Recevoir la newsletter

France, terre d’asile ?

Article réservé aux abonnés

La récente grève, massive, de la Cour nationale du droit d’asile était une première. Elle n’est cependant qu’un signe supplémentaire des apories inextricables dans lesquelles notre pays enserre aujourd’hui tous les acteurs de l’asile. Le film de Claudine Bories et Pascal Chagnard Les arrivants (1) – tourné à la Coordination pour l’accueil des familles demandeuses d’asile de Paris que gère le Centre d’action sociale protestant (2) – a fait brutalement prendre conscience à beaucoup combien est en danger notre tradition d’asile, consubstantielle à notre conception ouverte de la nation et de la citoyenneté depuis la Révolution. Avec une humanité et une intensité hors du commun, il témoigne des difficultés sans nom que rencontrent des « accueillants » qui crèvent l’écran chacun par leur engagement pour accompagner au quotidien des situations de détresse et de dénuement absolus, entre délire kafkaïen des procédures et impuissances budgétaires, entre volonté de consacrer à chaque situation un temps d’aide au plus près de besoins cruciaux et nécessité de faire face en permanence à l’afflux de nouvelles familles. Certes, le professionnalisme et l’opiniâtreté ne sont pas vains : trois des quatre familles suivies par la caméra dans leurs souffrances et leurs espoirs ont été admises au bénéfice de l’asile. Mais qui peut se satisfaire de l’hospitalité que nous réservons à ceux qui se tournent vers notre pays parce qu’ils sont persécutés dans le leur ? Qui peut accepter que le Conseil de l’Europe ait, par la voix de son commissaire aux droits de l’Homme, de nouveau mis en cause, comme déjà en 2007, l’accueil des demandeurs d’asile en France ?

La montée de la demande d’asile, il est vrai, ne se dément pas : + 20 % en 2008, + 12 % en 2009, + 8,5 % sur les neuf premiers mois de 2010. L’an dernier, avec 47 686 demandes, la France se situait au premier rang des pays européens, et au troisième dans le monde, après les Etats-Unis et le Canada ; en 2010, elle sera selon toute vraisemblance à la deuxième place. Mais par rapport à sa population, notre pays n’occupe en Europe qu’un rang moyen, très loin de l’effort consenti par des pays comme la Suède, la Belgique ou l’Autriche, sans parler de Malte ou de Chypre. Il protège aujourd’hui de 140 000 à 150 000 réfugiés, soit seulement la moitié du Royaume-Uni et le quart de l’Allemagne.

Il serait contraire à la vérité de ne pas reconnaître d’incontestables progrès. Ainsi, du remplacement au 1er janvier 2008 de la Commission de recours des réfugiés, qui était soumise administrativement et budgétairement à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), par la Cour nationale du droit d’asile, rattachée au Conseil d’Etat ; ou encore, depuis le 1er décembre 2008, de la possibilité pour les demandeurs d’asile, même entrés irrégulièrement, de bénéficier de l’aide juridictionnelle. Même en ce qui concerne l’hébergement, des efforts financiers réels ont permis de multiplier par plus de quatre depuis 2003 les places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

Mais le dispositif demeure bien en deçà du nécessaire : près de 15 000 demandeurs d’asile attendent un hébergement du fait de la saturation des centres d’accueil, avec comme seule solution la rue ou des prises en charge aussi coûteuses qu’inadaptées en hôtels, dès lors que, privés de tout droit de travailler, ils ne peuvent se loger par eux-mêmes. La longueur des procédures renforce la congestion d’un dispositif déjà sous-dimensionné. Mais dans le temps même où il est demandé de manière de plus en plus pressante aux acteurs de terrain de « faire du chiffre », l’accompagnement est pourtant de plus en plus indispensable pour faire bénéficier effectivement les demandeurs d’asile des droits qui leur sont garantis.

Plus encore que les conditions pourtant sans cesse plus dégradées de l’accueil et des impasses budgétaires si permanentes qu’elles ne sauraient être involontaires, la fragilisation et la précarisation juridiques nées d’une volonté de plus en plus affirmée de contrôle des flux, plutôt que de protection des demandeurs d’asile, apparaissent, en effet, inquiétantes. Réduction des délais de recours, durcissement des conditions de recevabilité, développement continu de la procédure prioritaire et de la catégorie des « pays sûrs », préférence pour la protection subsidiaire, restriction d’accès aux droits sociaux…, la politique de l’asile tend à devenir une simple composante d’une politique migratoire qui cherche à l’instrumentaliser à d’autres fins que ce que veulent notre tradition et nos engagements internationaux.

En 2011, nous célébrerons les 60 ans de la convention de Genève. Il appartient à tous les acteurs de l’asile de se saisir ensemble de cette occasion pour, au-delà de la protestation, sans angélisme mais sans renier des valeurs essentielles au fondement de notre identité collective, présenter à l’opinion et aux responsables publics des propositions à hauteur de ce à quoi le peuple français s’oblige depuis 1793 : « Ami et allié naturel des peuples libres […] , il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté, il le refuse aux tyrans. » (3)

Notes

(1) Voir ASH n° 2653 du 2-04-2010, p. 44.

(2) Cette association, dont j’assure actuellement la présidence et qui suit près de 5 000 demandeurs d’asile, s’est lors du tournage délibérément effacée pour que ne s’exprime que la parole de ceux à qui elle n’est jamais donnée habituellement : « arrivants » et « accueillants ».

(3) Constitution du peuple français, art. 118 et 120.

Le point de vue de…

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur