« La récente expérience des établissements de réinsertion scolaire (ERS) va à vau-l’eau, les adolescents qui y sont accueillis font exploser ce dispositif mal réfléchi, mal installé, mal accompagné. Mais le ministre a la solution : on va leur faire faire du sport. Parce que chacun sait que le sport, c’est structurant, ça apprend le respect des règles, c’est socialisant, ça forge un corps sain, ça fortifie la race (Coubertin).
Reste qu’une fois de plus voici le développement d’un discours croyant, idéologique, qui part de présupposés absolument pas démontrés. Car le sport n’est qu’une production sociale et culturelle qui n’a aucune valeur en tant que telle, comme toute production humaine. Il n’a de valeurs que celles qu’on lui prête, et ici le prêteur ne demande qu’à croire. Et pourtant : faut-il rappeler le monde de la tricherie organisée qu’est le sport professionnel de haut niveau (de la main d’or de Thierry Henry au dopage généralisé), le monde de l’exploitation de l’effort de certains par d’autres qui gravitent autour, managers, coachs, agents…, le massacre des pratiques intensives précoces, les échecs de vie qui suivent les années dorées de la performance avec les déchéances sociales, l’alcool et les drogues, la petite vie insupportable… Beau modèle ! Peut-être n’est-ce pas ce modèle qui guide le choix ministériel, mais celui du sport local, associatif, modeste, compétitif sans excès ? Mais même ce second modèle, cet autre aspect du sport, a çà et là des dimensions aliénantes : centrage excessif sur l’objet, sélection des meilleurs, rapports de dépendance aux cadres et aux entraîneurs…
Et pourtant les pratiques sportives peuvent être utiles dans l’accompagnement éducatif de jeunes en rupture sociale et en grandes difficultés relationnelles. Mais alors mises en œuvre de façon réfléchie et cohérente, en appui non pas sur des représentations croyantes mais sur les travaux scientifiques conduits depuis le milieu des années 1980 par des chercheurs, et sur les expérimentations de terrain mises en oeuvre par des intervenants lucides au travail avec des jeunes en difficulté.
Les acquis de ces travaux sont connus, diffusés. En bref, des pratiques sportives peuvent servir à quelque chose si plusieurs critères sont réunis :
un développement dans la durée. Rien de magique par le seul effet d’une rencontre, d’un tournoi, d’une aventure de quelques jours ;
une intégration, une articulation forte avec l’ensemble de l’accompagnement éducatif des personnes. Donc une articulation et une cohérence avec les exigences et les tolérances dans la conduite de la vie quotidienne, dans les apprentissages scolaires, une prise en compte dans les prises de recul globales (synthèses, détermination d’objectifs…) et une articulation et une cohérence avec les approches psychothérapiques ;
une adaptation des didactiques, des formes de pratique proposées, en lien avec les objectifs globaux suivis. Ici les didactiques et les démarches de la sphère loisirs-plaisir-détente ne sont pas adaptées ;
l’ouverture systématique d’espaces de parole accrochés à la pratique, afin de ne pas être que dans l’acte jamais mentalisé, dépassé, symbolisé.
Nous savons aussi, aujourd’hui, que des attentes de transferts de comportement entre les règles et contraintes d’une pratique et les règles et contraintes de la vie ne se font pas. L’escalade ne fait pas décrocher le toxico, la boxe ne soigne pas le violent, le foot ne structure pas l’asocial. Du moins pas tout de suite, pas si simplement, pas sans évolution globale des personnes issue de la globalité de ce qu’elles vivent. Là aussi, la littérature scientifique et professionnelle existe pour qui veut sortir des rêves du discours croyant.
En fait, les pratiques sportives sont à considérer comme étant un outil éducatif et pédagogique parmi d’autres, à articuler avec les autres. Rien de magique, rien de miraculeux, au risque de déconvenues encore plus cruelles que celles qui se font jour actuellement à propos des ERS. »
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