Recevoir la newsletter

Les étrangers, variable d’ajustement du dispositif d’urgence ?

Article réservé aux abonnés

Face à la saturation des centres d’hébergement, des préfectures ont donné des consignes pour écarter les personnes en situation irrégulière ou les déboutés du droit d’asile. Le rappel à l’ordre du secrétaire d’Etat sur le principe de l’inconditionnalité suffira-t-il à supprimer des orientations plus ou moins explicites ?

Cette fois, il ne s’agit plus de simples pressions, mais d’instructions officielles dénoncées par les associations depuis plusieurs semaines. Dans certains départements, les services de l’Etat ont remis en cause le principe de l’inconditionnalité de l’accueil des personnes sans abri, pourtant posé par plusieurs articles du code de l’action sociale et des familles (1), en demandant aux structures de tenir compte de leur statut administratif.

Au nom de la « fluidité »

Comme l’a révélé Libération le 29 novembre, plusieurs documents en attestent. Parmi eux, un mail du 27 août envoyé aux structures d’hébergement par la direction départementale de la cohésion sociale du Calvados demandait que les demandeurs d’asile déboutés ne soient plus pris en charge. « Si nous voulons que le dispositif d’hébergement garde sa nécessaire fluidité afin, d’une part, d’accompagner les ménages vers le logement autonome et, d’autre part, de mettre à l’abri les personnes en ayant besoin afin de les “accrocher” à une démarche d’insertion, encore faut-il que la situation administrative des personnes rende leur accès au logement possible », argumente le courrier électronique. La préfecture indique que, alertée sur son caractère illégal par les associations, elle a immédiatement levé cette directive. C’est encore au nom de la « fluidité » du dispositif que le cahier des charges de l’opérateur « urgence » du service intégré de l’accueil et de l’orientation du Haut-Rhin, élaboré par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations, invite clairement à « prioriser le public de droit commun en cas de saturation des places d’hébergement d’urgence », au détriment des demandeurs d’asile et des déboutés. L’interprétation des textes relatifs à l’hébergement des demandeurs d’asile ouvre aussi la voie aux marges de manœuvre. Ainsi, une circulaire du 18 décembre 2009 précise que « les demandeurs d’asile en attente d’une orientation en centre d’accueil pour demandeurs d’asile et percevant l’allocation temporaire d’attente (ATA) doivent se voir systématiquement proposer un hébergement d’urgence, dans la mesure des capacités des dispositifs » (2). Mais s’appuyant sur la jurisprudence rappelée dans la même circulaire, la préfecture du Gard a considéré que l’Etat n’avait plus l’obligation d’héberger les bénéficiaires de l’ATA. Ces derniers « ne seront plus éligibles à un hébergement hôtelier à la fin du plan hivernal », indique Olivier Dupuy, responsable du pôle social de la Croix-Rouge du Gard, qui ajoute que les décisions devraient toutefois tenir compte de la composition de la famille.

Une enquête réalisée par la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) dans la semaine du 22 novembre (avant l’ouverture des places hivernales) auprès de plusieurs services du 115 (3) le prouve : il manque des places d’hébergement dans la plupart des grandes villes. Pour autant, « les étrangers sans abri ne sont pas une variable d’ajustement », s’indigne l’association, qui diffuse des fiches juridiques sur l’accueil et l’hébergement des étrangers (4). Elle appelle les pouvoirs publics à une attitude pragmatique et responsable, afin que soient protégés les droits des étrangers et de l’ensemble des citoyens.

Une nouvelle circulaire

Sitôt après la divulgation dans la presse des consignes illégales données dans le Calvados et dans le Haut-Rhin, Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement, a annoncé avoir rappelé à l’ordre les préfectures concernées. Une circulaire « hiver » devrait par ailleurs être prochainement envoyée à toutes les préfectures, affirmant « notamment le principe de “l’accueil inconditionnel” dans les centres d’hébergement d’urgence ». Un rappel, précise-t-on au secrétariat d’Etat, car la circulaire envoyée le 15 octobre demandait déjà aux préfets de déployer les capacités supplémentaires de mise à l’abri, « pour que toutes les personnes qui le souhaitent bénéficient d’un accueil et d’un hébergement, quelle que soit leur situation administrative ». Encore faut-il que ces directives dépassent le seul contexte de la chute des températures et qu’elles réussissent à décourager y compris les consignes orales (5). Autre problème : l’inconditionnalité de l’accueil subit aussi des coups de boutoir à travers certaines orientations politiques. Ainsi, comme le chef de l’Etat l’avait déjà fait, notamment en 2007 devant le Conseil économique et social, le Premier ministre a réaffirmé ce principe lors d’une récente réunion avec les représentants du « Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement ». Mais il n’a pas pour autant renié les articles du projet de loi relatif à l’immigration, susceptibles d’ouvrir la voie à sa remise en cause : selon le texte, séjourner en France « dans le but essentiel » de bénéficier de l’aide sociale, notamment d’un hébergement, serait constitutif d’un abus de droit pouvant justifier un éloignement du territoire.

Le sujet n’est donc pas clos. D’autant, souligne l’ANAS (Association nationale des assistants de service social), que le problème de la sélection des publics dépasse celui des injonctions de l’Etat. L’organisation pointe du doigt une logique de gestion, favorisée par la pression à faire sortir les usagers du dispositif d’hébergement, donc à obtenir des résultats en termes d’insertion : « Les assistants de service social sont régulièrement confrontés à cette question. Dans plusieurs centres, le critère “sans-papiers” devient un motif éliminatoire pour l’accueil. » Le système, dénonce-t-elle, laisse de côté les plus fragiles, au-delà des seuls sans-papiers : « Dans une volonté de “survie institutionnelle” », des structures « sont amenées à modifier leurs critères de sélection » selon la capacité des personnes à trouver une solution à court ou moyen terme. L’ANAS demande donc « qu’une réflexion plus globale soit menée car, comme la logique sécuritaire, la logique gestionnaire portée non seulement par l’Etat mais aussi par de nombreuses collectivités territoriales, produit de l’exclusion et de l’abandon ».

Notes

(1) Notamment les articles L. 111-2 et L. 345-2-2.

(2) Voir ASH n° 2650 du 12-03-10, p. 15.

(3) Réalisée sur un jour donné auprès des 115 de neuf grandes villes, elle montre que tous, à l’exception de celui Marseille, ont dû laisser des personnes à la rue faute de places suffisantes.

(4) Sur www.fnars.org.

(5) Voir notre article sur www.ash.tm.fr.

Sur le terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur