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Le travail social au risque de la normalisation ?

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Evaluation, certification, bonnes pratiques : la normalisation de l’intervention sociale est dans tous les esprits. Pourtant, divisé entre gestionnaires pragmatiques et défenseurs d’une spécificité du travail social, le secteur peine à se mobiliser. Pour un nombre grandissant d’acteurs, seule une relance de la recherche pourra dissiper le doute qui s’est installé.

Le signe ne trompe pas : les dates butoirs des évaluations interne et externe auxquelles chaque structure sociale ou médico-sociale était tenue de se conformer depuis la loi de janvier 2002 n’ont cessé d’être reculées. D’abord fixées respectivement à 2007 et 2009, elles ont été reportées de date en date pour finalement se retrouver arrêtées, pour les établissements autorisés avant 2002 à respectivement 2014 et 2015 (1). L’explication avancée par l’Agence nationale d’évaluation sociale et médico-sociale (ANESM) d’une impréparation des professionnels, par manque de temps ou difficultés méthodologiques, est en partie vraie. Sauf qu’il faut lui ajouter une donnée supplémentaire : la résistance des milieux du travail social à tout ce qui s’apparente à l’imposition d’une nouvelle norme d’action.

En 2008, l’ANESM constatait ainsi que seulement 60 % des établissements avaient réalisé leur évaluation interne. Mais entre 2008 et 2009, en dépit de ses efforts de pédagogie, ils n’étaient que 6 % à franchir le pas. Les pouvoirs publics ­faisaient donc face désormais aux plus récalcitrants du secteur, et pas seulement aux moins informés.

Pourtant, une fois passées les premières réticences, l’évaluation semblait promise à un bel avenir. « La loi du 2 janvier 2002 voulait valoriser la prise en compte de l’usager. A ce titre l’évaluation se déclinait en une analyse du projet autour de concepts simples, ce qui nous permettait de nous inscrire dans une ligne éthique intéressante et aisément identifiable. Enfin, nous allions pouvoir affirmer les valeurs et les savoir-faire sur lesquels se fondent nos modèles professionnels et institutionnels », se rappelle Jean Briens, président du GEPSo (Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux), qui a réuni en septembre, lors de deux journées, des chercheurs et des professionnels pour s’interroger sur les procédures de normalisation dans le travail social (2).

Plusieurs grains de sable sont venus gripper la machine. Encadré par la loi, nourri par les recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM, soumis à des résultats eux-mêmes transmis aux tutelles de l’établissement, le processus d’évaluation est resté largement assimilé à un instrument au service de la décision et de la régulation à usage des autorités. En outre, il a correspondu aussi à l’émergence d’un nouveau marché. « Entre évaluation interne et externe, sur une décennie, celui-ci représente un marché de plusieurs centaines de millions d’euros. Une telle opportunité a engendré l’arrivée massive de cabinets aux méthodes diverses, mais surtout inscrits dans une solide logique libérale », affirme Jean Briens.

Aux yeux de très nombreux professionnels, l’ambiguïté sur les motivations et les finalités de la démarche évaluative n’a jamais été dissipée. Pour Michel Chauvière, directeur de recherche au CNRS, l’un des chercheurs les plus critiques du mouvement qui s’est enclenché depuis la loi 2002-2, « tout se passe un peu comme si les évaluateurs, parfois d’anciens professionnels ou cadres du secteur social, avaient trouvé là l’occasion d’une prise de pouvoir sur les référentiels d’action sociale, en profitant d’une période d’affaiblissement de la culture professionnelle. Avec eux tout spécialement, l’évaluation n’est pas seulement un outil technique, elle devient aussi un outil rhétorique qui forge inéluctablement une autre représentation des enjeux du social en phase avec le réalisme économique ambiant. » Selon lui, cette nouvelle situation emporte de nombreuses conséquences. Parmi elles, le réaménagement de la façon dont les pouvoir publics contrôlent le fonctionnement des établissements. Mais au-delà l’évaluation apparaît aussi comme un moyen d’influencer leur orientation. Ce faisant, « pour nourrir toutes ces pratiques “rénovées” issues des lois de 2002 et de 2005, l’évaluation bouscule allègrement les accords normatifs [3] sur lesquels fonctionne tout le secteur social. C’est là le danger principal, le plus souvent masqué sous de louables intentions. »

Les craintes d’un alignement sur le sanitaire

Analyses par trop politiques ? Refus de voir l’action sociale rentrer dans le droit chemin du service ? Depuis 2002, les arguments n’ont cessé de s’opposer entre partisans d’un nouveau réalisme gestionnaire et défenseurs d’une spécificité du travail social. Mais le débat s’est depuis précisé. La création de l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP), compétente sur les champs du sanitaire et du médico-social, la montée en puissance des agences régionales de santé, ainsi qu’un flot de nouvelles exigences réglementaires sont venus réveiller les craintes d’un alignement du médico-social sur le sanitaire. Dans le même temps, la dépendance des établissements sociaux et médico-sociaux aux procédures de normalisation des pratiques professionnelles s’est installée dans les esprits. « Dans tous les domaines de l’activité humaine – l’éducation, la recherche, le soin, la psychiatrie, le travail social –, s’épanouissent ainsi, progressivement mais sûrement, des dispositifs d’évaluation technocratico-procéduriers, bref un prêt-à-évaluer, donc à penser et à agir, qui réussit même l’exploit de s’adapter, par ses logiciels et référentiels, à la réalité du quotidien des établissements et à la complexité des situations sociales de leurs usagers », observe Vincent Meyer, sociologue et membre du comité scientifique du GEPSo. Problème : figer ainsi l’engagement des professionnels et normaliser leurs pratiques laisse finalement peu de place au savoir acquis dans l’expérience, à la créativité ou à l’innovation. « Si l’évaluation est indispensable dans le champ du travail social, souvent accusé d’opacité et d’inefficacité, il y a un risque aujourd’hui de voir se forger une croyance dans la toute puissance des critères quantitatifs, précédant celle d’une stricte logique de résultat », redoute le sociologue.

Pour l’heure, les chercheurs s’accordent à constater que les pratiques dans le champ de l’action sociale n’ont pas encore atteint ce niveau de réduction. Mais les multiples outils de gouvernance qui y pénètrent (tableaux de bord, enquêtes de satis­faction, démarches qualité, certifications, etc.) ne relèvent pas moins d’une nouvelle vision de l’action. Jean-Yves Dartiguenave, sociologue au laboratoire d’anthropologie et de sociologie de l’université de Rennes, estime que ces outils possèdent leur propre logique qui s’auto-alimente et vient progressivement modifier les rapports sociaux à l’intérieur de l’institution. « L’obsession de l’évaluation, des audits, des enquêtes de satisfaction en tout genre, la logique non moins obsessionnelle du résultat, renvoient à bien d’autres choses qu’une simple normativité des pratiques institutionnelles : elles signent un déni anthropologique dont les conséquences sont et seront importantes. » Selon ce chercheur, une « nov-langue » faite de « pratico-pratique » et « d’évidences qui ne souffrent d’aucune contestation » a déferlé sur l’action sociale en reléguant les relations humaines au second plan. « Il n’est plus question de s’attacher à la singularité des modes de vie et des ma­nières d’être de la personne aidée. Seul compte désormais “l’usager” qui n’est appréhendé qu’au regard de sa conformité ou non à une offre de services, à des dispositifs que l’on cherche sans cesse à affiner en évacuant, précisément, la part d’altérité qui vient contredire cette quête éperdue d’un idéal de pure fonctionnalité. » Si le travail social se sent aujourd’hui en porte à faux par rapport aux valeurs qui l’ont fondé et nourri tout au long de son développement, ce n’est donc pas seulement en raison de la pression économique qui pèse sur lui. « C’est aussi, et peut-être surtout, parce que son univers de référence se trouve subverti par une idéologie et des pratiques qui lui sont extérieures et avec lesquelles il lui faut, tant bien que mal, composer », analyse le sociologue. S’y opposer ? C’est s’opposer à un discours « dont le contenu est évanescent », et c’est contredire le fait que, par-delà les mots d’ordre positifs, des progrès réels ont été réalisés dans la prise en charge des personnes dépendantes, l’accueil des populations dé­munies ou dans le traitement des situations de maltraitance. Pour Jean-Yves Dartiguenave, « le travail social se trouve aujourd’hui confronté à sa propre étrangeté sans pouvoir déployer une perspective critique qui soit ne peut être entendue sur la scène politique, soit se retourne contre lui-même ».

Sur le terrain, les études attestent de ce malaise. Dominique Pené, psychologue clinicien et docteur en sciences du langage, observe la montée d’un sentiment d’impuissance dans toutes les générations de travailleurs sociaux. Les formes qu’il prend sont multiples, observe-t-il. Certains professionnels font par exemple état d’interventions vécues comme de plus en plus difficiles, avec des situations qui se sont aggravées, voire des pathologies mentales qui ont explosé. D’autres assurent que ce sont les besoins de la population qui semblent s’être complexifiés. Ailleurs encore, on estime crouler sous les tâches administratives. Davantage encore que cette sensation de rupture, ce qui heurte par-dessus tout ces professionnels est une forme de remise en cause en cascade de leurs compétences, de leurs motivations premières, et au final du « sens humain » de leur métier. « D’un constat de difficultés à répétition, on arrive à une remise en cause de l’identité professionnelle, et, pour certains, personnelle ! Cette perte d’humanité et du rapport à l’autre est identifiée et exprimée comme perte du lien social », explique Dominique Pené.

« Se référer à la clinique »

Que faire ? Une question qui en appelle aussitôt d’autres, enchaîne Vincent Meyer : « Existe-t-il encore des espaces de résistance constructive dans l’intérêt de l’usager ? Et, face à un besoin croissant de solidarité dans la société, comment concilier les valeurs des professionnels avec cette dimension normative des pratiques en ­travail social ? » De fait, le secteur n’ayant pu se doter de normes consensuelles dans les décennies passées, leur apparition sous la forme de l’évaluation – issue du sanitaire et motivée par des exigences assez proches – prend une dimension particulière compte tenu de la crainte d’une standardisation qui affecterait jusqu’à la façon de se représenter les relations humaines. Une voie de sortie pourrait être « un travail social qui s’appuierait davantage sur la recherche et une éthique que sur des procédures toute faites », avance Vincent Meyer.

Cet arbitrage de la recherche pourrait permettre de dépasser des années d’un débat idéologique très tranché qui a laissé le secteur profondément divisé. C’est également l’avis de Dominique Pené, pour qui « du travail social n’est possible que s’il arrive à se dégager de toute idéologie, dominante ou non, et de tout présupposé. Pour cela, il doit se référer à la clinique qui vient sans cesse interroger le savoir et le mode d’intervention. » Une démarche, ajoute-t-il, qui suppose de repenser les formations, les métiers, les modalités d’interventions « à partir d’un savoir ouvert et pas seulement à partir de dogmes ne supportant pas la contradiction. Cette rupture dans et avec les savoirs antérieurs n’est nullement synonyme de déni et d’oubli, mais il s’agit là de connaître et comprendre pour se distancier ou amender si nécessaire. »

Il reste que l’effort de recherche dans le champ de l’action sociale apparaît assez circonscrit. Essentiellement porté par quelques universités dans le cadre de masters professionnels, la chaire de travail social du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et aujourd’hui les pôles ressources, son retard est considérable par rapport au secteur de l’hôpital ou des soins palliatifs. Une illustration est donnée par l’absence d’une formalisation claire de l’éthique. Mis à part quelques codes de déontologie épars (4), la réflexion éthique dans le travail social est restée sans lendemain, alors que le secteur médical l’a structurée de façon à la pérenniser (notamment avec l’espace éthique de l’AP-HP et des diplômes universitaires d’éthique), constate Pierre Delor, directeur de l’Etablissement public départemental de soins, d’adaptation et d’éducation de Lille. « Or aborder l’évaluation sans évoquer la question de l’éthique reviendrait à considérer l’évaluation comme un nouvel avatar de la rationalisation des coûts budgétaires que nous avons déjà connue », prévient-il. Une boucle sans fin.

Ancien président du conseil scientifique de l’ANESM, Michel Legros, professeur à l’Ecole des hautes études en santé pu­blique (EHESP), confirme, de son côté, que « l’état de faible théorisation » dans lequel est resté le secteur contribue à affaiblir les recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM. « Faute de disposer de suffisamment d’éléments issus de la recherche, les rédacteurs des recommandations tendent à donner une place prépondérante, si ce n’est parfois quasi exclusive, aux produits des expériences de terrain », explique-t-il. Conséquence : des textes exposés dès leur sortie à l’absence de consensus, ou pis, vécus comme une obligation décrétée d’en haut. Dans ce flou, les acteurs déploient des stratégies multiples, allant du suivi au pied de la lettre des repères méthodologiques présents dans les recommandations jusqu’au refus pur et simple de l’évaluation, en passant par toutes les gradations des modes du contournement, par exemple en créant leur propre cabinet d’audit ou en acceptant des propositions d’évaluation interne sur une journée.

Le spectre de l’accréditation

Une telle situation n’est pas sans risque. « La crainte est qu’on en vienne à la dé­marche simplificatrice de l’accréditation qui existe dans le secteur hospitalier, redoute Michel Legros. Avec l’accréditation, nous avons affaire à des procédures fermées et parfaitement organisées, alors qu’avec l’évaluation, c’est la pertinence d’une action qui est mesurée. On voit bien la différence. Or, depuis la loi du 2 janvier 2002, des voix se sont élevées à plusieurs reprises pour réinterroger le bien-fondé de cette stratégie toute évaluative dans le champ du social et du médico-social. »

Le projet de la création de hautes écoles en travail social pourrait représenter à ce titre un horizon, notamment par leur vocation à développer la recherche. Pour autant, nombreux sont ceux qui pensent que les bases sur lesquelles les travailleurs sociaux peuvent s’appuyer dès aujourd’hui sont déjà présentes dans leur culture. Dominique Fablet, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Nanterre-La Défense, estime d’ailleurs que la résistance aux référentiels censés normaliser les pratiques dans les institutions vient aussi du fait que, « pour s’orienter dans l’action et développer leurs activités, les travailleurs sociaux ont recours depuis longtemps à d’autres modes de régulation de leurs pratiques entre pairs ». C’est le cas avec les différentes formes d’analyse des pratiques professionnelles et de supervision d’équipe. Même si on ne dispose pas de bilan précis quant au volume et aux caractéristiques de ces espaces d’analyse aux appellations très diverses (super­vision, régulation, analyse institutionnelle, mais aussi formation interne, analyses de cas, réunions d’équipe ou d’évaluation…), on sait néanmoins qu’ils sont assez répandus dans les milieux du travail social et qu’ils jouent un rôle prépondérant dans l’évolution de l’identité des praticiens, assure Dominique Fablet. La formation continue a, par exemple, fait depuis longtemps de l’analyse des pratiques le levier d’une actualisation des compétences des professionnels en exercice. « Aussi, au-delà de la critique toujours nécessaire des méfaits de la normalisation managériale à l’œuvre dans le secteur social et médico-social, saisit-on bien l’intérêt que ces dispositifs d’analyse de la pratique représentent et qu’il y aurait à les promouvoir », avance le chercheur.

Reste le fond du débat. N’y a-t-il pas erreur à vouloir transposer sur le travail social des modes de penser et d’agir issus en droite ligne de l’univers des entreprises ? Difficile, en effet, pour un éducateur de réduire son intervention à une simple prestation de services. Et comment relier l’accompagnement d’une ­personne fragilisée à des exigences de rentabilité ? Jean-René Loubat, consultant en organisation, et l’un des principaux défenseurs d’une rationalisation des institutions sociales et médico-sociales, relativise : « Concrètement, les exigences en cause dans le processus de refonte du secteur portent à la fois sur la mise en place de systèmes de contrôle et d’évaluation de l’activité, la maîtrise des orientations de l’institution, ainsi que sur la mise en concurrence et la concentration des opérateurs. Bref, une exigence de lisibilité indispensable à toute planification, ce qui n’a rien de scandaleux en soi s’agissant d’établissements financés par le contribuable. » Selon lui, l’évolution de la société commande l’adaptation du travail social. Induite à la fois par des phénomènes démographiques et économiques, mais aussi par des évolutions des sciences humaines et des représentations du handicap, cette « immense mutation » tend à reconfigurer les organisations traditionnelles. La forme de l’établissement se voit par exemple dépassée par la notion de plate-forme de services pour une plus grande diversification des réponses, en exigeant une concentration des opérateurs et une mutualisation de leurs compétences. « Rentrer dans le monde moderne des organisations ne doit pas nous faire peur. Simplement il va falloir apprendre à travailler différemment en harmonisant nos pratiques, ce qui n’exclut pas la personnalisation des réponses », rassure-t-il.

« Une autre voie ? »

Toute la question est de savoir quel rôle les acteurs sociaux et médico-sociaux entendent jouer dans cette mutation, estime Jean-René Loubat. « Faut-il résister, se transformer à l’inverse en colla­borateurs zélés, ou n’y a-t-il pas entre les deux d’autres postures plus intéressantes ? Voilà au fond la vraie problé­matique de cette évolution qui paraît être quelque chose de réjouissant plutôt que d’attristant. »

Mais un tel pragmatisme peut-il apaiser les craintes dans le contexte actuel ? Du côté des jeunes directeurs en formation à l’EHESP, le sentiment est mitigé. Témoin cette élève-directrice pour qui la déferlante réglementaire « oblige à réfléchir aux moyens de sortir du cadre pour se donner des espaces de liberté ». Ou encore ce futur directeur qui voit dans l’évaluation externe « une manifestation des risques “mercantilistes” qui se rapproche davantage de l’audit que d’un levier de questionnement », et estime né­cessaire de construire « une autre voie permettant une véritable créativité ».

Quoi qu’il en soit, la prochaine enquête de l’ANESM sur l’entrée des établissements dans l’évaluation dira de façon claire où en est le secteur.

RETARD DE LA RECHERCHE : L'EXEMPLE DU HANDICAP

La recherche, source de réassurance pour le travail social : c’est vrai en théorie. Mais l’exemple du handicap montre que bien des étapes sont à franchir avant cela, ainsi qu’en atteste le rapport 2008 de l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (Onfrih) (5). « Outre les défis sociétaux que posent les évolutions épidémiologiques et démographiques, la loi du 11 février 2005, véritable loi de société, impose le handicap comme une question sociale, sociétale et politique de premier plan. Or, face à ces enjeux, la question du handicap ne s’est toujours pas constituée en France comme un grand domaine scientifique », préviennent les rapporteurs.

Dans les sciences sociales, notamment, le retard est patent par rapport aux pays anglo-saxons et scandinaves où a émergé une discipline nouvelle : les disability studies. Ces insuffisances s’observent à plusieurs niveaux du processus de production scientifique, pointe l’Onfrih. Au niveau de la programmation, le thème du handicap est absent des priorités nationales de recherche. Et quand le sujet éveille un intérêt, les mécanismes d’orientation de la recherche favorisent les approches sectorielles « alors que le handicap constitue une question transversale aux disciplines ». De même, dans la concertation préalable entre opérateurs (décideurs publics, scientifiques, représentants de la société civile), les acteurs économiques sont privilégiés au détriment des acteurs sociaux porteurs de la question du handicap. Résultat : des actions à la fois éparses et ponctuelles, ainsi qu’un faible nombre de chercheurs eux-mêmes cloisonnés. « Le paysage de la recherche sur le handicap est celui d’un archipel dont les îles sont des laboratoires dispersés, voire des chercheurs isolés, relevant de disciplines et d’organismes de recherche différents. Cette faiblesse se manifeste in fine dans les publications scientifiques sur le handicap, dont la production est bien inférieure à la fois à celle relevant d’autres domaines transdisciplinaires en France et à celle de beaucoup d’autres pays sur le handicap. »

Face à ce constat, l’Onfrih propose d’élever le handicap au rang de « champ scientifique d’intérêt majeur » et de proportionner les moyens de la recherche à l’ampleur des enjeux de société. « En premier, il convient d’inscrire explicitement le handicap comme priorité thématique dans la stratégie nationale de recherche et d’innovation. Il s’agit en quelque sorte d’arrimer une politique scientifique nationale et volontariste à la loi du 11 février 2005. » Pour cela, l’observatoire suggère l’installation d’une plate-forme nationale fédérant les financeurs et jouant le rôle d’impulsion et de coordination. « Dans le même esprit, il importe de favoriser l’émergence de quelques laboratoires transdisciplinaires dédiés au handicap. » Enfin, l’Onfrih estime indispensable, « d’une part, de transposer les expériences des personnes handicapées, de leurs familles, des professionnels concernés en questions pour la recherche. D’autre part, de traduire les connaissances produites par la recherche en réponses aux besoins de toutes ces personnes. » Une dernière exigence « qui passe par un rapprochement entre la communauté scientifique et la société sur ce sujet ».

Les enjeux d’une relance de la recherche dans ce champ sont importants à bien des titres, plaide l’Onfrih. « Pris comme objet scientifique, le handicap soulève des questions théoriques fondamentales pour les sciences de l’homme et de la société, les sciences de l’ingénieur, les sciences biomédicales. » Les retombées concernent aussi bien la prise en charge sociale que médicale des personnes, la mise en place et l’évaluation des politiques publiques, ou encore la commercialisation de nouvelles aides techniques. Mais le chemin reste long. Sur les 100 000 thèses en sciences humaines et sociales référencées dans le « fichier central des thèses », alimenté par 90 universités, seulement 2 % d’entre elles comportent le terme « handicap » dans leur titre, déplorent les rapporteurs.

Notes

(1) Quant aux structures autorisées entre le 2 janvier 2002 et le 21 juillet 2009, les premières évaluations interne et externe doivent être réalisées respectivement au plus tard trois ans et deux ans avant la fin de la période d’autorisation de 15 ans, soit dans une fourchette allant de 2014-2015 à 2021-2022 – Selon le décret du 3 novembre dernier – Voir ASH n° 2682 du 12-11-10, p. 12.

(2) Normes et normalisation en travail social – IVe séminaire du comité scientifique du GEPSo à Annecy-le-Vieux, les 23 et 24 septembre dernier – GEPSo : 92, avenue de Saint-Mandé – 75012 Paris – Tél. 01 44 68 88 33 – Actes du colloques disponibles aux éditions Les Etudes hospitalières (42 €) – Tél. 05 56 98 85 79 ou www.leh.fr.

(3) Pour Michel Chauvière, les droits sociaux acquis par le passé, les institutions chargées de les mettre en œuvre et les professions qui ont pu s’épanouir dans ce contexte forment un ensemble indivisible, mû par une conception « organique » du service public. C’est cet « accord » qui serait cassé au profit d’une conception strictement économique du service.

(4) Essentiellement, le code de déontologie des assistants de service social de l’Association nationale de ces professionnels (ANAS), et le code de déontologie des travailleurs sociaux de l’Association nationale des communautés éducatives (ANCE), tous deux sans valeur contraignante.

(5) Voir ASH n° 2612 du 5-06-09, p. 16 – Disponible dans la docuthèque, rubrique « Infos pratiques » sur www.ash.tm.fr.

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