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Ces jeunes qui dérangent…

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L’ouverture des établissements de réinsertion scolaire (ERS), réservés aux collégiens ayant déjà fait l’objet de multiples exclusions, s’est révélée chaotique (1). Des incidents ont notamment eu lieu au collège Volney à Craon (Mayenne), choisi pour accueillir une de ces structures. Si ces projets ont pâti d’une certaine impréparation, ils véhiculent également une conception de l’éducation sujette à caution, estime Franck Underwood, directeur d’une maison d’enfants à caractère social à Chevilly-Larue (Val-de-Marne).

« Je n’ai pas envie de jeter mon fils en pâture à des sauvages. » Ces mots que j’ai entendus, aux infos de 13 heures le 12 novembre, de la bouche d’un père interviewé devant le collège de Craon m’ont fait froid dans le dos ! Nous avons bien deux France, une qui se donne bonne conscience en croyant protéger ses enfants, et l’autre constituée de “racailles”, de délinquants venant de la banlieue : ces exclus du système scolaire, à qui l’Etat, pour se déculpabiliser, tente de donner une “deuxième” chance !

Autant je pense que le projet des établissements de réinsertion scolaire aurait son intérêt dans le cadre d’un large débat de fond avec l’ensemble des partenaires sensibilisés à ces problèmes d’exclusion (protection judiciaire de la jeunesse, Education nationale, associations œuvrant pour la protection de l’enfance, conseils généraux…), autant l’implantation de dix dispositifs de réinsertion, dont celui du collège de Craon, aurait, me semble-t-il, nécessité une communication de fond avec le terrain d’accueil, professeurs et élèves confondus. Il aurait fallu une période d’adaptation et de prise de connaissance, voire d’apprivoisement mutuel.

Une mise en place précipitée

Les juges des enfants ont-ils été impliqués dans la mise en place de ce projet ? Ou résulte-t-il uniquement d’une décision administrative dont le seul objet est de mettre en œuvre la décision du président de la République de créer des internats rassemblant les perturbateurs exclus des établissements scolaires… ? L’Etat a-t-il l’intention de créer des ITEP (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques) parallèles, alors qu’il suffit de donner aux établissements existants des moyens de réaliser leur mission. Les placements de ces jeunes doivent se travailler avec des interlocuteurs institutionnels mandatés pour le faire. C’est une réponse sociale et médico-sociale que nous devons apporter, une réponse qui puisse en même temps garantir un travail en réseau. Y a-t-il eu une réflexion autour d’un projet en accord avec les dispositions de la loi 2002-2 ? La mise en place des ERS ressemble fortement à l’expédition de jeunes aux bagnes d’enfants… !

En outre, comment peut-on imaginer faire cohabiter des jeunes d’une culture de “banlieue” avec d’autres ayant une culture de “campagne”, loin de l’agitation des grandes villes ? N’est-ce pas explosif de regrouper un groupe de 15 jeunes de même origine sociale (je présume) dans un même lieu, alors qu’il existe d’autres réponses ? Comment a-t-on géré ce face-à-face entre ces jeunes déjà étiquetés “racailles” et les autres, ressentis comme “filles et fils à papa”, des “bourges” quoi… ? Quand on pense qu’un seul regard entre jeunes peut déclencher de la violence… “Tu veux mon portrait ?”

« S’apprivoiser mutuellement »

Aujourd’hui, en internat, impossible de garder un jeune entre quatre murs. Il a besoin de sortir, de se montrer… de montrer qu’il existe. Autrement il faut carrément l’enfermer. Dans ce cas, nous ne sommes plus dans le registre éducatif, encore moins dans l’accompagnement. Il faut d’abord travailler la relation, s’apprivoiser mutuellement. Cela n’est pas toujours facile ! Ces jeunes-là n’ont que l’institution et ses représentants sur qui déverser leur haine et leur angoisse, sinon, l’autre solution, c’est “casser”. Mais à force de lui faire passer le message qu’il existe pour nous et que nous ne le laisserons pas tomber parce qu’il compte à nos yeux (Saint-Exupéry), un adolescent peut évoluer…

La MECS (maison d’enfants à caractère social) que je dirige compte 87 places pour les jeunes de 13 à 21 ans, placés par les juges des enfants ou par décision administrative. Ce sont des jeunes en difficultés personnelles, sociales et familiales, ayant souvent vécu des exclusions du système scolaire, et se trouvant, pour un certain nombre d’entre eux, dans une grande errance scolaire et familiale. A côté du dispositif d’hébergement, nous avons un centre de jour qui accueille 25 jeunes de 13 à 16 ans, ayant pour une majorité d’entre eux le même profil que les jeunes envoyés à Craon. Nous rencontrons les mêmes problèmes de violence, de discipline, mais ce n’est pas pour autant que nous les excluons. De toute façon, certains de ces jeunes n’ont plus rien à perdre. C’est comme cela que nous nous trouvons parfois face à des “patates chaudes”, trimballées d’un établissement à un autre. Ils rentrent alors dans une errance institutionnelle, et s’enferment dans une désespérance et une étanchéité totale aux sollicitations des travailleurs sociaux.

Nous les recevons de toute la région parisienne. Ils sont accueillis à partir de 8 heures, autour d’un petit déjeuner. Malgré leurs difficultés antérieures, 95 % de ces jeunes arrivent à l’heure ! Nous déplorons certes quelque absentéisme, mais pour nous l’essentiel n’est pas là. Il réside dans la capacité qu’a chaque jeune de rebondir et d’engager son processus de résilience. Nous y croyons ! C’est peut être ce qui fait notre force !

La peur de l’étranger

Que les parents d’élèves du collège de Craon aient décidé dans un premier temps de garder leurs enfants jusqu’à la fermeture de l’ERS doit nous donner à réfléchir. C’est la peur de l’étranger, de celui qui n’est pas comme nous ! Peut-on leur jeter l’anathème ? Il me semble que c’est un réflexe normal si les conditions d’un dialogue n’ont pas été réunies ! Que peut faire une mère quand elle a le sentiment que ses enfants sont attaqués ?

Il me semble que nous devons nous poser des questions de fond. L’éducation est-elle synonyme d’une rentrée en force, ou ne doit-elle pas avoir comme fondement la création du lien, c’est-à-dire de la reconnaissance mutuelle ? “Tu existes, et moi j’existe… Nous existons ensemble et nous avons ensemble un bout de chemin à faire. Je crois en ta capacité. Cela ne va pas toujours être facile ni pour toi, ni pour moi. Mais l’essentiel est que nous y croyons toi et moi.”

Nous traversons une période où tout le monde doit faire des économies. Dans le cadre de la gestion d’un établissement, nous avons à faire des choix. Les départements font face à un problème de finances et l’Etat semble empiler des dispositifs d’une manière isolée. Mais le secteur associatif n’a pas attendu l’Etat pour faire preuve d’imagination et d’inventivité en matière de protection de l’enfance. Et les lois existantes nous en donnent les moyens, notamment celle de 2007.

L’ADSEA (Association départementale pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte) d’Eure-et-Loir vient ainsi de mettre en place, à titre expérimental, un “internat socio-éducatif médicalisé pour jeunes incasables”, dont l’objectif est de leur apporter une prise en charge globale conciliant des soins psychiatriques et un suivi éducatif, scolaire et professionnel, et ce dans le cadre d’un cofinancement entre le conseil général, la protection judiciaire de la jeunesse et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Autre exemple, au sein de l’établissement que je dirige, le centre de jour fonctionne comme un dispositif-relais. Nous nous sommes manifestés auprès de Luc Chatel dans le cadre de son appel d’offres pour les accueils de jour. Le département du Val-de-Marne va très probablement lancer un appel d’offres autour de ces mêmes dispositifs.

Certes, le chantier en direction de ces jeunes malmenés, stigmatisés, exclus, et portant une souffrance intérieure incommensurable, est vaste. Le secteur associatif et les politiques, au sens large, ne suffiront pas. Nous devons apprendre à travailler ensemble. Ces jeunes qui dérangent ont besoin d’une réponse, d’un cadre permanent auquel se référer. Tout projet construit sans cohésion, à coups d’ordonnances, sans âme, est voué à l’échec. Nous avons besoin de grandir ensemble pour permettre à nos jeunes de grandir avec nous. Nous avons besoin de faire passer un message fort à cette jeunesse, un message d’espérance.

José-Luis Martin Vigil, dans son livre Autour de moi ce silence (Editions Casterman), qui commence à dater maintenant (1964) mais dont le message d’espérance est, me semble-t-il, toujours d’actualité, disait, dans son appendice : “La jeunesse, aussi menacée ou dégradée qu’elle soit, bénéficie toujours de certaines possibilités. Quelles que soient les épreuves qu’elle a connues, les directions inquiétantes qu’elle a prises, les risques qu’elle a imprudemment accepté de courir, une heure vient toujours où l’occasion lui est offerte de prendre un nouveau départ. Et c’est d’elle-même et en elle-même qu’elle doit d’abord cette chance : à cette flamme qu’on ne saurait éteindre, à cette braise cachée que tout jeune conserve en lui, même si pour la retrouver et l’atteindre il est nécessaire de remuer une pyramide de décombres.”

Porter un espoir

J’ai la naïveté de croire que tous ceux qui, de près ou de loin, y compris les politiques, ont à faire à la jeunesse portent, quelque part, cet espoir. En tout cas, en ce qui me concerne, arrivant au terme de ma vie professionnelle, il m’a toujours guidé dans mes choix. Je pense que les parents d’élèves du collège de Craon n’y resteront pas indifférents. Etre parent, c’est aussi croire en l’avenir de notre jeunesse ! »

Contact : Centre d’observation et de rééducation – 7, rue Outrequin – 94669 Chevilly-Larue cedex – Tél. 01 49 78 32 57 – asmsdircor@wanadoo.fr

Notes

(1) Ce qui a conduit le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, à lancer, le 22 novembre, plusieurs chantiers pour en améliorer le fonctionnement – Voir ce numéro, p. 7.

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