vie afin d’avoir une approche différenciée des condamnations (compréhension, tolérance, fermeté…). Il faut aussi s’écarter des clichés et élaborer une cartographie micro-sociologique (famille, parents…) et macro-sociologique (écoles, groupes, classes…) des caractéristiques socio-éducatives.

Etre dans la souffrance, la misère, le besoin, la précarité, sans pouvoir bénéficier des richesses partagées, se soumettre au silence d’une condition humaine inacceptable, ne pas être en capacité d’étudier et d’exprimer son désaccord par le vote ou dans des espaces associatifs… tout cela interroge les liens sociétaux, la standardisation des diverses conditions de vie sociales, les interactions des régulations des conduites (sexe, âge, milieu de vie, liens avec les institutions, la famille, les rapports affectifs…) (3).

Les travailleurs sociaux sont confrontés à ces jeunes justiciables qui s’inscrivent dans une démarche de marginalisation sans forcément mettre en place des solutions pour s’extraire de leur condition : il s’agit là d’une forme de résignation qui se traduit dans le champ de la transgression.

L’absence, en amont, d’un travail de repérage précoce et intensif avec la création de clubs de prévention, d’une police de proximité, de transitions sociales culturelles, d’espaces de négociations civiques, de tutorats d’adultes, d’expériences pilotes innovantes, est préjudiciable, alors qu’il faudrait inventer des lieux de transferts, de médiation amenant à réfléchir sur des réseaux entre le monde des jeunes justiciables et celui des adultes. Il s’agit bien de réamorcer un contexte socialisant en amont et en aval des interventions, qu’elles soient civiles ou judiciaires.

Chaque jeune justiciable doit bénéficier d’un projet « obligé ». Certes, les limites doivent être identifiées puisque le projet ne peut à lui seul résoudre la totalité des problèmes, mais il a le mérite, au moins, de permettre une emprise éducative pouvant révéler une alternative, voire une substitution, aux obligations de réparation et de contrôle.

Les réponses pénales ne doivent pas masquer le malaise sociétal. Les problèmes sont nombreux : parentalité défaillante, logement, chômage, pauvreté, ghettoïsation, échec scolaire… Les politiques tentent de les résoudre par des amoncellements de lois qui n’ont pas les résultats attendus. L’injustice sociale croissante ne fait que renforcer le clivage des cultures, les exclusions, les divisions.

L’enfermement de la dangerosité, la délinquance, le désordre social ne doit pas masquer les identités de ceux et celles qui la déploient. En ce sens, la dangerosité n’est pas un concept figé, il se meut et mute. Comme elle le fait pour ses pauvres, ses exclus, ses précaires, la République s’exonère, à l’égard de ces jeunes, de ses obligations en stigmatisant, en oubliant la singularité des identités, des statuts, et en pratiquant la politique de l’oubli.

Tout l’enjeu, aujourd’hui, réside dans la formalisation de modèles théoriques de réflexion, en lien avec une pratique, pour continuer la recherche et élaborer des actions de prévention et des interventions dans le cadre de projets spécifiques, où soient impliqués tous les acteurs de la société, dont les jeunes justiciables eux-mêmes. »

Notes

(1) Les assesseurs près les tribunaux pour enfants sont des personnes de la société civile volontaires, portant un intérêt aux questions liées à l’enfance, et remplissent des fonctions de juges à part entière au côté du juge des enfants lors des audiences du tribunal pour enfants. Il y en a plus de 2 000 en France.

(2) Il est également docteur en sciences de l’éducation, psychothérapeute en conduites addictives. Il prépare actuellement un livre sur la justice des mineurs (à paraître en 2011).

(3) Voir l’article de Catherine Gougnard (juge de la jeunesse à Charleroi en Belgique) intitulé « Entre sanction et éducation. Quelles réponses à la délinquance des jeunes ? », dans la revue L’Observatoire (Belgique) n° 37/2002.

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