Le secrétaire d’Etat à la justice, Jean-Marie Bockel, a remis le 3 novembre au président de la République son rapport sur la prévention de la délinquance des jeunes (1). Il vient au terme non seulement d’une soixantaine d’auditions et de plusieurs déplacements dans des villes françaises et européennes, mais aussi de la tenue, le 14 octobre dernier, des assises de la prévention de la délinquance juvénile (2). L’ancien maire de Mulhouse s’est également appuyé sur les conclusions qui lui ont été rendues en février dernier par Jean-Marie Ruetsch (3).
Depuis plusieurs semaines déjà, Jean-Marie Bockel ne faisait pas mystère des trois axes essentiels que la politique publique de prévention de la délinquance doit, selon lui, privilégier aujourd’hui : soutenir « une fonction parentale en crise » ; garantir l’accès à la citoyenneté par l’école en centrant le combat sur l’absentéisme, le décrochage et les violences scolaires ; reconquérir l’espace public. C’est donc sans surprise que l’on retrouve dans le rapport 15 propositions organisées autour de ces trois thèmes. Tour d’horizon des principales mesures préconisées.
« Face à une parentalité en berne », Jean-Marie Bockel avance plusieurs propositions visant à renforcer l’autorité parentale, s’appuyant pour ce faire sur de « bonnes pratiques » observées sur le terrain ou à l’étranger. Il insiste, en particulier, sur le rôle de l’Etat dans la formation des parents, militant pour la généralisation des écoles de parents ou bien encore le développement d’un « coaching parental », en prenant appui sur les réseaux d’aide à la parentalité. Il plaide également pour la création d’un statut de beau-parent (4), afin de « contribuer à restaurer l’autorité dans les foyers monoparentaux ».
L’ancien maire de Mulhouse estime, par ailleurs, nécessaire de responsabiliser les parents dans la vie scolaire de leur enfant et s’arrête notamment sur la situation vécue par certaines familles étrangères, dans lesquelles « l’analphabétisme ou l’absence de maîtrise orale ou écrite [du français] constitue un obstacle majeur à tout suivi scolaire digne de ce nom ». Le rapport propose à cet égard de « rendre obligatoire la participation des parents signalés à une mise à niveau linguistique et républicaine ». Concrètement, il s’agirait de rendre contraignant l’opération « Ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration », qui repose actuellement sur le volontariat (5).
A côté de cette politique de soutien aux parents, Jean-Marie Bockel souhaite « une nouvelle économie » des sanctions en cas de défaillance de l’autorité parentale. Il recommande notamment de faciliter le recours aux poursuites pénales en la matière en modifiant deux articles du code pénal. Le premier – l’article 227-17 – incrimine le fait pour un parent de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales, au point de compromettre, entre autres, l’éducation d’un mineur. Le second – l’article 227-17-1 – sanctionne le fait pour un parent, de ne pas inscrire son enfant dans un établissement d’enseignement sans excuse valable. Le secrétaire d’Etat suggère d’abroger les notions de motif légitime et d’excuse valable, qui sont, selon lui, sources de relaxes « dangereuses car elles relégitiment les parents défaillants et les privent d’une conscience salutaire ».
Plusieurs autres propositions visent simplement à réactiver certains dispositifs issus de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, comme le contrat de responsabilité parentale ou les conseils des droits et devoirs des familles.
Afin d’« éviter chez les élèves une construction identitaire fondée sur le rejet de l’autorité et la rupture avec la loi commune », l’action de l’Etat doit, selon Jean-Marie Bockel, se concentrer autour de trois problématiques majeures : lutter contre l’absentéisme et les décrochages scolaires ; accentuer la lutte contre les violences scolaires ; réintroduire le travail social à l’école. C’est de ce dernier point que ressort une des propositions les plus controversées du rapport (sur les réactions associatives, voir ce numéro, page 20) : la mise en place d’un repérage précoce des enfants en souffrance. Concrètement, le secrétaire d’Etat milite pour la création, par une convention passée entre l’Etat et le département, d’une permanence de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dès l’école primaire puis au collège. « L’enjeu est de passer ainsi d’une logique de signalement à une logique proactive de détection », explique-t-il. Au-delà, l’ancien édile préconise « une véritable réforme du service de santé scolaire ». Dans ce cadre, il recommande de retisser les liens entre l’école et la protection maternelle et infantile (PMI), dont il propose d’élever le seuil de compétence de 6 à 12 ans « pour assurer un véritable suivi sanitaire des enfants ». De plus, il plaide pour la création d’un réseau partenarial réunissant Education nationale, centres médico-psycho-pédagogiques et services de psychiatrie infanto-juvénile. Outre la prise en charge, ce réseau permettrait la création, au sein des établissements scolaires, d’équipes pluridisciplinaires (orthophonistes, psychologues, éducateurs de rue, ASE, Education nationale) chargées de détecter et de répondre à des comportements d’enfants difficiles. Dans l’esprit de Jean-Marie Bockel, ce regard pluridisciplinaire pourrait être posé sur l’enfant dès l’âge de deux ou trois ans.
Le secrétaire d’Etat à la justice estime nécessaire de « mieux utiliser les forces disponibles pour restaurer l’ordre public ». Soulignant l’importance de la prévention spécialisée, il appelle notamment à une « rénovation de la doctrine d’emploi des éducateurs de rue au sein des quartiers difficiles ». Un métier qui, à ses yeux, « demeure encore trop lié à la protection de l’enfance, comme en témoigne l’arrêté du 4 juillet 1972 indiquant très clairement que l’activité du club ou équipe agréée s’intègre dans les actions de prévention de l’aide sociale à l’enfance ». Pour Jean-Marie Bockel, « son caractère trop restrictif constitue en l’état une limite à l’efficacité de son action ». « Dès lors, profondément différent de celui d’éducateur d’établissement, ce métier peine à trouver sa place dans l’univers éducatif alors même qu’il constitue, par ses méthodes informelles et par l’engagement de ceux qui l’exercent, souvent la seule manière d’entrer en contact avec des jeunes délinquants », affirme-t-il sans donner plus de précision sur l’application concrète de sa proposition.
(1) La prévention de la délinquance des jeunes – Jean-Marie Bockel – Novembre 2010 – Disponible sur
(4) Promis par Nicolas Sarkozy, ce statut avait fait l’objet d’un avant-projet de loi resté dans les cartons à la suite de la polémique qu’il avait suscitée.
(5) Dispositif conduit actuellement dans 41 départements de 27 académies – Voir ASH n° 2680 du 29-10-10, p. 16.