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Rénovation d’image

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Dans le XIIIe arrondissement parisien, l’Association des rénovations intérieures (ARI) propose à des patients de psychiatrie de rénover les logements d’autres patients. Une structure très légère et un cadre ultraprotégé pour mettre ces personnes très fragiles sur la voie du retour à l’emploi. Et surtout les aider à restaurer leur image de soi.

Dans sa tenue blanche d’ouvrier peintre, AlbertoA. (1) 43 ans, accroupi au sol, repeint les murs de la kitchenette du petit studio en rénovation. Son collègue, Ludovic Esse, 47 ans, est à l’œuvre dans la salle de bains. « Je vous ai dit d’utiliser quel pinceau ? », demande Alexandre Debruille, psychologue de l’Association pour les rénovations intérieures (ARI) (2). « Le pinceau coudé ? », hasarde Alberto un rouleau à la main… « Oui, voilà. Alors essayez de vous fixer sur ce que je vous dis de faire, pas sur ce que vous avez envie de faire, conseille l’intervenant. Regardez, là, avec le rouleau, vous avez débordé sur les carreaux. » Il examine ensuite la salle de bains : « Comment ça se passe ? », demande-t-il à Ludovic. Avec Alexandre Debruille, Alberto et Ludovic s’activent sur le chantier depuis trois jours, environ deux à trois heures chaque matin. Des demi-journées conçues spécifiquement par l’ARI pour remettre en situation professionnelle des patients du secteur psychiatrique du XIIIe arrondissement de Paris. Et ce, afin de rénover – c’est l’originalité de l’ARI – l’intérieur dégradé d’autres patients.

L’idée a émergé lors de la rencontre entre Alexandre Debruille, artisan peintre devenu psychologue en 2007, et Sophie Barré, assistante de service social et cadre socio-éducative à l’Association de santé mentale dans le XIIIe arrondissement (ASM13) – un établissement privé participant au secteur public et faisant fonction de secteur psychiatrique. « Nous nous sommes rencontrés durant mes études, alors que je réalisais des travaux chez Sophie Barré, explique Alexandre Debruille. Nous avons sympathisé et avons conçu le projet en 2008. » Pour les deux fondateurs de l’ARI, il s’agit à la fois de stimuler l’envie et le plaisir de travailler chez des patients de psychiatrie, tout en faisant bénéficier d’autres patients – dont le domicile est souvent dégradé et encombré – des travaux de rénovation. « On s’est un peu inspirés des chantiers thérapeutiques de Sainte-Anne, reconnaît Alexandre Debruille. Mais leur activité est directement insérée dans le projet de soin, alors que nous sommes plus dans la réinsertion professionnelle. » Au début de l’année 2009, ARI s’est constituée en association, puis a commencé son activité en juin de la même année, sous la présidence de Serge Gauthier, psychiatre à l’ASM 13. Il s’agit d’une structure de petite taille. Alexandre Debruille en est l’unique salarié permanent, et Sophie Barré assure bénévolement la recherche de subventions et la gestion du personnel temporaire (rédaction des contrats de travail et des fiches de paie pour les « rénovateurs »). Le financement est assuré par l’ASM, un peu de mécénat privé et le paiement des prestations de rénovation. « Avec mon réflexe d’artisan, j’aurais souhaité que l’activité soit rentable, mais c’est impossible, parce que nous travaillons lentement, parfois certains sont absents, un chantier prend du retard… », note Alexandre Debruille. L’association met néanmoins un point d’honneur à fournir un travail de qualité et à garantir ses travaux pour une durée de deux ans.

Au préalable, une lettre de motivation

« L’ARI répond à un besoin pour des gens qui ont envie de retravailler, mais ne sont pas encore en mesure d’intégrer un ESAT ou un atelier protégé », résume Serge Gauthier. A l’image d’Alberto, qui n’a pas travaillé depuis trois ans. « J’ai fait une grave dépression et j’ai besoin de me remettre dans un rythme normal, sinon je me couche à 7 heures du matin et je me réveille à 15 heures », reconnaît le rénovateur, le rouleau à la main. Pour être recrutés, les candidats doivent passer par l’épreuve de la lettre de motivation. « Il s’agit vraiment qu’ils se placent dans une démarche de recherche d’emploi la plus normale possible », explique Alexandre Debruille. Les lettres témoignent d’un désir de retravailler et de la compréhension des objectifs de l’ARI. « Je veux reprendre des habitudes de travail », explique l’un. « J’aime travailler à la mission et je possède un peu d’expérience en peinture, en enduit, en laque », précise l’autre. Certains disent même vouloir acquérir quelques compétences en rénovation pour les mettre en œuvre chez eux. Tous sont reçus en entretien par l’intervenant et l’assistante sociale, qui leur présentent le programme et s’assurent qu’ils sont en mesure de participer à l’activité, c’est-à-dire dans un état de santé stabilisé. « Ils ont généralement fait un travail de préparation avec l’équipe référente, constituée de leur assistante sociale de quartier, de l’ASM 13 ou encore d’un service d’insertion ou de soins », précise Sophie Barré. Jusqu’à présent, aucune erreur d’orientation n’est à signaler, et l’ARI peut compter sur 13 rénovateurs – dont une femme – qui se relaient sur les chantiers successifs. « Nous accueillons toutes les personnes et je les mets en situation de travail, explique Alexandre Debruille. Si vraiment je vois qu’elles ne peuvent pas travailler, je leur explique. C’est arrivé à une personne qui, à la suite d’un accident, ne pouvait pas se servir pleinement de ses mains. »

En situation, dans un cadre protégé

Très vite, la mise en situation favorise la prise de conscience par les personnes en insertion de leurs manques et de leurs limites. « Certains réalisent alors vraiment qu’ils ne sont pas en capacité de travailler à plein temps », note le responsable des chantiers. Et mieux vaut s’en rendre compte dans le cadre protégé de l’ARI plutôt qu’être mis en échec en milieu ordinaire ou même en ESAT. « Ici, ils peuvent arriver en retard, rater une journée, ce n’est pas rédhibitoire, poursuit le psychologue-artisan. Bien sûr, il faudra qu’on en parle ensemble, mais un absent pourra tout à fait revenir dans l’équipe le lendemain. » Comme Ludovic, qui, ne voyant personne devant la porte du chantier un matin à 8 h 30 précises, a décidé de repartir chez lui. « J’avais quelques minutes de retard. Je l’ai appelé au téléphone et, finalement, il est revenu et a travaillé comme d’habitude », raconte Alexandre Debruille. Des règles doivent évidemment être posées : « Je suis très cadrant, mais aussi relativement dur. Et si quelqu’un ne respecte pas les consignes à plusieurs reprises, je lui demande de s’en aller et lui propose de le rappeler pour un chantier ultérieur. » L’ARI offre donc un cadre pour un réentraînement progressif au travail, avec l’intégration des horaires, le respect des consignes, la collaboration en équipe, le plaisir d’obtenir un résultat de qualité… « Nous essayons aussi de leur redonner confiance en eux », ajoute Serge Gauthier. Ce qui passe par des petits détails qui jouent un rôle non négligeable. « L’uniforme de travail, par exemple, a un effet incroyable sur l’estime d’eux-mêmes, remarque Alexandre Debruille. Dès qu’ils le portent, cela leur confère un statut d’actif… Travailler avec un professionnel est également très valorisant pour eux. »

Beaucoup de candidats comptent sur l’ARI pour améliorer leur ordinaire, car la plupart vivent de l’allocation aux adultes handicapés. « Nous leur expliquons tout de suite que la rémunération sera limitée, explique Sophie Barré, parce que nous ne pouvons pas leur fournir de nombreuses heures d’activité. » D’ordinaire, ils ne travaillent qu’à deux, et en présence d’Alexandre Debruille, ce qui limite évidemment le nombre d’interventions. « En outre, il ne faudrait pas qu’une activité temporaire comme celle-ci leur fasse perdre le bénéfice de leur allocation », ajoute la cadre socio-éducative. Les rénovateurs ne peuvent ainsi prétendre gagner plus d’une centaine d’euros par mois, pour moins de vingt heures de travail. « Mais de toute façon, le but n’est pas qu’ils gagnent leur vie avec cette activité, ajoute Serge Gauthier. Et cette sorte de frustration stimule davantage leur recherche d’une activité plus pérenne. »

Néanmoins, la rémunération reste un aspect important du travail au sein de l’ARI, ne serait-ce que parce qu’elle permet d’évaluer la qualité et la quantité de travail fournies. « Après chaque demi-journée de travail, je fais le point avec chaque rénovateur sur le temps réellement travaillé par rapport au temps de présence, explique Alexandre Debruille. Je dois également tenir compte d’une certaine qualité : quelqu’un qui peint une porte en cinq heures ou en une heure ne sera pas rémunéré de la même façon. » Le salarié a ainsi une idée de ce qu’il touchera à la fin du mois. « Surtout, il est important qu’il comprenne que cette rémunération est juste, car souvent, sur quatre heures de présence, certains ne travaillent réellement que deux heures. » Autant de spécificités qui n’empêchent d’ailleurs pas l’association d’avoir un carnet de commandes désormais bien rempli, avec trois à quatre mois de chantiers assurés d’avance.

Une préparation requise en amont

Les « clients », quant à eux, sont le plus souvent adressés par un service de tutelle, un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) ou une assistante sociale de secteur. « Nous avons fait connaître le projet à toutes les instances médico-sociales avec lesquelles nous sommes en contact professionnel, explique Serge Gauthier, pour qu’elles nous adressent leurs demandes de rénovation, de débarras ou de nettoyage. » Puis le bouche-à-oreille a fait son effet, et de nouveaux interlocuteurs se sont adressés à l’ARI. Chaque demande est formulée par téléphone, puis un rendez-vous est pris avec Alexandre Debruille, qui se rend sur place pour évaluer les travaux et réaliser un devis. Là aussi, un travail de préparation est effectué au préalable par l’équipe référente. La première visite a lieu habituellement en présence du travailleur social référent. « Quand les clients nous voient ensemble, ils sont rassurés », explique l’intervenant. Claire Aguilella, chef de service du SAVS d’Orly, a déjà proposé une rénovation par l’ARI à deux de ses usagers : « Il faut être très respectueux quand on va chez eux, ne pas se moquer, sécuriser les personnes qui peuvent se sentir vulnérables face à quelqu’un qu’elles ne connaissent pas, et l’ARI prend toutes les précautions nécessaires. » Les rénovateurs n’interviennent pas à cette étape. « Un certain nombre de patients de psychiatrie sont dans la persécution. Ils pourraient ressentir trop de présences comme une intrusion », explique Serge Gauthier.

Claire Aguilella souligne combien l’approche du client doit être travaillée : « Ce qui est important, et qui compte beaucoup dans la confiance que nous avons en l’ARI, c’est que nous savons qu’ils parlent beaucoup avec les usagers de leur projet de rénovation, qu’ils prennent le temps d’avancer petit à petit. » Au départ, il est vrai, l’association a rencontré quelques difficultés. « Sur certains chantiers, nous avons voulu aller trop vite, et les personnes n’ont pas accepté, ou difficilement, les travaux. » Alexandre Debruille se souvient ainsi d’un client qui dormait à l’hôtel parce que son appartement était rempli « à hauteur d’homme » de cartons, de boîtes et d’affaires en tous genres. « Nous avons tout déblayé, mais le choc a été trop fort pour lui et il n’est jamais revenu habiter son appartement. » Un autre client a cristallisé son angoisse sur une histoire de table débarrassée et jetée à la déchèterie. « Nous avions fait le tri avec une voisine bénévole, mais il s’est fâché au sujet de la table et il nous a demandé de partir. Il est finalement revenu vers nous quelques mois plus tard pour nous demander de reprendre le travail. »

Alexandre Debruille a ainsi développé un contact particulier avec ses clients. Comme avec André et Micheline Preiss, chez lesquels il a rendez-vous cet après-midi. Dans leur tout petit appartement en rez-de-chaussée, de vieilles photos de famille sont punaisées aux murs, voisinant avec des posters de chats et une carte de vœux décorée d’un lapin. Sur une étagère murale, des bibelots se bousculent autour de l’étonnante Sissi, le chat naturalisé d’André. Au sol, deux chiens s’agitent et un chat est lové sur la couette du lit en bataille. « J’ai pas eu le temps de faire le ménage », s’excuse André Preiss. « Ne vous inquiétez pas, le rassure Alexandre Debruille, ça nous arrive à tous. » L’ARI a déjà installé un nouveau lino sur le sol du T1 qu’ils habitent. « Micheline donnait à manger aux animaux sur la moquette, explique André, 62 ans, retraité et invalide. Et puis on avait gardé le chien d’un ami qui était malade et qui avait vomi ici, c’était dégoûtant. » Sa compagne, atteinte de la maladie d’Alzheimer, est sous tutelle. « Mais pour qu’elle reste avec moi, il faut que ce soit impeccable », explique André, non sans tendresse.

Le retour à une vie sociale

Pendant que Micheline, la tête tournée vers la fenêtre, soliloque, rebondissant sur le moindre élément qu’elle capte de la conversation, André et Alexandre évoquent la rénovation de la cuisine. « On va voir ensemble ce que vous souhaitez, explique le psychologue, je vous amènerai un catalogue, comme ça vous verrez ce que vous pouvez acheter et on fera un devis. » Mais André ne veut que du blanc, tout simple, pas cher. Alexandre lui suggère aussi une penderie pour ranger les vêtements, pour l’instant dans des cartons. « Peut-être aussi un lave-linge, ça vous éviterait d’aller à la laverie, non ? » Micheline lui désigne une place toute trouvée, à côté du buffet du salon…

Pour l’heure, l’association n’a pas encore pris le temps de procéder à une évaluation formelle de son action. « Nous péchons un peu de ce côté-là, reconnaît Sophie Barré. Mais, d’un autre côté, tant que nous ne sommes pas subventionnés, ce n’est pas une obligation. » Le travail de l’ARI semble néanmoins produire des effets bénéfiques, notamment du côté des clients. « J’ai travaillé comme artisan pendant dix-huit ans, rappelle le responsable des chantiers, et j’ai pu mesurer l’impact qu’une rénovation pouvait avoir sur des personnes, lorsqu’elles sont actrices du projet. » Ce que Claire Aguilella confirme pour les deux usagers qui ont eu recours aux services de l’ARI : « La relation avec l’équipe de rénovation a aidé certains à s’ouvrir. Un de nos usagers s’est même rendu à la fête annuelle organisée par l’association. C’était un pas très important pour lui. »

Côté rénovateurs, parmi les 25 ayant transité par l’association, trois ont pu faire aboutir un projet d’insertion et trouver un emploi. « Je sais que l’un est rentré en ESAT et un autre est devenu aide-cuisinier », détaille Sophie Barré. Mais tous ne donnent pas forcément des nouvelles, et une réelle insertion dans la vie active peut parfois prendre des années. Pour Serge Gauthier, le président de l’ARI, le plus valorisant est sans conteste le retour à une vie sociale. « En tant que médecin, je vois des gens longtemps restés au fond de leur lit qui se lèvent, qui sortent, qui participent à des activités, à partir du moment où ils ont travaillé pour l’ARI. » Le psychiatre est d’autant plus étonné qu’il avait craint que les patients qui se seraient rencontrés par le biais d’un chantier ne soient gênés de se recroiser ensuite en milieu de soin. « Mais c’est le contraire, remarque-t-il. Ils se sentent à l’aise, et savent qu’ils partagent une expérience commune. Ils discutent même de leur parcours de soins en toute confiance. » Enfin, un retour est également effectué par les équipes soignantes de l’ASM lorsqu’elles constatent l’évolution positive d’un patient. « On sait que le regain d’estime de soi est crucial dans le recul des symptômes de la maladie », insiste Alexandre Debruille.

A l’heure actuelle, l’ARI envisage de rechercher des financements européens pour se développer, embaucher éventuellement un deuxième encadrant et permettre à davantage de personnes de bénéficier de ses services. « Nous ne rentrons pas dans les cases des bailleurs de fonds français, parce que nous offrons moins de 20 heures de travail mensuel, précise Sophie Barré. Pourtant, ce que nous proposons personne ne le fait, et la rapidité avec laquelle nous avons rempli notre carnet de commandes et recruté nos rénovateurs prouve bien qu’il existe un besoin. »

Notes

(1) Le prénom a été modifié pour des raisons de confidentialité.

(2) ARI : 22, rue de la Glacière – 75013 Paris – Tél. 01 40 77 44 19 – E-mail : ari75@hotmail.fr.

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