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« Avec l’assurance individuelle, on n’est plus dans la mutualisation du risque »

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« Je veux créer une nouvelle branche de sécurité sociale, le cinquième risque », a annoncé le 16 novembre Nicolas Sarkozy, évoquant la réforme très attendue de la dépendance. Mais ce nouveau risque relèvera-t-il de la solidarité collective ou de l’assurance individuelle ? L’analyse de Bernard Ennuyer, directeur d’un service d’aide à domicile et spécialiste du dossier.

L’annonce par Nicolas Sarkozy de la création d’un risque « dépendance » vous paraît-elle une réponse pertinente ?

S’il s’agit de créer une nouvelle branche de la sécurité sociale, on ne peut qu’être d’accord, dans la mesure où l’on respecterait ainsi le principe de mutualisation des risques, c’est-à-dire de notre responsabilité mutuelle les uns envers les autres. Ce nouveau risque s’ajouterait aux quatre branches créées en 1945, couvrant les états chroniques invalidants ou incapacitants qui n’existaient pas auparavant. Mais lorsque Nicolas Sarkozy entend par cinquième risque la création d’une possible assurance individuelle, ça ne va plus. On n’est plus dans la même logique, chacun devenant responsable uniquement pour lui-même. Car la dépendance, c’est aussi le fait d’avoir besoin les uns des autres. En ce sens, pour moi, c’est une valeur positive qui se trouve à la base même de la cohésion sociale.

Que reprochez-vous à l’assurance individuelle ?

La députée UMP Valérie Rosso-Debord a préconisé en juin dernier, dans son rapport à la mission d’information à l’Assemblée (1), de substituer une assurance individuelle obligatoire à l’APA [allocation personnalisée d’autonomie]. Il s’agirait pour elle de faire cotiser forfaitairement tout le monde, à partir de 40 ou 50 ans, à une assurance dépendance. Avec 30 € versés par mois, une rente de 1 000 € pourrait être versée en cas de besoin. Mais une cotisation forfaitaire n’est pas équitable : 30 € par mois, ce n’est pas la même chose selon que l’on perçoit 900 € ou 3 000 € de retraite. En outre, quelles en seraient les conditions ? Pour l’instant, les assureurs ne couvrent que l’incapacité totale, et ils­trouvent déjà toutes sortes de raisons pour éviter de verser les rentes. Par ailleurs, d’un point de vue économique, l’assurance n’est pas le système le plus efficient. Si l’on prélève 30 € par mois sur toutes les personnes de 50 ans et plus, cela représente trois fois le financement de l’APA actuelle pour distribuer aux gens seulement deux fois plus, l’APA pour les GIR 1 à 3 (2) étant en moyenne de 570 €.

D’autres modes de financement sont envisagés…

Pour Valérie Rosso-Debord, le recours sur succession concernerait les bénéficiaires de l’APA dont le patrimoine représente plus de 100 000 €. Ce qui est le cas de plus d’un Français sur deux. Mais on risque ainsi de les dissuader – et c’est peut-être l’objectif – de demander l’APA, afin de ne pas léser leurs héritiers. De plus, il n’est pas normal qu’une personne âgée ayant besoin de l’APA soit pénalisée dans son patrimoine alors que la personne d’à côté, en bonne santé, ne le sera pas. Si l’on est solidaire, il faut que tout le monde soit concerné, y compris les retraités et les revenus du capital. Cela impliquerait de créer une CSG supplémentaire, avec sans doute une taxation sur le capital, ou de remettre en place des droits de succession pour tous. Ce qui nous renvoie à la réforme fiscale annoncée par Nicolas Sarkozy. Enfin, le rapport propose de supprimer l’APA pour les GIR 4 – soit 1,6 milliard d’euros d’économie, sur un financement total de l’APA d’environ 5,3 milliards. Pourquoi pas ? Sauf qu’il préconise aussi de privilégier le maintien à domicile, de développer la prévention, d’éviter les hospitalisations… Or supprimer la prise en charge des GIR 4 déboucherait sans doute sur des dépenses hospitalières supplémentaires. Au bout du compte, nous avons besoin de 3 à 5 milliards d’euros pour redéployer un dispositif qui fonctionne. Ne peut-on revenir, par exemple, sur l’exonération de TVA dont ont bénéficié les cafés-restaurants, ou diminuer les budgets militaires ? La réforme que nous souhaitons ne réclame pas des dizaines de milliards d’euros. Nous ne sommes pas dans le même ordre de grandeur que pour la réforme de la retraite. Mais tout cela suppose un choix politique des citoyens pour que tous les gens continuent à avoir le libre choix de leur mode de vie.

Pourquoi réformer la prise en charge de la dépendance ?

La première raison est que l’on se trouve face à un mille-feuille législatif et réglementaire. Il y a eu les aides ménagères, puis l’allocation compensatrice tierce personne, en principe ouverte à tous les âges. Mais comme cela revenait trop cher aux conseils généraux, on a créé en 1997 la prestation spécifique dépendance. Après quoi on l’a remplacée en 2002 par l’APA, qui reste trop limitée car elle ne couvre que les personnes classées dans les GIR 1 à 4. Or mêmes celles des groupes 5 et 6 ont besoin d’une aide. En outre, tout le monde convient que le montant de l’APA, de 406 € en moyenne, est insuffisant. Pour les gens classés en GIR 1, cela tourne autour de 850 €, soit moins de deux heures d’aide par jour, alors qu’il leur en faudrait cinq ou six. Enfin, le système est incompréhensible car morcelé entre les services prestataires, les services d’aide à la personne, les services de soins infirmiers à domicile…

Doit-on considérer les personnes handicapées comme dépendantes ?

C’est l’un des éléments du débat. En France, on a tracé une frontière entre les personnes dépendantes âgées de 60 ans et plus et les personnes handicapées de moins de 60 ans. Le collectif Une société pour tous les âges (3), dont je fais partie, défend l’idée d’une égalité des droits quel que soit l’âge. Ce qui ne veut pas dire que les réponses à apporter soient les mêmes. Il est évident qu’une dame invalide de 90 ans n’a pas les mêmes besoins qu’un enfant handicapé de 10 ans. Mais en termes de droit, cette discrimination n’est pas acceptable. L’article 13 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées stipulait d’ailleurs que, dans un délai de cinq ans, il ne devait plus y avoir de discrimination en matière d’âge pour bénéficier des prestations. Cette discrimination est toujours là aujourd’hui.

Peut-on prévoir l’évolution de la dépendance ?

La part des personnes classées en GIR 1 à 4, à domicile ou en établissement, représente actuellement 8 % des plus de 65 ans, soit de 1 à 1,2 million de personnes. La croissance devrait être d’environ 1 % par an. Dans vingt-cinq ans, l’augmentation devrait donc être de près d’un tiers, soit environ 400 000 personnes. Dans le même temps, le nombre total des personnes de plus de 75 ans aura doublé et celui des plus de 80 ans aura triplé. Le nombre des gens en incapacité va croître en valeur absolue mais diminuer en part relative de la population concernée, les personnes âgées étant en meilleure santé. L’avenir n’est donc pas aussi sombre qu’on le dit. Du point de vue des financements, cela signifie que si la croissance de la richesse nationale se maintient à environ 1 % par an, il n’y aura pas de problème majeur. En revanche, ce sera plus difficile si l’on souhaite donner une meilleure couverture aux personnes en situation de handicap, et ce quel que soit leur âge.

Quelle place pour la solidarité familiale dans le futur système ?

Il faut que les enfants restent les garants moraux de l’identité de leurs parents vieillissants lorsque ceux-ci ne vont pas bien. Le problème est qu’ils récupèrent aujourd’hui bien souvent la charge de l’aide à domicile, des soins, du financement… sans compter l’inquiétude permanente de l’avenir. L’aide professionnelle représente actuellement, en moyenne, deux heures par jour pour les cas les plus lourds, celle des conjoints huit à dix heures et celle des enfants cinq heures. Ma position est que les proches puissent continuer à jouer ce rôle de soutien moral, mais qu’ils soient déchargés de ce qui est matériel. Ce qui implique, bien sûr, de renforcer considérablement l’aide professionnelle.

Quelle serait la réforme idéale ?

Le domicile doit être la priorité, et il faut y mettre les moyens. Les Français veulent massivement rester chez eux. Il faut une politique publique mieux solvabilisée, sur une base de sécurité sociale, y compris par une augmentation des prélèvements obligatoires. Au passage, on aurait tout intérêt à développer des formes de prise en charge intermédiaires du type petites unités de vie. Les gens n’ont pas forcément envie d’intégrer un établissement de 80 ou 100 lits quand ils ne peuvent plus ou ne veulent plus rester à domicile. En revanche, ils ne seraient sans doute pas contre le fait de vivre dans un domicile collectif de 10 ou 12 personnes où ils retrouveraient une sociabilité tout en conservant leurs prérogatives individuelles.

REPÈRES

Directeur à Paris d’un service de maintien à domicile, Bernard Ennuyer est également sociologue. Il a publié Les malentendus de la dépendance. De l’incapacité au lien social (Ed. Dunod, 2003) et Repenser le maintien à domicile (Ed. Dunod, 2006), puis a codirigé avec Pascal Dreyer Quand nos parents vieillissent. Prendre soin d’un parent âgé (Ed. Autrement, 2007).

Notes

(1) Voir ASH n° 2666 du 2-07-10, p. 7.

(2) Les groupes iso-ressources (GIR) classent les personnes en fonction des différents stades de perte d’autonomie : du GIR 1, pour les dépendances lourdes, au GIR 6, pour les dépendances faibles.

(3) http://une-societe-pour-tous-les-ages.over-blog.com.

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