La justice administrative vient de condamner l’Etat à indemniser le préjudice moral subi par une avocate handicapée en raison de l’absence d’aménagement rendant les tribunaux qu’elle fréquente accessibles. Même en l’absence de faute, la responsabilité de l’Etat est engagée du fait d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques, a indiqué le Conseil d’Etat dans un communiqué du 22 octobre. Une décision d’autant plus importante qu’elle porte sur les délais d’application de la loi « handicap » du 11 février 2005 et rendue en assemblée du contentieux, la « formation la plus solennelle » du Conseil d’Etat.
Dans cette affaire, l’avocate est atteinte d’un handicap moteur qui s’est aggravé à la suite d’un accident en mai 2001, l’empêchant depuis cette date de monter les escaliers de façon autonome et l’obligeant à se déplacer le plus souvent en fauteuil roulant. Elle a demandé en justice la réparation des préjudices subis depuis son accident, et qu’elle impute à une absence ou à une insuffisance d’aménagements spécifiques lui permettant un accès adapté à certaines juridictions dans lesquelles elle exerce sa profession. Le tribunal administratif de Lille, puis la cour administrative d’appel de Douai, ont rejeté sa demande de dommages et intérêts. Elle a alors porté l’affaire devant le Conseil d’Etat.
La loi du 11 février 2005 a prévu que les établissements existants recevant du public doivent être accessibles à toute personne handicapée dans un délai maximal de dix ans. Un décret du 17 mai 2006 a fixé la date butoir au 1er janvier 2015. Les juridictions de Lille et de Douai ont estimé que ce délai n’étant pas dépassé, l’avocate ne pouvait pas invoquer une faute de l’Etat. Pour le Conseil d’Etat, les magistrats ont commis une erreur de droit en se fondant sur cette seule circonstance et « sans rechercher si l’Etat, en s’abstenant d’engager l’effort d’aménagement des palais de justice, avait fait preuve d’une inaction fautive au regard de l’obligation qui lui incombe de mettre progressivement aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées l’ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire ».
Pour autant, la Haute Juridiction ne relève pas de faute de la part de la puisssance publique. En effet, l’Etat a engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes ces bâtiments, ce qui demande un « effort financier notable ». Les autorités judiciaires se sont par ailleurs efforcées, au-delà de l’adaptation du cadre bâti, de faciliter l’accès de l’avocate soit en réalisant des aménagements ponctuels, soit en mettant à sa disposition l’aide de personnels d’accueil et de sécurité, soit en déplaçant le lieu de l’audience pour lui permettre d’y participer. Autre argument plaidant en faveur de l’Etat : les hauts magistrats relèvent des motifs légitimes d’intérêt général justifiant que l’Etat ait pu étaler dans le temps la réalisation des aménagements… Néanmoins, le préjudice qui résulte de cet étalement dans le temps ne saurait être regardé comme une charge incombant normalement à l’avocate. Le Conseil d’Etat relève également que l’exercice de sa profession a été rendu plus difficile sans que les mesures palliatives prises aient pu atténuer suffisamment les difficultés qu’elle a rencontrées. Enfin, il lui accorde 20 000 € de dommages et intérêts car son préjudice moral présente un caractère grave et spécial au regard du nombre d’années pendant lesquelles elle a dû subir cette situation.