Sans surprise après les assises consacrées à ce sujet le 14 octobre (1), le rapport de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la justice, sur « la prévention de la délinquance des jeunes » (voir ce numéro, page5), suscite des critiques et des interrogations sur les intentions affichées. Bon nombre de ses 15 propositions – qui visent à réactiver ou à renforcer des dispositifs existants, dont ceux qui sont issus de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance – sont consacrées à la responsabilisation des parents. Y compris par la voie pénale et par des outils d’orientation « comportementaliste », comme le « coaching parental ». Si elles font ressurgir les craintes d’un « contrôle social » des familles en difficulté, certaines préconisations pourraient néanmoins être intéressantes à discuter, estime le sociologue Laurent Mucchielli. Mais « elles sont hélas noyées dans un moralisme bon teint, utilisant quelques accroches médiatiques récentes pourtant fortement contestées (notamment le rapport de l’Inserm sur les “troubles des conduites” et, plus récemment, la prétendue explosion de la délinquance des filles), ciblant clairement les “quartiers sensibles” habités par la population “issue de l’immigration” ».
La recommandation visant à mettre en place « un repérage précoce des enfants en souffrance » dès deux ou trois ans, dans l’objectif d’éviter les retards « dans le dépistage des troubles du comportement », est celle qui fait le plus réagir. Comme on pouvait s’y attendre, le collectif Pas de zéro de conduite, qui avait obtenu en 2006 le retrait d’une disposition prévoyant le dépistage des jeunes enfants turbulents dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance, demande d’abandonner « définitivement cet amalgame entre les difficultés psychologiques durant l’enfance et la prédiction d’un avenir délinquant ». La Fédération des centres médico-psycho-pédagogiques souligne qu’avec les CMPP, les centres d’action médico-sociale précoce et les centres médico-psychologiques de psychiatrie infanto-juvénile constituent déjà « un réseau opérant d’acteurs de terrain » travaillant en partenariat avec les institutions. « La vraie question actuelle demeure celle de l’accès aux soins et des moyens consacrés à ceux-ci », insiste la fédération. Or, dans le rapport de Jean-Marie Bockel, la question des moyens n’est nullement abordée. S’il préconise « la réintroduction du travail sanitaire et social à l’école », aucune référence n’est faite aux assistants sociaux scolaires ou aux médecins scolaires, pourtant trop peu nombreux.
D’autres, comme Jean-Pierre Rosenczveig, se montrent plus favorables à cette proposition de « repérage précoce » et veulent éviter un procès d’intention. Si les travaux de l’Inserm ont en 2005 pollué le débat, « c’est bien d’abord de protection de l’enfance qu’il s’agit », défend le président du tribunal pour enfants de Bobigny. En somme, l’enjeu est de distinguer les moyens des finalités. « On peut parfois tenir deux objectifs pour le prix d’un (les six milliards de l’aide sociale à l’enfance), à condition de pas violer l’un (la protection de l’enfance) par les impératifs de l’autre (la prévention de la délinquance). »
La partie consacrée à la prévention spécialisée n’échappe pas à cette ambiguïté. « Nous prenons acte de la volonté de donner une place à l’investissement humain et professionnel de la prévention spécialisée », commente Bernard Heckel, directeur du CNLAPS (Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée). Reste que les termes du rapport suscitent tout de même des inquiétudes. Le secrétaire d’Etat à la justice juge ainsi que le métier d’éducateur de rue « demeure encore trop lié à la protection de l’enfance », ce qui nuirait à l’efficacité de son action ! En outre, « le rapport se réfère à une histoire de la prévention spécialisée pour le moins discutable », ajoute-t-il. Avec une vision étriquée de l’intervention des éducateurs, le document occulte de plus la dimension sociale de la prévention : « La prévention spécialisée, c’est aussi un travail de développement des ressources collectives des jeunes et des habitants, par ce qu’on appelle des “actions sur le milieu” », précise Bernard Heckel. Plus globalement, comme le souligne Laurent Mucchielli, le rapport « reste loin d’une analyse scientifique des causes de la délinquance et d’une évaluation objective des dispositifs existants ».
Le document a, en revanche, été bien accueilli par l’Association des maires des grandes villes de France. Les propositions pour « lutter contre le décrochage scolaire, prévenir les violences à l’école ou réaffirmer les valeurs de citoyenneté et de laïcité » vont dans le bon sens, se félicite l’organisation, « sous réserve de réponses en matière de financements et de gouvernance locale et nationale ». L’association appelle en ce sens « à un dialogue renouvelé entre l’Etat et les collectivités locales, sur la nécessaire clarification des compétences respectives dans le domaine de la sécurité et de la prévention ».