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Hautes écoles : de nombreuses questions encore en suspens

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Si le concept de « haute école en action sociale » est séduisant dans ses objectifs, reste à définir précisément ce qu’il implique pour les centres de formation. D’où l’importance des discussions en cours sur la mise en œuvre technique des propositions de l’Unaforis.

Pierre Gauthier, président de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) réussira-t-il à convaincre l’ensemble des centres de formation de l’intérêt de créer des hautes écoles en travail social ? Il n’aura pas trop en tout cas des quelques mois qui restent jusqu’au vote de la fusion de l’Aforts et du GNI (1) au sein de l’Unaforis, prévu à la fin du premier semestre 2011, et qui aura valeur de test de la volonté des adhérents de s’engager dans cette dynamique. C’est que le projet de réforme adopté le 6 juillet (2) et présenté officiellement le 26 octobre lors de la Conférence nationale des formations sociales, s’il répond aux attentes de certains, suscite aussi des inquiétudes, voire des réticences.

Assurer l’avenir

Pourtant, les propositions sur lesquelles les groupes de travail constitués au sein de l’Aforts et du GNI continuent de travailler (voir encadré ci-dessous), ont de quoi sé­duire. Qui pourrait reprocher à l’Unaforis de vouloir permettre à l’appareil de formation, aujourd’hui fragilisé par son émiettement, de faire face à la compétition accrue des autres opérateurs (universités, établissements d’enseignement secondaire, secteur privé lucratif) sur un marché aujourd’hui dérégulé et de s’inscrire dans l’espace européen de l’enseignement supérieur sans lui faire perdre sa vocation promotionnelle ? Quant au contenu même des propositions, elles ont l’intérêt de combiner une réforme de l’architecture des formations visant à fluidifier le système et à faciliter la comparabilité des titres au niveau européen et une réorganisation des écoles.

Reste que c’est bien évidemment ce dernier point qui est le plus délicat à mettre en œuvre. Le projet propose une restructuration en deux étapes : les centres de formation sont d’abord invités à mutualiser les fonctions d’expertise, de recherche, d’animation de réseau et d’intervention au plan international au sein de « plateformes régionales ». Et ce n’est que dans un deuxième temps que celles-ci évolueront vers un dispositif « plus intégré », « les hautes écoles professionnelles en action sociale ». Selon le projet, l’identité des organisations sera préservée : les plateformes disposeront d’« un pilotage stratégique et opérationnel », mais il n’y aura pas de regroupement au sens physique et les écoles continueront à mailler le territoire. Quant aux hautes écoles, leur forme juridique sera laissée à l’appréciation des parties prenantes. « La démarche sera progressive et tiendra compte des situations régionales », précise encore Pierre Gauthier, qui explique que l’ambition est d’arriver à créer aminima une plateforme par région à l’horizon 2013. Pas question non plus de contraindre qui que ce soit, puisque la démarche se veut volontaire, même si l’on ne voit pas comment certains pourraient rester isolés.

Des risques d’OPA ?

Malgré les garanties apportées sur le papier, beaucoup s’interrogent sur la façon dont vont se créer les plateformes territoriales. Leur gouvernance ne va-t-elle pas être le lieu d’un rapport de forces entre les écoles au profit des plus importantes ? C’est le sens des inquiétudes exprimées par Philippe Gaberan, directeur de l’Ecole en travail ­éducatif et social de Marjevols (Lozère): « Il faudrait être naïf pour ne pas voir que la belle intention de créer des hautes écoles risque d’être l’occasion pour certains de faire une OPA sur les petits centres de formation et d’entraîner la disparition de la diversité des approches pédagogiques. » « Même si on nous assure que leur identité sera sauvegardée, il y aura forcément une perte de la souveraineté des centres qui devront appliquer les décisions pédagogiques décidées au niveau de la haute école, et dont on devine très bien qu’elles seront influencées par les gros établissements », estime Marc Lantrin, directeur du Centre polyvalent de formation professionnelle de La Rouatière (Aude). Par exemple, chaque école mène sa politique de stages à travers un réseau de proximité qu’elle s’est constitué. Est-ce la haute école qui va décider des modalités de leur mise en œuvre, voire des épreuves de certification ? Et s’il y a, par exemple, un besoin de formation d’aide médico-psychologique sur un territoire, est-ce elle encore qui va choisir l’opérateur ? Quelle marge de manœuvre reste-t-il alors aux établissements ?, s’interroge-t-il. Apparaît ainsi en filigrane la crainte que les hautes écoles aboutissent à un formatage et à une standardisation des pratiques.

Une inquiétude nourrie encore par la proposition, figurant dans le projet adopté le 6 juillet, qu’elles soient labellisées et contrôlées par l’Unaforis à partir d’un cahier des charges. « On n’a plus affaire à une tête de réseau, mais à une superstructure qui devient le régulateur et l’ordonnateur », dé­plore Serge Desseigne, directeur du centre de formation des CEMEA de Languedoc-Roussillon et délégué régional de l’Aforts. « On n’est plus dans le réseau d’écoles qu’était l’Aforts avec des établissements au­tonomes, et basé sur le principe “une entité, une voix”, mais dans un système vertical fondé sur la concentration des structures et la captation de la gouvernance par un petit nombre de personnes », estime Philippe Gaberan.

« On voit effectivement remonter au sein de l’Aforts les craintes de centres de formation historiques, implantés depuis de nombreuses années, que les instituts régionaux du travail social [IRTS], en raison de leur poids et de leur histoire, deviennent les maîtres du jeu des hautes écoles. D’autant que certains élus de conseils régionaux ont encore une représentation de l’appareil de formation qui se limite aux IRTS. Nous devons entendre ces inquiétudes légitimes et être très vigilants pour éviter toute dérive dans la mise en place de la démarche, affirme Christian Chassériaud, président de l’Aforts. A cela s’ajoute la crainte des petites écoles qui n’offrent que des formations de niveaux IV et V, de ne pas avoir leur place dans la nouvelle structuration. » Il se dit là aussi extrêmement attentif pour « ne pas créer les conditions de l’exclusion d’une partie des petits centres de formation des plateformes territoriales ».

Remue-ménage en région

Les inquiétudes sont d’autant plus vives que les choses s’organisent sur le terrain. En Languedoc-Roussillon, alors qu’il existait un réseau réunissant l’ensemble des centres des formations, trois d’entre eux – l’IRTS, l’IFME, l’IRFFD (3) – ont créé en octobre l’Aproforis (Association pour la promotion de la formation et de la recher­che en intervention sociale). Un nom qui n’a pas été choisi au hasard. « Nous avons voulu nous donner un cahier des charges plus ambitieux et plus contraignant afin de parvenir à créer, en lien avec l’Unaforis, la haute école », explique Jacques Fraisse, directeur général de l’IRTS. Il espère bien réussir à convaincre les quatre autres centres de formation qui, pour l’instant, n’ont pas souhaité adhérer. L’association, qui entend préfigurer la plateforme territoriale, a un rôle politique – être l’interlocuteur des collectivités territoriales et des employeurs sur les besoins de formation – et techniques – structurer régionalement l’offre de formation. A côté du conseil d’administration (piloté par le président de l’association gestionnaire de l’IFME), un comité de directeurs, dont la délégation générale a été confiée à Jacques Fraisse, a été mis en place : « L’idée n’est pas de parvenir à un seul établissement. Néanmoins, si les écoles conserveront leur approche pédagogique, elles devront répondre à des exigences communes. Par exemple, la question se pose d’ouvrir une formation d’assistant de service social à Nîmes. Nous nous demandons ensemble quel type de lien faire avec les formations qui existent déjà à Montpellier et à Perpignan. »

En Aquitaine, le choix est différent : les quatre centres de formation historiques (4) devraient créer officiellement en décembre un groupement d’intérêt économique (GIE). « Nous n’avons pas voulu créer une association chapeau, qui pourrait se substituer aux associations adhérentes. Le GIE, dont la présidence sera tournante, permet une mise en commun de certaines activités tout en préservant l’indépendance de ses membres, assure Christian Chassériaud, également directeur général de l’Institut du travail social de Pau. Par ailleurs, ce statut est bien adapté pour défendre l’intérêt économique des écoles sur le marché désormais ouvert de la formation. »

C’est en Bretagne que la démarche est la plus engagée puisque le Groupe des instituts régionaux de formation des acteurs sociaux (Girfas) existe depuis 2005 et réunit cinq écoles (5). « Nous avons déjà réalisé la plateforme, explique Jean-Vincent Trellu, directeur exécutif du groupement et directeur général de l’IRTS de Bretagne. Nous offrons ainsi de façon cohérente toutes les formations initiales et continues sur 11 sites répartis sur la région et nous sommes devenus un acteur de la veille sociale, de la re­cherche et de l’animation, ce qu’aucun des centres adhérents n’aurait pu devenir seul. »

« Un projet régional »

L’association s’appuie sur une équipe de direction étoffée avec quatre directeurs (exécutif, des formations, des projets, administratif et financier) mis à disposition à temps partiel par les associations. La philosophie est claire : « Il ne s’agit plus de trouver des solutions coordonnées entre centres de for­mation mais de construire un projet régional qui sera décliné dans chacun d’entre eux », affirme Jean-Vincent Trellu. Serait-on alors dans une logique descendante qui s’imposerait aux centres de formation ? Non, répond-il, puisque le projet politique a été élaboré au sein du conseil d’administration où sont représentées les associations adhérentes. « Par ailleurs, la direction des formations associe les personnels des centres au sein de groupes de travail, ce qui fait que les décisions de principe sont prises en commun et qu’elle sont ensuite déclinées avec souplesse par chaque école. Nous avons en outre un comité exécutif et un comité technique où s’élaborent conjointement les décisions. » C’est sur ces bases, explique-t-il, que le Girfas Bretagne est en train de mettre en place un protocole régional de l’alternance avec la région et l’Etat, qu’il a travaillé à la mise en crédits des formations des niveaux I, II, III et qu’il va dispenser, sur chaque site, 30 % de ses formations dans le cadre de la transversalité (par des séquences formatives communes). « Nous n’avons pas perdu notre offre de proximité, assure Jean-Vincent Trellu. Au contraire, nous renforçons les sites de formation. » Les choses demeureront-elles toutefois en l’état ou faudra-t-il aller plus loin dans la structuration dans la perspective de la haute école ? C’est la question que se pose aujourd’hui le Girfas, qui va lancer une étude avec l’aide d’un cabinet extérieur pour savoir si son organisation répond aux enjeux à venir. Une chose, pour son directeur exécutif, est sûre : « Nous avons une organisation pionnière, mais complexe et en mille-feuille. Il faut progresser dans la mutualisation pour avoir un vrai projet régional. »

On le voit donc, si le modèle de « haute école » a de quoi séduire, bon nombre d’inconnues demeurent. C’est désormais dans les choix retenus pour sa mise en œuvre que l’Unaforis pourra démontrer que le projet ne se réduit pas à une opération de management et de réduction des coûts, comme le dénoncent avec virulence les formateurs réunis au sein de l’Aforssse (6). Il va falloir en effet répondre à trois questions cruciales. Tout d’abord, l’Unaforis sera-t-elle une structure pyramidale ou non ? Et quel système de représentation des centres de formation : égalitaire ou pondéré en fonction de leur taille ? Ces interrogations sont au cœur des discussions sur le statut de la nouvelle organisation, que Pierre Gauthier souhaite « démocratique tout en ayant la capacité de décider ». Celui-ci se dit en outre bien décidé à ce que l’Unaforis prenne part aux débats intéressant les formations sociales, comme celui sur les formations relatives au handicap ou sur le travail social communautaire.

Des garanties attendues

Deuxième question liée au cahier des charges des hautes écoles : quel sera le statut de ces dernières et quelle place sera laissée aux centres de formation ? Deviendront-ils de simples antennes délocalisées sans existence juridique ? « Il faut éviter les fusions d’office tout en faisant preuve d’empirisme », affirme Pierre Gauthier, qui évoque la possibilité pour les hautes écoles de se constituer en groupements de coopération sociale et médico-sociale ou en groupements d’intérêt public, « ce qui permettrait aux entités de garder leur personnalité morale ». Enfin, qui labellisera les hautes écoles ? L’Unaforis, au risque d’être juge et partie, comme le propose le projet initial ? Cette question doit encore être discutée, d’autant « qu’il faut tenir compte de l’avis du ministère chargé des affaires sociales et de l’Association des régions de France », précise Pierre Gauthier.

Sur tous ces points, les adhérents de l’Aforts et du GNI attendent donc des garanties. Quoi qu’il en soit, rappelle le président, les hautes écoles n’existeront que s’ils le décident. « Sinon l’Unaforis s’autodétruira naturellement. »

UN LOURD CHANTIER

Quatre groupes de travail mixtes Aforts-GNI planchent sur la mise en œuvre des propositions adoptées par l’Unaforis :

 l’un, prioritaire, porte sur les projets de statuts de la future Unaforis ;

 deux autres sont chargés d’approfondir les propositions sur l’organisation des plateformes régionales et le montage des hautes écoles, d’une part, et sur l’architecture des diplômes, d’autre part ;

 le dernier vise à apporter un éclairage sur les incidences des propositions en termes financier, conventionnel et statutaire.

Les trois premiers groupes de travail doivent remettre un rapport d’étape en janvier prochain.

Notes

(1) Association française des organismes de formation et de recherche en travail social et Groupement national des instituts régionaux du travail social.

(2) Voir l’interview de Pierre Gauthier, ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 30

(3) L’Institut de formation aux métiers éducatifs et l’Institut régional de formation aux fonctions de direction.

(4) L’IRTS de Talence, l’ITS de Pau, le Centre de formation au travail sanitaire et social de Bergerac et Etcharry formation développement.

(5) L’Association pour les formations aux professions éducatives et sociales, l’IRTS de Bretagne, Arcades formation, le Grimes et l’Institut pour le travail éducatif et social.

(6) L’Association des formateurs du secteur social sanitaire et éducatif, qui a lancé un « appel du 18 aux formateurs et acteurs sociaux » (voir ASH n° 2679 du 21-10-10, p. 28), a demandé à la DGCS de prendre en compte, à côté des propositions de l’Unaforis, celles des autres partenaires (formateurs, syndicats…).

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