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Femmes et addiction : question de genre ?

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Les besoins spécifiques des femmes en matière d’addictions sont rarement pris en compte et peu de recherches ont été menées sur le sujet. Aujourd’hui, les professionnels commencent à s’interroger sur l’intérêt d’introduire la notion de genre dans leur approche. Car addictions et représentations sociales entretiennent des liens forts de dépendance.

En matière d’addiction, les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? Autrement dit, poser la question du sexe, et davantage encore du genre, a-t-il un sens en addictologie ? A l’heure où celle-ci se structure, l’interrogation émerge chez les acteurs, comme l’a montré le IXe « Carrefour de l’addictologie » organisé par l’Anitea, la F3A, l’ANPAA et ELSA (1). Et la réponse ne s’impose pas d’emblée. En fait, les données manquent. « Les réactions de l’organisme peuvent être différentes, les modes de consommation varier, tout comme l’adhérence aux traitements, mais les traits communs restent très importants. La moitié des études disent que les femmes s’en sortent mieux, l’autre, que ce sont les hommes… », résume Pascal Perney, chef du service d’addictologie du CHU de Nîmes. On admet généralement, en matière de substances psychoactives, que les recherches sur les hommes sont généralisables aux femmes. Sur 800 pages, le récent traité d’addictologie du professeur Michel Reynaud (2) ne comporte, pour sa part, aucune entrée « femmes » ! En outre, lorsqu’elles sont décrites, les consommatrices abusives le sont surtout « dans l’exercice de deux rôles sociaux, la maternité et la prostitution, ce qui exclut les études sur leur sexualité et leur vie de femme en dehors de ces deux contextes », pointe la sociologue Laurence Simmat-Durand (3). Pourtant, assure le psychiatre Jean Maisondieu, « l’addiction a toujours peu ou prou à voir avec le genre ».

Pour comprendre ces vides, un crochet du côté de l’histoire est utile. En effet, les notions d’« addiction » comme de « femme » sont apparues récemment et de façon concomitante, avec d’un côté, la loi de 1970 sur les stupéfiants et, de l’autre, la création du mouvement de libération des femmes. En fait, leurs existences seraient même liées. « Tant qu’il n’y a pas de femme historiquement visible, il n’y a pas d’addiction. Et tant qu’il n’y a pas d’addiction historiquement définie, il n’y a pas de représentation féminine », analyse Didier Nourrisson, professeur d’histoire contemporaine à l’université Claude-Bernard-Lyon-I. Quand le genre féminin ne comptait pas, consommer de l’alcool était considéré comme une pratique masculine et normale. Et un homme étant fort par définition, l’alcoolisme ne pouvait être qu’une maladie. Schématiquement, avec l’émancipation des femmes et la diffusion de nouvelles drogues, « apparaît la dimension de souffrance dans l’addiction, les femmes, elles, ayant le droit de souffrir », observe Jean Maisondieu. Plus généralement, relève Thierry Sainte-Marie, président de l’Association française des équipes de liaison et de soins en addictologie, il semble que « plus on a étudié les distinctions entre hommes et femmes au cours du XXe siècle, plus on a paradoxalement mis en place des réponses qui visaient à réduire les différences ». Aujourd’hui cependant, « on commence à comprendre qu’une femme addicte est une femme d’abord », remarque Didier Nourrisson. Aussi, les représentations, les clichés, les préjugés, qui peuvent encombrer les pratiques, doivent « s’étudier ensemble pour considérer les formes féminines des addictions ».

Que sait-on des consommations des femmes ? Les études globales montrent qu’elles utiliseraient davantage de psychotropes et moins de tabac, d’alcool et de drogues illicites que les hommes. Toutefois, chez les jeunes, les consommations tendent à se rapprocher pour quasiment tous les produits. Si l’on introduit une dimension sociale, des différences sont notables. Ainsi, les usages des hommes diminuent avec l’amélioration de leur situation. « On note une surconsommation des chômeurs par rapport aux actifs occupés et les cadres consomment moins que les ouvriers », relève François Beck, responsable du département « observation et analyse des comportements de santé » à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. En revanche, s’il y a peu de variations entre chômeuses et actives, les femmes cadres consomment, quant à elles, plus que les ouvrières. Au final, elles rejoignent les cadres masculins, les taux de consommation des hommes étant supérieurs à ceux des femmes. « Cela infirme l’idée d’une nature masculine plus encline à user de produits psychoactifs. Le groupe social [le bas de l’échelle pour les hommes, le haut pour les femmes] est en fait l’élément majeur explicatif du comportement de consommation de chacun des sexes », conclut le chercheur. Pour les uns, confortés par des travaux danois sur l’alcool et le genre, cette évolution s’analyserait comme un signe d’émancipation féminine. Il deviendrait désormais moins stigmatisant pour une femme – et, en parallèle, moins valorisant pour un homme – de boire. D’autres voient avant tout dans l’alcoolisme féminin « un indicateur de la santé psychologique des femmes modernes », lesquelles rencontrent « de plus en plus souvent des difficultés d’adaptation du fait de la place étrange que la société d’aujourd’hui octroie à leur féminité », observe la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve (4). Cette dernière, qui anime une consultation spécialisée à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, note que le phénomène reste assimilé, pour les femmes, « à un vice ou une tare ». D’ailleurs, on distingue chez elles « beaucoup plus de consommations dissimulées, culpabilisées, solitaires », confirme Pascal Perney. Et la psychiatre d’analyser : « La discrimination face à la maladie alcoolique est l’un des reflets de l’inégalité de traitement infligée aux femmes, que ce soit au niveau social, familial ou économique. » Egrenant le long chapelet des inégalités les affectant, Aude Dassonville, sociologue à l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) du Nord, rappelle, de son côté, que les individus « connaissant un problème de dépendance sont souvent des personnes pour qui trouver sa place dans la société n’est pas évident ». Ce qui a à voir avec le regard des autres et l’image de soi. « L’usage de substances psycho­actives est façonné par les rapports sociaux, notamment liés au sexe. Nos us et coutumes, notre culture, nos représentations préfigurent, construisent, voire contrôlent, la place respective des hommes et des femmes », complète Thierry Sainte-Marie. Et les professionnels n’y échappent pas.

Evacuer la dimension du genre en matière d’addiction ne peut que conduire à une addictologie maltraitante. C’est du moins ce que pense Jean Maisondieu pour qui « une personne addicte est d’abord mal dans sa peau, autrement dit dans son genre ». Le psychiatre analyse ainsi l’augmentation des consommations des femmes cadres et des hommes pauvres. « C’est, pour les premières, je souffre de mon genre, pas de ma féminité, mais du fait que j’occupe une place qui ne me revient pas encore vraiment, que j’usurpe. Inversement, quand je suis chômeur, je souffre d’être incapable de ramener l’argent à la maison alors que je suis un homme. »

Addictions et violences

Reconnaître les distinctions entre les sexes, sans introduire pour autant des inégalités, permettrait donc d’enrichir l’approche addictologique. Il semble ainsi que femmes et hommes ne partagent pas toujours les mêmes fragilités. « Si les hommes présentent plus de troubles caractériels et plus de comportements violents, les femmes sont plus souvent dépressives et anxieuses », rapporte Fatma Bouvet de la Maisonneuve. La psychiatre a également repéré que la surconsommation alcoolique « survient le plus souvent chez une femme ayant des antécédents dépressifs et anxieux, aux conditions de vie sociale et affective pénibles et aussi parfois chez une femme ayant été victime d’abus sexuels ». Addictions et violences entretiennent, en effet, des liens particuliers dans la population féminine. Ainsi, témoigne Claude Fontanarava, directeur du centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) d’Aubagne, « il y a des histoires abominables qu’on ne retrouve pas chez les hommes ». Cela induit des réactions différentes. Relevant la fréquence « des atteintes à l’intimité comme des attouchements et des viols, ou des troubles du comportement alimentaire » chez ses patientes, le psychiatre Pascal Courty analyse, dans un article intitulé « Les femmes toxicomanes !? Ça n’existe pas !? » (5), que c’est comme si les produits étaient utilisés « pour oublier mais également pour se punir de ce qu’on avait dû subir. Ces traits retrouvés chez les jeunes femmes sont diamétralement opposés à ceux qu’on observe chez les garçons, pour lesquels la prise de risque est prédominante. » L’enquête Coquelicot réalisée par l’Institut national de veille sanitaire (6) montre, quant à elle, que les usagères de drogues illicites ont fréquemment eu des trajectoires « chaotiques, scandées par des ruptures de vie dès l’enfance », et été « victimes de violences verbales ou physiques ainsi que d’abus sexuels au sein de la famille ». Les femmes addictes subissent aussi souvent des violences au sein de leur couple. En particulier, les usagères de drogue peuvent se retrouver dans une double dépendance : affective et aux produits. La plupart déclarent d’ailleurs que c’est un homme qui leur a fait leur premier shoot. On assiste notamment à une confusion des rôles entre dealer et partenaire sexuel. Celle-ci peut « être vécue comme la cause de l’escalade dans la consommation puis d’un enfermement dans la dépendance », démontre l’étude. Elle rapporte aussi que « les relations sexuelles des femmes usagères se déroulent souvent dans un contexte de contrainte. Les rapports sexuels au sein du couple peuvent être négociés en échange de produits ». En outre, le recours à la prostitution dans les six mois précédents concernait un tiers des femmes.

Si, craignant la catégorisation, des professionnels hésitent à mettre en œuvre une approche spécifique, d’autres réfléchissent aux moyens de mieux cibler le public féminin. En matière de toxicomanie, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a d’ailleurs récemment recommandé (7) de reconnaître les besoins des femmes dans les dispositifs de première ligne et centres de soins pour toxicomanes et de leur offrir des services intégrant « les grossesses non désirées, la perte de la garde de leurs enfants, les violences conjugales et les risques infectieux ainsi que les risques spécifiques pour l’enfant à naître en cas de grossesse » (voir encadré, page 29). Le groupe d’experts préconise ainsi « de développer des programmes de prise en charge globale médico-sociale s’inscrivant dans la durée au-delà de la période de grossesse et des lieux d’accueil mère-enfant ». La crainte du retrait de la garde des enfants, qui se nourrit de la stigmatisation des mères alcooliques ou toxicomanes, est d’ailleurs une cause fréquente du retard dans la demande d’aide. « Les femmes qui ont des enfants se présentent moins souvent que les hommes dans les lieux de soins », et « préfèrent se “débrouiller” seules sans cure ni traitement », dénonce l’Inserm. Les experts déplorent en outre que « le placement des enfants dont la mère consomme des substances se traduit, en l’absence d’accompagnement spécifique, par la rupture pure et simple du lien entre la mère et l’enfant ». Se référant à un guide canadien des « meilleures pratiques » à adopter face aux femmes addictes, Pascal Courty relaie, lui aussi, la nécessité de cibler ce public. Il faudrait ainsi toucher « tous les aspects de la vie de la femme », « encourager les femmes à établir des liens les unes avec les autres », favoriser un traitement les incitant « à prendre leur vie en main » et respectant leur façon d’être et leur perception du monde… D’ores et déjà, quelques initiatives ont été lancées çà et là. Certains centres ont ouvert des accueils réservés aux femmes pour faciliter l’accès aux soins, offrir un espace respectant leur intimité, permettre aux toxicomanes de souffler loin de la pression masculine… Des groupes de parole non mixtes sont aussi parfois proposés (voir encadré ci-contre). Mais, pour affiner les réponses et soutenir les acteurs impliqués, des recherches devront approfondir la question du genre. En effet, les données manquent particulièrement, selon Pascal Courty, sur certaines populations, telles les toxicomanes de minorité ethnique, sur des facteurs tels que la violence avec les partenaires, les problèmes d’anxiété et de dépression, l’influence du cycle menstruel sur la recherche de drogue – des liens sembleraient exister –, ou encore sur diverses conséquences médicales (altération de la fonction reproductrice, MST…), psychiatriques et sociales spécifiques de l’abus de drogues.

AVEC LA FEMME ENCEINTE ET DANS LA PLURIDISCIPLINARITÉ

« Beaucoup de professionnels n’osent pas parler d’addictions à des femmes enceintes. Il faut qu’on apprenne à aborder simplement avec elles la question des consommations, qu’il s’agisse de produits licites ou non, dès le début de la grossesse », affirme Claude Lejeune, professeur de pédiatrie et néonatologiste à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), pour qui, dans ce cadre, « le produit psychoactif de très loin le plus dangereux est l’alcool ». Le médecin pointe en particulier le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF), qui provoque des malformations et entraîne des troubles du développement cognitif. « En aidant une femme à diminuer sa consommation durant sa grossesse, on améliore cela, et si elle parvient à être abstinente, elle aura un enfant normal », insiste-t-il.

L’intérêt pour ce syndrome étant récent et ses effets, qui peuvent être partiels, n’étant pas toujours visibles d’emblée, beaucoup d’enfants n’ont pas été repérés. Et ainsi nombre d’adultes. Le syndrome peut se traduire par l’adoption de comportements inappropriés voire déviants et, souvent, les réponses apportées ont été inadaptées. « Du fait de leurs troubles, de leurs déficits, de leurs difficultés d’apprentissage, beaucoup se retrouvent dans un dispositif social, voire judiciaire. En effet, par non-intégration des règles, certains vivent à la rue, ou commettent des délits et finissent incarcérés », souligne Thierry Danel, psychiatre au service d’addictologie du centre hospitalier de Lille. Problèmes pour se repérer dans le temps et l’espace, programmer des tâches, se concentrer, instabilité, agitation, impulsivité, troubles de la sexualité par défaut d’inhibition… font partie du tableau. Tout devient alors compliqué : travailler, effectuer des démarches sociales, suivre un traitement au long cours… L’utilisation de produits psychoactifs est aussi fréquente. « En gros, c’est une contrariété, une alcoolisation, un passage à l’acte… », résume-t-il, en soulignant combien les services de psychiatrie et d’addictologie sont concernés par ces personnes « de par leur propension à utiliser les stupéfiants et leurs troubles neuropsychologiques ». Des troubles qui commencent juste à être identifiés et qui font que, longtemps, « éducateurs et psychiatres se sont renvoyés la balle ». Mieux faire connaître le syndrome d’alcoolisation fœtale se révèle donc essentiel. « Nous devons expliquer, en particulier, aux travailleurs sociaux tout ce processus de la lésion, de l’incapacité, pour mieux comprendre comment ils pourront être une prothèse et aider les personnes dans la vie de tous les jours. Pour certains, ce sera de façon durable car l’apprentissage n’est pas toujours possible », assure le psychiatre.

En amont, le premier impératif reste donc d’améliorer le repérage lors de la grossesse afin de répondre au problème addictif et d’accueillir l’enfant dans de bonnes conditions. « Il faut travailler en équipe pluridisciplinaire, en réseau et en impliquant la femme enceinte dès le début. L’objectif est de permettre un suivi personnalisé et précoce avec une offre de soins addictologiques et un soutien psychosocial », explique Claude Lejeune. A l’hôpital Louis-Mourier, l’équipe d’obstétrique intervient ainsi désormais en lien étroit avec celle de liaison, qui inclut une assistante sociale et une psychologue. « La première évaluation réalisée a démontré que la grossesse est le moment privilégié pour instituer un tel dispositif, lequel améliore le pronostic prénatal et ensuite la qualité de vie de la famille. » Et le spécialiste d’ajouter : « Il est essentiel de passer d’un regard réprobateur à du “cocooning”, en considérant qu’on suit “une femme qui, par ailleurs, a des addictions” et non une “toxicomane encore enceinte” ! Cela change tout. »

PRÉSERVER LE LIEN MÈRE-ENFANT… SANS DRAME

Le 26 avril dernier, une femme était condamnée à 26 ans de réclusion criminelle pour avoir tué son garçon de 2 ans et voulu faire de même avec sa fille de 8 ans avant de tenter de se suicider. L’accusée consommait beaucoup de cannabis, de Subutex et d’anxiolytiques, la famille était suivie par les services sociaux. Séparée d’un homme violent et ex-toxicomane, la mère craignait qu’on lui retire ses enfants dont le juge aux affaires familiales (JAF) lui avait remis la garde…

Depuis la loi du 4 mars 2002, en matière d’autorité parentale, le père et la mère sont mis sur un pied d’égalité et c’est l’intérêt de l’enfant qui prévaut en cas de séparation. Une notion que le JAF, une fois saisi, doit privilégier. « La mère addicte doit prendre conscience que l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs fondés sur l’intérêt de l’enfant, qui a besoin de ses deux parents. Elle doit aussi comprendre que le rôle du JAF n’est pas de soigner l’adulte à travers l’enfant », rappelle Marc Juston, JAF et président du tribunal de grande instance de Tarascon, qui reçoit parfois des certificats médicaux insistant sur l’importance pour la mère de garder son enfant. Maintenir la coparentalité est l’objectif mais c’est un exercice périlleux pour le JAF qui doit éviter un éventuel drame. « S’il fait confiance à la mère, l’enfant peut être mis en danger, s’il ne le fait pas, elle peut être capable de se suicider, de renoncer à se traiter, et porter ainsi atteinte à la sécurité de l’enfant », résume-t-il. Le regard que porte la société sur une mère addicte ne facilite pas les choses. « Les codes sociaux n’octroient pas les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Une mère digne de ce nom ne se drogue pas, ne boit pas, ne joue pas… Aussi, ces femmes dépendantes n’osent-elles pas dire leur souffrance, et encore moins devant le juge. Elles se sentent mises à l’index, menacées par rapport à leurs enfants, et se taisent. Dans le cadre de nos audiences, force est de constater qu’elles ne sont guère protégées », pointe le JAF. L’avocat de la partie adverse fait tout pour discréditer la femme, la mère, la culpabiliser. « Souvent, la femme ne se sent plus alors en mesure d’assumer sa responsabilité maternelle, elle s’enfonce dans la honte », observe Marc Juston, qui assure toutefois que les JAF font le maximum pour restaurer le lien mère-enfant. « On le fait même davantage qu’avec les pères addictes, reconnaît-il. C’est sans doute culturel mais il faut aussi avouer que les hommes ne se battent pas autant que les femmes dans ces situations. » Les JAF recourent, dans ce cadre, à une large palette d’outils : expertises, enquêtes sociales, auditions de l’enfant… laissant d’ailleurs parfois perplexes certains pères investis qui vivent comme injustes et dangereuses les décisions prises pour maintenir le lien. Parmi les mesures intéressantes, le juge pointe la médiation familiale, dont la finalité est de rétablir le dialogue entre les parents afin qu’ils réfléchissent ensemble à l’intérêt principal de l’enfant. Certains médiateurs familiaux jugent cependant que la dépendance à des produits, comme les violences intrafamiliales structurelles, doivent être écartées dans ce cadre. D’autres pensent toutefois que cette mesure peut convenir, à condition que la mère reconnaisse son état d’addiction, qu’elle se fasse suivre et enfin que l’enfant ne subisse pas de maltraitance. Pour Marc Juston, qui en est un farouche défenseur, « c’est un lieu où la confiance peut être restaurée, où les personnes peuvent comprendre ce qui se joue et évoluer, un outil permettant de travailler sur les besoins de chacun. Cela peut aider la femme addicte à reprendre le contrôle de sa vie comme sur ses enfants en relation avec le père. La médiation familiale, qui est un processus volontaire, est trop mal connue des soignants et des travailleurs sociaux. »

GROUPES DE PAROLE FÉMININS : SE RECONSTRUIRE ENTRE PAIRS

« Hommes ou femmes, nos patients ont, bien sûr, beaucoup de points communs. Mais, dans l’accompagnement, j’ai perçu des éléments assez subtils de différenciation. Cela relève plutôt des codes sociaux, de communication. Les femmes n’ont pas toujours les mêmes préoccupations et surtout elles les évoquent, les gèrent, autrement », observe Sylvie Catto, travailleuse sociale à l’ANPAA de Saône-et-Loire (8). Aussi a-t-elle eu l’idée de leur proposer d’ouvrir un groupe de parole qui leur soit réservé. « Il s’agissait, sans volonté sexiste, de leur offrir un lieu d’échange et de reconstruction avec leurs pairs, de reconnaître la dimension du genre et de faire exister autre chose qu’une similarité réduite au parcours avec un produit », explique-t-elle. Depuis près de trois ans, des femmes de tous âges se réunissent ainsi. A Nîmes, le centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) du CHU organise lui aussi, depuis plusieurs années, à la demande des patientes, un groupe de parole non mixte qu’anime tour à tour une assistante sociale et une infirmière. « Certaines personnes consomment encore ou vont entrer en sevrage, d’autres sont abstinentes depuis des années », précise Thérèse Ponthieu, infirmière. En France, plusieurs structures ont lancé des initiatives semblables avec plus ou moins de succès et d’autres s’interrogent sur le bien-fondé d’une telle non-mixité.

Respect de la parole des autres, des silences, engagement à la confidentialité, convivialité… sont les règles généralement établies. Préparés ou non, abordés avec ou sans support, tous les sujets peuvent être débattus. « Les participantes parlent beaucoup des conséquences de l’alcoolisation, des pertes en termes de santé, de travail, de lien social… Elles racontent des histoires très personnelles. Certaines se voient un peu comme des survivantes », témoigne Sylvie Catto. Les relations homme-femme, la maternité, reviennent souvent dans les échanges. « L’enfant est un élément crucial. Les femmes investissent la parentalité de façon plus viscérale que les hommes », souligne-t-elle. La non-mixité permet une plus grande liberté de parole et une complicité. « Leurs rapports avec le genre masculin ne sont pas simples car elles en ont souvent été victimes : abandons, violences, prostitution… Entre femmes, elles éprouvent moins de gêne, moins le besoin de jouer un rôle, de se justifier. En présence d’hommes, certains sujets, intimes, tels le désir, la sexualité, seraient difficilement discutés. Elles auraient aussi plus de mal à dépasser la honte. Enfin, entre elles, ces femmes captent les non-dits, se comprennent entre les lignes. Et elles apprennent beaucoup les unes des autres », poursuit l’intervenante sociale.

Le groupe permet aux femmes de s’affirmer, de reprendre un peu confiance en elles, d’avancer dans leurs relations aux autres. « Il leur faut beaucoup de temps pour dépasser la honte et la culpabilité. Cette honte est vraiment un phénomène frappant, on ne retrouve pas ça chez les hommes », confirme Thérèse Ponthieu. Le groupe est aussi un canal pour évacuer le trop-plein. « Cela peut être un déversoir, un lieu où, quand ça ne va pas, on peut dire ses difficultés, exprimer sa souffrance », observe Martine Soubeiran, sa collègue assistante sociale. Toutefois, poursuit-elle, « on essaie de contenir les choses. Si l’on redoute le déferlement, on propose à la personne de revoir cela en entretien individuel. Il est important qu’elles gardent aussi un fond de pudeur. Sans compter qu’il ne faut pas qu’une femme impose sa vie aux autres et les gêne. » S’il peut y avoir des contre-indications à la participation au groupe pour ne pas risquer d’ébranler les autres participantes, en général, ce dernier est plutôt tolérant et porteur. « Certaines, qui ont assisté à des groupes mixtes, disent ne pas y avoir vu autant de solidarité », rapporte Sylvie Catto. Les liens perdurent parfois également à l’extérieur. « Cela facilite la socialisation et l’entraide », pointe Martine Soubeiran. Dans sa structure existe aussi un groupe de parole mixte. Et de témoigner : « Certaines femmes ne veulent pas y aller. Les autres disent ne pas s’y exprimer avec les mêmes mots. Mais cela fait des allers-retours intéressants. »

F.R.

Notes

(1) Intitulé « Addiction au féminin », il s’est tenu à Nîmes du 5 au 7 mai 2010 – F3A : 9, rue des Bluets – 75011 Paris – Tél. 01 42 28 65 02.

(2) Traité d’addictologie – Michel Reynaud – Flammarion Médecine-Sciences, 2006.

(3) In Grossesses avec drogues – Entre médecine et sciences sociales – Ed. L’Harmattan, 2009.

(4) In Les femmes face à l’alcool – Résister et s’en sortir – Ed. Odile Jacob, 2010.

(5) In VST n° 106, juin 2010 – Ed. érès.

(6) Résultats présentés dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 10 mars 2009 consacré à « Femmes et addictions » – Téléchargeable sur www.invs.fr/beh/.

(7) Réduction des risques chez les usagers de drogues – Rapport téléchargeable sur www.inserm.fr.

(1) ANPAA 71 : 88, rue Rambuteau – 71000 Mâcon – Tél. 03 85 38 42 86 – comite71@anpa.asso.fr.

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