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« La précarité énergétique aboutit à l’isolement »

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Près de 3,5 millions de ménages se trouvent en situation de précarité énergétique. Sont en cause le manque de ressources, les logements inadaptés et les prix de l’énergie. Les explications d’Isolde Devalière, sociologue au Conseil scientifique et technique du bâtiment, qui participait le 15 novembre à la Conférence nationale sur la précarité énergétique.

Qu’est-ce que la précarité énergétique ?

Une définition, adossée à la loi Besson du 31 mai 1990 sur le droit au logement, stipule qu’une personne est en précarité énergétique lorsqu’elle éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat. La précarité énergétique apparaît donc comme la résultante de ressources insuffisantes, mais aussi d’un logement défaillant et d’un équipement inadapté. De fait, les plus pauvres sont aussi les plus mal logés et si des personnes en difficulté ne se chauffent plus l’hiver, c’est aussi parce que chauffer un logement mal isolé ne sert pas à grand-chose. Cette définition va donc au-delà du seul taux d’effort énergétique [NDLR : part des ressources consacrées par un ménage à ses dépenses d’énergie dans le logement] qui a été l’indicateur retenu pour définir la cible du programme « Habiter mieux » (1).

Quelles sont les populations concernées ?

Selon l’enquête nationale de l’INSEE « Logement 2006 », qui est la dernière disponible, 3,48 millions de ménages ont souffert du froid dans leur logement durant l’hiver 2005 – sachant que cet hiver avait été particulièrement froid. On sait que, parmi ces ménages, huit sur dix présentaient un taux d’effort énergétique supérieur à 10 %, alors que le taux d’effort pour l’ensemble de la population est de 4,9 %. Par ailleurs, j’ai réalisé avec l’INSEE une étude (2) visant à identifier les ménages déclarant avoir eu froid dans leur logement. De son côté, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) avait déjà effectué un travail auprès des ménages dont le taux d’effort énergétique était élevé. Or les personnes qui présentent un taux d’effort énergétique élevé sont majoritairement propriétaires de maisons mal isolées, construites en milieu rural avant 1948. A l’inverse, les personnes qui se plaignent d’avoir froid en hiver sont surtout des locataires qui vivent dans des logements collectifs construits en milieu urbain avant les années 1970. Il s’agit souvent de familles monoparentales et de femmes isolées. Il faut savoir que la température extérieure n’a pas d’incidence sur la sensation de froid. Ainsi, le nombre de ménages qui déclarent avoir souffert du froid est plus important en région PACA que dans le Nord-Pas-de-Calais. Le problème est lié à la qualité de l’habitat plus qu’au climat. Le temps de présence dans le logement est aussi une explication. Plus on passe de temps chez soi, notamment lorsqu’on est au chômage, plus on risque d’avoir froid si le logement est mal isolé.

Quelles conséquences pour les ménages touchés ?

Elles sont évidemment très importantes en matière de santé, avec le développement de pathologies telles que l’asthme, les rhinites ou encore les bronchites. Sans compter les intoxications au monoxyde de carbone et les incendies liés à des appareils de chauffage d’appoint défectueux. Les ménages en précarité énergétique ont en effet tendance à ne pas se servir de leur convecteur ou de leur chaudière, mais plutôt à utiliser un petit poêle qu’ils n’allument que de temps en temps, parfois pour ne chauffer qu’une seule pièce à vivre. Pour cette raison, les Anglais se sont mobilisés sur cette question. Ils ont observé que la privation ou la restriction d’énergie débouchait sur un taux de mortalité hivernale effrayant. Par ailleurs, les témoignages que j’ai recueillis lors d’une enquête menée auprès d’une quarantaine de ménages montrent que la précarité énergétique aboutit à une situation d’isolement. Quand il fait froid chez soi, on n’invite plus personne.

Existe-t-il des critères précis permettant de mesurer la précarité énergétique ?

En Angleterre, on considère qu’un ménage est en situation de précarité énergétique s’il dépense plus de 10 % de ses ressources pour accéder à un confort thermique satisfaisant. Mais on prend aussi en compte la qualité du logement, la composition du ménage et ce que celui-ci devrait consommer pour maintenir une température conventionnelle de 19°C. En France, il nous manque à cet effet une connaissance fine de l’état du bâtiment. Il existe des enquêtes croisant les ressources avec une appréciation générale de l’état du logement, mais celle-ci reste imprécise. Il existe toutefois d’autres types d’indicateurs. Par exemple, tous les conseils généraux savent dire combien d’aides du fonds de solidarité logement ils attribuent, notamment pour éviter les impayés de loyer et d’énergie. Il serait intéressant de pouvoir identifier les personnes qui font chaque année une demande de ce type et qui mériteraient, de ce fait, que l’on s’intéresse à l’état de leur logement. Un diagnostic thermique pourrait être réalisé afin de résoudre un éventuel problème technique d’isolation ou d’équipement.

La hausse des prix de l’énergie n’explique-t-elle pas aussi la précarité énergétique ?

Il apparaît évident que les ménages en précarité énergétique sont aussi victimes des politiques énergétiques, notamment de l’ouverture de ce marché à la concurrence. On peut d’ailleurs craindre une envolée des prix de l’énergie avec la fin du tarif réglementé d’EDF. Pour éviter l’aggravation de ces situations, le législateur a demandé aux fournisseurs d’énergie d’appliquer les tarifs sociaux pour le gaz et l’électricité. Malheureusement, un énorme travail reste à faire en direction des personnes éligibles, le taux de non-recours étant très important. Toutefois, une automaticité d’attribution des tarifs sociaux devrait bientôt être mise en œuvre. C’est l’une de mes batailles. Je considère que si l’on est capable de recenser les ménages en précarité énergétique, on est en mesure de les identifier, donc de leur proposer ces tarifs de façon automatique. Quitte à ce qu’ils les refusent.

Certains comportements inadaptés ne font-ils pas le lit de cette précarité ?

Je lutte contre le discours qui consiste à dire que si les ménages ont des impayés, c’est qu’ils ne savent pas gérer leur budget et qu’ils consomment trop en s’équipant d’appareils électriques dispendieux. Cette représentation, qui a cours chez un certain nombre d’acteurs sociaux et de fournisseurs d’énergie, est fausse ou, du moins, correspond à des situations très minoritaires. La grande majorité des ménages en précarité énergétique est au contraire en situation de restriction permanente. Ce que confirme d’ailleurs le récent rapport du Secours catholique. Dire que les usagers sont responsables de leur situation déresponsabiliserait les gestionnaires d’immeubles, les bailleurs, les fournisseurs et l’ensemble des acteurs qui ont un rôle à jouer pour satisfaire le droit au logement et à l’énergie des ménages. On ne peut prodiguer aux ménages des conseils d’économie d’énergie et de comportements de consommation que si leur logement est déjà bien isolé. Les travaux d’isolation que l’on peut faire dans un logement ont un impact bien plus important que le fait d’utiliser des ampoules basse consommation ou de prendre des douches. Lors de la préparation du Grenelle 2, voté en juillet dernier, nous avions proposé, avec différents acteurs, que soit inscrit dans la loi un volet interdisant de vendre ou de louer des logements énergivores. Le bailleur aurait alors été dans l’obligation de réaliser des travaux avant de mettre son bien sur le marché. Cette proposition n’a pas été retenue, mais on peut imaginer que, avec la multiplication et la fiabilisation des diagnostics de performance énergétique (3), nous arriverons progressivement à nos fins.

Quel peut être le rôle des travailleurs sociaux dans ce domaine ?

Il est fondamental. Ils sont quasiment les seuls aptes à repérer en amont les situations et à les renvoyer vers les experts techniques tels que les espaces info-énergie, les PACT (4), l’ADEME (5) ou l’ANAH. Le plan national de lutte contre la précarité énergétique, lancé en janvier dernier, va d’ailleurs s’appuyer sur le repérage des ménages par les travailleurs sociaux. Leur rôle doit donc évoluer vers une meilleure connaissance du public en précarité énergétique, car l’énergie n’est pas toujours leur priorité lorsqu’ils interviennent en urgence auprès d’une famille en difficulté. Pour cela, ils ont besoin de moyens supplémentaires. L’ADEME va mettre en place des sessions de formation. De même, les travailleurs sociaux auront toute leur place au sein des réseaux de partenariat qui vont se nouer grâce aux plans locaux d’engagement de lutte contre la précarité énergétique.

REPÈRES

Isolde Devalière est sociologue au département Economie et sciences humaines du Conseil scientifique et technique du bâtiment. Elle y mène des recherches sur la précarité énergétique. En 2008, elle a réalisé pour l’ADEME une étude de faisabilité en vue de la création de l’Observatoire national de la précarité énergétique.

Notes

(1) Géré par l’ANAH, le programme « Habiter mieux », doté de 1,25 milliard d’euros, a pour objectif de rénover, sur la période 2010-2017, les logements de 300 000 ménages modestes en situation de forte précarité énergétique.

(2) Cette étude devrait paraître dans INSEE Première.

(3) Depuis juillet 2007, le diagnostic de performance énergétique (DPE) doit être présenté lors de la vente ou de la location des logements et des bâtiments tertiaires.

(4) Réseau d’associations et d’organismes qui visent à améliorer et à réhabiliter l’habitat en France.

(5) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

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