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Accompagner sur le chemin de la réinsertion

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Les sortants de prison et les personnes sous main de justice défavorisés peinent à accéder aux structures d’hébergement et d’insertion, où les acteurs craignent de devoir s’engager dans un accompagnement spécifique. Pourtant, malgré des pratiques diverses, ceux qui s’investissent estiment que l’approche n’est pas radicalement différente. A condition de savoir gérer la contrainte.

« Depuis ma sortie, impossible de retrouver ma place dans cette société. Après des mois de dépression, je commence tout doucement à sortir la tête de l’eau. [...] Je navigue d’appartement d’amis en appartement d’amis, je ne touche que le RMI [devenu RSA] pour vivre. » Ce témoignage, recueilli par Yves Tournaire pour sa thèse de sociologie (1), est révélateur de ce qui attend maints anciens détenus. Faute de moyens, de partenariats solides ou d’implication de certains acteurs, les projets de sortie sont peu, voire pas préparés, et « des gens n’ont parfois aucun lieu où dormir quel­ques jours avant leur sortie », explique le chercheur. L’absence de solutions, en particulier d’hébergement, empêche l’octroi d’aménagements de peine aux plus dé­munis alors que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 tend à vouloir les soutenir. Les sortants de prison ou les personnes placées sous main de justice (PPSMJ) ne sont pas non plus toujours les bienvenus dans les structures du champ de l’insertion. Une image stigmatisante et la peur de devoir s’engager dans un accompagnement spécifique et difficile nourrissent les réticences. D’où l’intérêt de l’enquête menée par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) sur l’accompagnement des personnes sous main de justice (voir encadré ci-contre).

Les établissements concernés se divisent en trois : les « dédiés », qui ne se consacrent qu’aux personnes sous main de justice ; les « spécialistes » qui, bien que généralistes, ont développé quelques outils et savoir-faire adaptés ; les « généralistes » où cet accueil, ponctuel et minoritaire, est intégré à leur fonctionnement global. Concernant les publics, aux côtés de personnes clairement identifiées comme relevant d’une mesure judiciaire, « on trouve beaucoup de gens arrivés par la voie sociale ordinaire ou le 115, sortis depuis peu de détention et sans solution », précise Laurent Barbe, consultant de Conseil, recherche, évaluation, sciences sociales (CRESS), le cabinet chargé de l’étude, lors de sa présentation (2). Les structures évaluent de « 20 à 30 % la proportion des personnes accueillies au titre de l’aide sociale à l’hébergement avec un passé judiciaire », selon l’enquête. Dans les établissements mixant les publics, l’accompagnement ne se révèle pas fondamentalement différencié et l’organisation suit les normes habituelles : nomination d’un référent, rencontres régulières, logique de projet individualisé, principe de globalité, même si, parfois, quelques outils ont été mis en place (travail en amont de l’admission, référents plus spécialisés...). Les prestations offertes (accès aux droits, aux soins, hébergement, mise au travail...) se doublent par ailleurs toujours « d’un accompagnement relationnel et social », note l’étude. « C’est même lui, souligne Laurent Barbe, qui semble être le cœur de ce qui est proposé ».

Si les équipes ne tendent pas à juger « spécifique » l’accompagnement de ces pu­blics, l’intervention ne peut toutefois gommer certaines particularités. D’ailleurs, « à vouloir trop évacuer la notion de spécificité et éviter la stigmatisation, on risque parfois de ne pas assez réfléchir à ce que les gens ont vécu et ce que cela induit », prévient Laurent Barbe. L’enfermement laisse des traces, au plan physique comme psychique (troubles de la vue, du sommeil, vertiges, pertes de mémoire, du désir...), surtout après une longue peine. « L’un des pires effets est la déresponsabilisation. Isolement, dépouillement, promiscuité, soumission à l’autorité... génèrent un sentiment de dégradation de l’image de soi et une absence d’autonomie préjudiciable pour le retour à la vie civile », analyse Yves Tournaire. Autre impact : la difficulté à nouer des relations. « Beaucoup disent avoir appris la méfiance en prison. Sans compter que certains préfèrent taire leur passé, ce qui limite les échanges », complète le chercheur, pour qui il existe « un contre-choc carcéral, pouvant aller jusqu’au suicide ». Dehors, il va falloir, en effet, affronter les problèmes d’argent, le chômage, la solitude parfois... Et la sortie fait peur. Dans les lieux d’hébergement, les publics sous main de justice subissent en outre souvent un isolement renforcé par « la stigmatisation de la peine, les interdictions qui peuvent exister, la rupture en cas d’incarcération, l’éloignement de leur région d’origine », complexifiant la réinsertion. Mais il n’y a pas de règle. Ainsi, tempère Myriam Franck, éducatrice spécialisée au centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) la Cité Myriam, à Montreuil, « nous avons accueilli un sexagénaire issu d’une autre région, qui, après 12 ans de détention, n’avait aucun problème de repère spatio-temporel ni d’insertion. On s’attendait à devoir effectuer un accompagnement très serré, or il n’a pas été spéci­fique. A l’inverse, nous avons des person­nes sortant de un ou deux ans de détention, qu’il faut soutenir presque tous les jours, car elles ne savent plus rien faire. »

Savoir ou non le délit commis ?

Faut-il connaître ou non les motifs du parcours judiciaire des usagers ? La question divise. Certaines structures, plutôt généralistes, affirment que mieux vaut ne pas savoir pour éviter toute stigmatisation ; les autres, au contraire, estiment que c’est important, soit pour éviter le déni des personnes, soit pour « jauger les prises de risque dans un principe de responsabilité vis-à-vis des équipes mais aussi de leur environnement », détaille l’étude. Yves Lechopier, directeur de l’Association pour la prévention de la récidive par l’évolution des sanctions, à Amiens, est plus nuancé : « Un sortant de prison est dans le droit commun, une structure d’hébergement ou d’insertion n’a donc pas à savoir le délit commis. En revanche, dans le cas de personnes écrouées, en placement extérieur par exemple, les travailleurs sociaux peuvent être amenés à effectuer des signalements, cela change la donne. » En effet, la spécificité de l’accompagnement des personnes placées sous main de justice tient d’abord aux contraintes : celle du calendrier judiciaire, qui structure la prise en charge, et celle inhérente aux mesures imposées aux individus. La plupart des structures ont signé une convention avec l’administration judiciaire et ont des clauses à respecter. Le contrôle côtoie alors l’action éducative. « La présence de personnes en placement extérieur et en liberté conditionnelle dans une structure implique un pouvoir renforcé des accompagnateurs car les manquements aux règles de fonctionnement de la structure ou au cadre judiciaire peuvent avoir des conséquences rapides et fortes comme le retour en détention », estime l’étude. Cependant, « les intervenants semblent bien s’accommoder de ce pouvoir et de ce rôle particulier de contrôle social ». Deux raisons à cela : les institutions acceptant ces publics ont calé leur approche depuis longtemps et cela ne fait plus débat ; ou il y prévaut la conviction que c’est le prix à payer pour éviter des détentions. Les contraintes judiciaires, qui s’ajoutent aux contraintes de fonctionnement de l’établissement, peuvent même, pour certains, fournir un étayage important. « Pour nous, cela fait partie de l’accompagnement global des travailleurs sociaux, ce n’est pas pour eux un poids supplémentaire et ils les utilisent, affirme, pour sa part, la directrice d’une association gestionnaire d’un CHRS accueillant notamment des personnes en placement extérieur. Les règles du jeu sont d’emblée clairement po­sées, les personnes les acceptent en toute connaissance de cause. Cela constitue même souvent un cadre structurant et sécurisant pour elles. »

Reste à savoir gérer les transgressions. Les intervenants semblent, tant que faire se peut, user de pédagogie la première fois et chercher à comprendre si la personne est dans une dynamique de changement ou non. Les pratiques varient cependant en fonction des équipes, de la nature des in­fractions, des liens établis avec les autorités judiciaires et pé­nitentiaires. « Lorsqu’il s’agit d’une petite entaille au règlement de fonctionnement du CHRS, y compris la question de l’introduction d’alcool, on règle cela en interne et on informe le conseiller d’insertion et de probation [CIP], qui juge de l’opportunité de faire un rapport au juge de l’application des peines [JAP]. Si l’incident est plus grave, on prévient le CIP et on peut demander directement au juge, dans un écrit circonstancié, de convoquer la personne pour la recadrer. La justice décide alors des suites à donner », témoigne Myriam Franck. Le ni­veau des contraintes joue également. Ainsi, comme les obligations et interdictions pesant sur les personnes en placement extérieur sont lourdes, « certains règlements intérieurs de CHRS se révèlent très stricts », assure Marie Brossy-Patin, présidente de l’Arapej (Association réflexion action prison et justice) Ile-de-France. De fait, le CHRS de l’Asso­ciation chrétiens Antibes solidarité, qui reçoit un public constitué pour moitié de personnes sous main de justice (dont trois en placement extérieur), a choisi de leur réserver un traitement particulier « Tout incident devant être signalé au CIP, si ce n’est au JAP et au directeur de la maison d’arrêt, et la sanction étant très souvent le retour en détention dans la journée, nous avons établi un règlement intérieur spécifique pour les personnes en placement extérieur », explique Karine Tevelle, chef de service qui, pour autant, reste « contre la spécificité de l’accompagnement ». Et de préciser : « L’écriture s’est faite avec les personnes concernées et a permis d’aménager, par exemple, des horaires de sortie collectifs pour les personnes en placement extérieur. Ce règlement est néanmoins très proche de celui en usage dans l’institution. »

Autre difficulté : à qui et comment signaler l’incident ? Là encore, les pratiques varient. Ici, la communication s’effectue avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui filtre, là, elle passe en direct par le JAP. Ce qui étonne Régis Claudepierre, conseiller d’insertion et de probation à la direction de l’administration pénitentiaire : « Seul le SPIP a une vision d’ensemble et peut faire un rapport global. C’est de la compétence du CIP de recueillir les informations concernant la mesure et de les faire remonter au JAP. Sans cela, en cas d’incident, ce dernier n’aura qu’une information partielle. » La tendance ne surprend pas cependant Blandine Pottier, directrice du SPIP de Charentes, pour qui « les Jap vont de plus en plus se rapprocher des associations. La montée en puissance du pouvoir administratif, donc des SPIP, et leur autonomisation face au pouvoir judiciaire incite les juges à se tourner vers les associations... » Quant au moment de faire remonter l’incident, tout comme la répartition des tâches entre les SPIP et les structures, il dépend de la qualité du partenariat. « Le dialogue est important, sinon les équipes gardent cela pour elles et ça génère un malaise », remarque Gilbert Berlioz, consultant du cabinet CRESS (voir encadré, page 25). « Cette collaboration active facilite le fait d’assumer les contrôles et les contraintes », estime Myriam Franck. Des rencontres mensuelles sont ainsi organisées entre la Cité Myriam et trois conseillers d’insertion et de probation de Pantin pour faire le point sur les situations. « Les obligations sont clarifiées dès le départ ainsi que les engagements vis-à-vis des CIP. En outre, nous rencontrons régulièrement les JAP », explique-t-elle.

Accéder à des modes d’hébergement variés

Les contraintes judiciaires imposées aux personnes sous main de justice peuvent aussi influencer le choix de l’hébergement. L’idéal est de disposer d’une palette de solutions. « Une diversification des modes d’hébergement, qui doit être pensé comme un outil d’insertion, est souhaitable : cham­bres d’hôtel, appartements diffus, structures collectives... Mais il est vrai que, sur des dispositifs tels que les placements extérieurs, certaines formules ne conviennent pas aux exigences des magistrats. Il est, par exemple, difficile économiquement de prévoir un veilleur de nuit pour contrôler des personnes qui seraient en hôtel ou seules en appartement. Aussi, nous, nous avons opté pour du petit collectif », observe Marie Brossy-Patin. « Le collectif peut servir de temps d’adaptation mais nous recevons aussi des personnes incarcérées qui, après avoir visité notre structure, où sont proposées des chambres de deux, préfèrent finir leur peine en prison car elles s’y sentent moins en danger », nuance toutefois Myriam Franck. La formule convient néanmoins à certains sortants de prison car elle leur donne l’occasion de tisser des liens privilégiés et les redynamise. La pluralité des réponses est donc à favoriser. « La porte d’entrée ne doit pas être celle du statut judiciaire. Cela pollue le débat. Mieux vaut, tout comme avec les personnes à la rue, offrir un hébergement adapté à l’usager et à son parcours. Certains sont incapables de vivre dans du diffus, d’au­tres dans du collectif », tranche Philippe Rongère, directeur du CHRS L’Etape à Nantes, qui propose l’hébergement ­d’urgence pour les sortants de prison, le réseau d’accueil en famille et les logements éclatés (voir encadré ci-dessous).

S’il est enfin une spécificité de l’accueil des personnes sous main de justice, c’est de ne pas être très rémunérateur. Les financements sont faibles, en particulier pour les structures non dédiées, et des surcoûts existent souvent. « Il n’y a pas d’effet d’aubaine. Les conventions ont en commun de ne pas couvrir les coûts à leur hauteur », confirme Gilbert Berlioz. Les associations « fonctionnent clairement à un autre carburant », ajoute-t-il, à savoir l’intérêt du travail pour les équipes, mais aussi leur fort engagement envers des publics gravement menacés d’exclusion sociale.

UNE VINGTAINE DE STRUCTURES INTERROGEES

Pour son étude sur l’accompagnement des personnes sous main de justice (3), la FNARS a retenu les personnes :

 concernées par une mesure de contrôle ou alternative aux poursuites (contrôle judiciaire, médiation pénale, composition pénale, enquête sociale...) ;

 concernées par une mesure post-sentencielle (comprenant les mesures d’aménagement de peine telles que le placement sous surveillance électronique, le placement à l’extérieur, la semi-liberté, la libération conditionnelle et les sanctions non privatives de liberté comme le travail d’intérêt général) ;

 sortant de détention depuis moins de six mois.

Une vingtaine de structures (centres d’hébergement, accueil de jour, atelier ou chantier d’insertion...) a été contactée : des entretiens ont eu lieu avec des responsables, des travailleurs sociaux, des personness accueillies.

PARTENARIATS : PEUT MIEUX FAIRE...

« Le développement des partenariats et l’articulation des intervenants de l’administration pénitentiaire, du secteur judiciaire, du service public de l’emploi et des institutions sanitaires, sociales et médico-sociales, en lien avec les acteurs associatifs constituent le socle fondamental pour répondre aux besoins des personnes placées sous main de justice en matière d’insertion », estime Franck Tanifeani, responsable du groupe d’appui national « justice » de la FNARS. Un volet de l’enquête menée par le cabinet CRESS s’intéresse donc à la relation unissant les associations et l’institution judiciaire. Verdict : elle est « besogneuse ». « Après de nombreuses années de travail commun, rares sont les cas où la relation est sereine et les pratiques stabilisées », souligne le rapport. La justice est perçue comme un partenaire « complexe », voire « problématique ». Sont notamment dénoncés « la masse de temps consommé par les procédures » et le risque de voir une décision imprévue remettre en cause le travail initié. C’est d’ailleurs « autour des exigences posées par le milieu judiciaire » et « du manque de lisibilité de ses stratégies » que maintes associations expliquent « leur désengagement progressif de l’accueil de personnes placées sous main de justice ».

Raréfaction des moyens, surcharge de travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), turn-over dans les équipes, absence de cohérence entre SPIP, magistrats, responsables d’établissements pénitentiaires... ne facilitent pas le partenariat. Les liens entre une structure et la justice se révèlent ainsi « tributaires des relations pré-existantes au sein des différents pôles de l’institution judiciaire du territoire ». En outre, il « n’existe pas de temps d’échanges collectifs réunissant les différentes parties prenantes d’un territoire ». De fait, les échanges se limitent à ceux établis entre la direction de la structure et le SPIP et à ceux entretenus par les travailleurs sociaux pour les suivis individuels.

La signature de conventions n’est pas systématique et, quand elles existent, leur contenu varie beaucoup. Ici, elles concernent la prise en charge d’auteurs de violences familiales, là, elles ciblent les permissionnaires, ailleurs encore, elles visent l’accueil d’urgence de personnes sans domicile bénéficiant d’une mise en liberté provisoire avec ou sans contrôle judiciaire... Par ailleurs, certaines sont minimalistes, d’autres très détaillées. L’administration pénitentiaire semble laisser son échelon local décider de leur précision. Plus largement, tout se passe comme si la continuité des prises en charge entre l’institution judiciaire et le monde associatif « ne dépendait pas d’une impulsion venue d’en haut, mais reposait essentiellement sur une mobilisation partie d’en bas, construite entre des acteurs (privés ou publics) qui parviennent à trouver des accords d’opportunité sur leur territoire ». Pour avancer, le cabinet CRESS recommande aux associations de se mobiliser pour instaurer des relations partenariales régulières avec le SPIP sur des sujets de stratégie générale. Il les appelle en outre à agir pour que les personnes sous main de justice soient prises en considération dans les schémas départementaux, qui organisent les réponses de droit commun, afin de « passer d’une logique d’accord sur le territoire à l’élaboration d’une politique publique dans ce domaine », précise le consultant Gilbert Berlioz. En effet, résume Franck Tanifeani, « les personnes placées sous main de justice sont rarement prises en compte par les dispositifs d’action sociale. La responsabilité de leur insertion est souvent renvoyée au ministère de la Justice. Or le placement sous main de justice de ces personnes en difficulté n’est qu’un paramètre d’exclusion parmi d’autres. D’autres ministères et collectivités territoriales pourraient y prendre part. »

DES PLATES-FORMES POUR L’INSERTION DES PLUS DÉMUNIS

Dans ses communautés, CHRS, accueils de jour, structures d’insertion..., Emmaüs France (4) accueille des personnes sous main de justice ou des sortants de prison. Constatant que les aménagements de peine profitaient d’abord aux plus insérés, l’association a imaginé un dispositif pour faciliter l’octroi de ces mesures aux majeurs les plus en difficulté. Subventionné par le Haut Commissariat aux solidarités actives dans le cadre d’une expérimentation 2009-2010, le projet vise « à mieux coordonner l’offre d’insertion sur les départements », résume Gilles Ducassé, délégué général adjoint pour la branche économie solidaire et insertion. Trois départements ont été sélectionnés : les Pyrénées-Atlantiques, les Landes et l’Indre-et-Loire. Après avoir imaginé la création d’un Intranet, Emmaüs a opté pour le renforcement de « la coordination humaine et des liens entre les structures ». A cette fin, l’organisation a recensé des personnes intervenant déjà en prison (avec la Cimade, la Croix-Rouge, le Secours catholique...) et prêtes à s’investir davantage. En devenant « accompagnants », elles ont pour rôle de rencontrer les détenus repérés par le service pénitiaire d’insertion et de porbation (SPIP), de les aider à construire un projet, puis de monter avec les conseillers d’insertion et de probation (CIP) le dossier de demande d’aménagement de peine. « Si celui-ci est accordé, l’accompagnant continue à soutenir le sortant de prison durant environ six mois », explique Gilles Ducassé. Pour ce faire, Emmaüs a passé un an à recenser les structures désireuses de s’impliquer, à rencontrer SPIP, magistrats, centres d’hébergement, acteurs de la santé, de l’assurance maladie, de l’emploi, de la formation... et à créer entre eux des liens, voire des conventions, afin de construire des « plates-formes » d’insertion sur leur territoire.

Le projet a cependant pris du retard. Parmi les causes, les lourdeurs de l’administration pénitentiaire mais aussi de mauvais choix stratégiques. « Nous ne sommes pas passés par l’administration centrale ; nous avons voulu choisir nous-mêmes les sites, il a donc fallu convaincre de leur intérêt...; nous voulions aussi privilégier les mesures classiques et éviter les placements sous surveillance électronique », détaille le délégué. D’autres événements sont venus gêner l’expérimentation, telles l’évolution du parc pénitentiaire – les prisons de Pau et de Bayonne ont été vidées au moment où les premiers accompagnants débutaient leur mission – ou des réticences au sein du SPIP de Tours.

Sur chaque site, six à dix accompagnants ont été formés avec l’implication du SPIP et d’un JAP, sur la partie technique (aménagements de peine, dossiers...), et d’une psychologue pour les aspects relationnels. « Les dispositifs sont prêts et nous attendons », résume Gilles Ducassé. Reste que l’expérimentation devait s’achever fin 2010. « En juillet, nous avons demandé une prolongation d’une année car nous avons tellement bataillé qu’il serait dommage de s’arrêter là. » Aujourd’hui, seuls quatre sortants de prison ont pu profiter du dispositif. Un nombre insuffisant pour évaluer son intérêt. Toutefois, il apparaît déjà qu’il « est tout de même très difficile pour nous de faire bouger les lignes », assure le délégué adjoint. Chargé d’évaluer l’expérimentation, le CNRS rendra son rapport final en juillet 2011. Peut-être saura-t-on alors si un tel dispositif facilite l’octroi d’aménagements de peine aux publics les plus en difficulté et améliore la qualité de leur insertion.

DES FAMILLES HUMANISENT L’HÉBERGEMENT DE LONGUES PEINES

Depuis 15 ans, le CHRS L’Etape, à Nantes (5), entretient dans la Loire-Atlantique un réseau de familles bénévoles prêtes à accueillir chez elles des détenus en permission, voire en fin de peine, en général sans liens familiaux ou amicaux. Au fil du temps, leur profil a évolué et des adaptations ont dû être apportées. Une vingtaine de familles reçoivent ainsi des personnes dans le cadre de peines de plus en plus longues. « Nous avons suivi l’évolution de la sociologie de la prison, observe Philippe Rongère, directeur général. On accueille désormais beaucoup d’agresseurs sexuels. » Le CHRS a donc mis en place des formations suivies par ces hôtes et les professionnels concernés avec l’Association pour la recherche et le traitement des auteurs d’agressions sexuelles. Cette nouvelle donne a modifié d’autres pratiques. Ainsi, explique le responsable, « les familles ne savaient pas pourquoi les gens étaient détenus. Aujourd’hui, les faits sont mis sur la table. Si on veut faire entrer les personnes dans une dynamique et éviter la récidive, il ne faut pas les mettre dans des situations sociales pouvant la favoriser, par le biais par exemple de l’alcool, des fréquentations... » Obligation est donc faite aux usagers d’informer leurs hôtes sur les raisons de leur détention. « C’est un passage nécessaire préparé avec les éducateurs. Cela réduit les appréhensions et les fantasmes des uns et des autres », assure Philippe Rongère.

En famille, les personnes, souvent issues d’une autre région et perturbées par leur longue détention, « récupèrent des habiletés sociales au quotidien », poursuit-il. Réapprentissage des gestes simples, reprise de relations normales, changement d’habitudes... « C’est un peu comme un sas de décontamination... », résume-t-il, soulignant que « nombre d’échecs viennent du fait qu’on ne prend pas assez en compte ces dimensions ». L’immersion s’effectue petit à petit. « Les permissions ont lieu tous les trois mois, ce qui permet une intégration progressive à l’environnement extérieur, aux règles sociales. A la sortie de prison, il peut aussi y avoir un hébergement en famille, mais il est de courte durée. Des allers et retours sont également possibles, complète Elisabeth Oger, éducatrice sur le réseau. La dimension symbolique de la formule est forte, puisque ces familles ouvrent bénévolement leur maison. »

Notes

(1) La carrière de sortant de prison, du projet de sortie au retour à la vie civile – Université Lumière-Lyon-2.

(2) Les 25 et 26 janvier derniers à Paris – FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis – 75010 Paris – Tél. 01 48 01 82 00.

(3) Etude de l’accompagnement des personnes sous main de justice accueillies dans les associations du réseau FNARS – Disponible sur www.fnars.org.

(4) Emmaüs France : 47, avenue de la Résistance – 93104 Montreuil cedex – Tél.01 41 58 25 00.

(5) CHRS L’Etape : 107, rue Hector-Berlioz – 44300 Nantes – Tél. 02 51 83 64 00.

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