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Entreprendre autrement

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Alors que les réformes de l’action sociale et médico-sociale engagées par l’Etat s’appuient très clairement sur le modèle de l’entreprise marchande, les associations du secteur doivent suivre des voies alternatives de développement. Telle est la conviction de Roland Janvier, Jean Lavoué et Michel Jézéquel, directeurs généraux d’associations en Bretagne (1).

« Forts de la doctrine du New Public Management, les pouvoirs publics sont, en France, à la recherche d’une nouvelle efficience. L’Etat se montre particulièrement actif dans le champ de la santé avec la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Les réformes sont inspirées par le contexte européen, à fortes traditions subsidiaires, porteuses de conceptions différentes de l’Etat, des territoires, des cultures ou des communautés. Ces nouvelles méthodes de l’Etat social actif, décrites par Robert Castel (2), mobilisent usagers et professionnels par l’engagement de dépenses, jusqu’alors dites “passives”, dans une perspective de responsabilisation et de participation. A une logique de distribution abstraite et indifférenciée visant la stricte égalité des droits individuels se substitue une dynamique de prestations ciblées et évaluées, valorisant le parcours singulier de chaque personne accompagnée. Cette métamorphose est à l’œuvre depuis une vingtaine d’années. La loi rénovant l’action sociale et médico-sociale, en 2002, en fut le versant pédagogique. Nous entrons maintenant dans une phase plus volontariste de transformation structurelle et organisationnelle : fluidification des fonctionnements, flexibilité et mobilité des initiatives, évolutivité de l’offre… Ces mutations ont pour toile de fond une crise économique mondiale fragilisant une France lourdement endettée, notamment du fait de l’exigence de son modèle social.

Cette révolution des organisations sociales (3) remet en cause les fondements de l’action que furent les filières de professionnalisation, les périmètres des services ou établissements, la surface des organismes gestionnaires. Il faudra du temps et un accompagnement vigilant des acteurs pour permettre, en toute sécurité, le déplacement des identités professionnelles et l’évolution des cultures, sans faire de concession aux principes d’autonomie, de créativité et de responsabilité. C’est l’intelligence collective qui doit être ici mobilisée si l’on ne veut pas aboutir à renforcer l’insécurité sociale que cette révolution est censée combattre. Or l’unique voie qui semble s’imposer à présent est celle de la mise en compétition par la généralisation de la concurrence au travers des procédures d’appel à projet. Dans cette entreprise, les collectivités publiques sont assistées d’usagers promus à un rôle de “clients” reléguant les “offreurs de services” à une fonction subalterne.

Déstabilisation des professionnels et des associations

Cette reprise d’initiative de l’Etat déstabilise les professionnels de l’action sociale comme les associations qui les emploient. C’en serait fini de la primauté de l’analyse des besoins qui légitimait l’initiative associative et qui a construit, depuis la Seconde Guerre mondiale, les professionnalités et les cadres institutionnels. La logique s’inverse, c’est la puissance publique qui conduit l’analyse des besoins, fixe les cahiers des charges et organise la rivalité entre les acteurs historiques. Bénévoles et professionnels peuvent être perplexes devant la remise en cause d’un modèle d’action qu’ils avaient largement élaboré par eux-mêmes et dans lequel ils avaient investi tout leur savoir-faire. Ils peuvent être sceptiques sur l’effet vertueux conféré à la concurrence pour améliorer l’efficience et la performance du système dans un contexte de restrictions budgétaires.

En réaction, de nombreuses associations se sont engagées dans une mobilisation de leurs acteurs pour anticiper les déplacements nécessaires. L’expérience montre que la conduite d’un tel changement est longue. Seule la mobilisation des ressources de toutes les parties prenantes évite les ruptures et les conflits. Cela suppose un travail de fond sur les dynamiques des projets associatifs, une mutation en profondeur des modes d’organisation, selon une visée coopérative. Cela implique des réformes statutaires afin de garantir la participation des adhérents, des usagers, des bénévoles, mais aussi des professionnels à la vie de l’association. Cela engage la recherche de partenariats dans la construction de réseaux développant les synergies. Ces initiatives démontrent que la responsabilisation des acteurs ne passe pas par la voie unique des logiques concurrentielles trop inspirées des pratiques lucratives.

C’est assez spontanément que, selon cette mouvance alternative, de nombreuses associations reconsidèrent leur lien avec l’économie sociale et solidaire. Lien historiquement ténu du fait des relations entretenues par les associations d’action sociale avec les autorités publiques. Sur la base d’une réappropriation des valeurs de solidarité, de coopération, centrées sur la ressource des acteurs, il s’agit de créer une synergie. C’est l’occasion de reconsidérer l’arrimage serré entre les organisations sociales et l’appareil d’Etat, ses modes de financement et ses méthodes concurrentielles. Il ne s’agit pas de s’en dégager – la dépendance à l’égard des financements publics reste une réalité incontournable – mais d’être en capacité d’occuper une posture alternative pour mobiliser des solidarités renouvelées, fondées sur une autre conception de la production du social, refusant l’exclusivité d’une logique marchande présentée comme ultime régulation.

Une standardisation dangereuse

Ce travail de remobilisation associative est engagé. Il est porté par la dimension pédagogique de la loi 2002-2 (droit des usagers, évaluation…). Il est aujourd’hui menacé par ces nouvelles méthodes de management public (appels à projets, performance…). C’est le travail de production de la société lui-même qui est mis à mal par cette tendance à la standardisation. Or l’intelligence collective suppose confiance et reconnaissance, dynamiques coopératives, maillage des compétences individuelles et collectives. Ce sont là quelques conditions d’un changement en profondeur des dispositifs, des méthodes, des pratiques et des cultures.

Alors que la référence au monde de l’entreprise marchande est devenue la clé de la conduite de l’Etat, notamment dans un processus de recentralisation marqué par l’interventionnisme, il nous faut explorer des formes de management plus performantes, fondées sur les espaces de liberté et d’initiative ouverts aux acteurs, sur le temps laissé à l’élaboration réciproque de la reconnaissance et de la confiance. Bref, explorer une manière d’“entreprendre autrement” (4).

Entreprendre autrement plutôt que de laisser faire la concentration de quelques gros opérateurs adossés aux administrations dont ils ne seront que le miroir docile. Entreprendre autrement plutôt que de favoriser la rationalité gestionnaire et l’insécurité au profit d’une course insensée à la performance. Entreprendre autrement pour que les associations maillent les territoires, participent au changement social et élaborent, avec les acteurs publics, de véritables projets mobilisant les citoyens. »

Contacts : roland.janvier@gmail.com ; mjezequel@donbosco.asso.fr ; jean.lavoue@wanadoo.fr

Notes

(1) Roland Janvier est directeur général de la Fondation Massé-Trévidy (Finistère), Michel Jézéquel, directeur général de l’association Don Bosco (Finistère) et Jean Lavoué, directeur général de l’association Sauvegarde 56 (Morbihan).

(2) La montée des incertitudes – travail, protections, statut de l’individu – Le Seuil, 2009.

(3) Voir sur ce sujet l’interview de Jean-Yves Barreyre, intitulée « La révolution organisationnelle reste à mener », dans les ASH n° 2646 du 12-02-10, p. 20.

(4) Roland Janvier, Michel Jézéquel et Jean Lavoué ont, en octobre 2009, coordonné, avec Alain Roquejoffre, le numéro 125 de la revue Forum (revue de la recherche en travail social), intitulé « Les associations d’action sociale au défi d’entreprendre ».

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