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En toute franchise

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A Agen, l’Association de sauvegarde et de promotion de la personne s’est associée avec une entreprise à but lucratif pour développer un réseau de franchises à caractère social, AETES Environnement. Un mariage étonnant qui se veut promoteur d’insertion professionnelle, dans un secteur économique en plein essor : la propreté.

« Nous cherchons toujours à diversifier nos activités vers des marchés plus porteurs, mais nous travaillons essentiellement en sous-traitance, explique Nadine Nadaud, directrice de l’Avec 3N, une entreprise adaptée des environs de Limoges. Quand on nous a contactés pour nous parler du réseau AETES qui nous permettait de nous lancer sur un nouveau métier, la propreté, tout en étant accompagnés et formés, j’ai tout de suite été intéressée. » AETES Environnement (1) est en effet un réseau de franchises de propreté à objet social. Il a été cofondé en 2009 par un acteur du champ social et médico-social et par un partenaire à but lucratif : respectivement, l’Association de sauvegarde et de promotion de la personne (ASPP), implantée à Agen, et Augias, une entreprise de prestation de services de propreté. L’objectif étant de créer des activités de propreté dans des structures d’insertion par l’activité économique telles que des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et des entreprises adaptées ou d’insertion.

Au départ, l’idée d’un réseau de franchises a émergé dans le cadre de l’initiative Equal (2). « Nous rencontrions régulièrement nos alter ego européens impliqués dans l’insertion de personnes en difficulté, résume José Fernandez, directeur de l’ASPP, et nous avons réalisé que nous étions bien formés sur les problèmes sociaux mais que nous n’étions pas du tout des spécialistes de l’emploi. D’où l’idée de constituer un partenariat entre une entreprise ordinaire et une structure sociale. » Le secteur de la propreté est choisi pour plusieurs raisons : l’activité exige une main-d’œuvre abondante, non délocalisable, et un niveau de qualification relativement bas. « Avec les procédures actuelles, il n’est même pas nécessaire de savoir lire », souligne José Fernandez. De plus, compte tenu de la progression en cours de ce secteur, les personnels formés peuvent envisager de trouver facilement un emploi en milieu ordinaire. « Nous sommes là aussi pour faire sortir les gens vers des dispositifs de droit commun, rappelle le directeur. Or, chez nous comme ailleurs, seuls 1 % des salariés d’ESAT trouvent un poste dans une entreprise du secteur marchand. » La forte croissance de l’activité de nettoyage sur le marché français (+ 5 % par an depuis une dizaine d’années) représente en outre une garantie de ressources, en comparaison avec l’univers de la sous-traitance industrielle dans lequel les ESAT et les entreprises adaptées évoluent généralement.

Dans le courant 2005, l’ASPP crée donc au sein de son ESAT une équipe de propreté, Cart’Services. « Nous avions des chantiers de nettoyage en interne, explique Philippe Pasquis, le directeur de la structure, qui propose aussi ses services dans le conditionnement, la logistique et le bâtiment. Dès 2006, nous avons commencé à démarcher des entreprises. » Trois salariés volontaires de l’établissement et un moniteur se lancent dans l’aventure. « On travaillait un peu comme chacun fait du ménage à la maison, sans protocole particulier, avec du matériel ordinaire, des produits grand public », explique Bruno Conti, le superviseur de l’équipe, diplômé en gestion des établissements médico-sociaux et issu du secteur du bâtiment. De ce fait, l’activité se développe, mais les clients ne sont pas forcément très satisfaits. « A l’époque, j’étais moi-même client en tant que responsable du centre d’accueil pour demandeurs d’asile géré par l’ASPP, se souvient Jean-Pierre Lloret, éducateur spécialisé de formation, actuel directeur d’AETES. Je voyais bien que la qualité n’était pas au rendez-vous, les salariés interpellaient nos usagers dans la rue, dès que le moniteur avait le dos tourné ils posaient le balai, etc. J’avais l’impression qu’une entreprise externe ferait mieux. »

L’essor de Cart’Services

Cart’Services signe pourtant avec de nouveaux clients : des concessionnaires automobiles, un pâtissier industriel, l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), etc. Lesquels ont peut-être été séduits par le fait qu’employer l’équipe d’un ESAT les dispense de s’acquitter des pénalités dues par les entreprises ne respectant pas le quota d’emploi de personnes handicapées… Néanmoins, rapidement, l’équipe réunit neuf salariés et deux encadrants. Bien sûr, l’ESAT choisit ses chantiers afin de préserver pour les salariés des horaires décents : « L’équipe de Cart’Services, par exemple, ne travaille pas sur des chambres d’hôtel, où le temps passé dans chaque chambre est minuté, explique Jean-Pierre Lloret. Elle n’est pas disponible non plus pour des horaires de nuit ou de week-end. »

Pendant ce temps, la direction de l’ASPP se met en quête d’un partenaire commercial. « Il nous fallait trouver une entreprise qui affiche une vocation sociale compatible avec nos objectifs d’insertion, poursuit José Fernandez. Une structure qui soit intéressée par la création de synergies et par le transfert du savoir-faire. » En 2007, l’association entre en contact avec Augias. « C’est une entreprise avec une charte éthique concernant les relations humaines, qui ne brade pas ses prestations sur le dos des employés et qui, en outre, a mis en place une démarche environnementale qui nous intéressait », résume Jean-Pierre Lloret. L’ASPP trouve aussi parmi ses interlocuteurs un allié de poids en la personne de Jean-Christophe Champeil, directeur du développement d’Augias, qui a travaillé dans la formation et le conseil aux demandeurs d’emploi et aux travailleurs handicapés, et a été vice-président d’une entreprise d’insertion. Augias, qui existe alors depuis dix ans, fonctionne déjà sous le modèle de la franchise, avec un siège social installé en Moselle, et un réseau d’entreprises qui rayonnent essentiellement sur le quart nord-est de la France. Le principe de la franchise consiste à développer des entreprises indépendantes qui achètent, sous la forme d’une licence, un concept auprès de l’entreprise fondatrice du réseau. L’achat de la licence permet de bénéficier d’une formation, de l’accès à une centrale d’achat pour les fournitures, d’outils d’aide à la gestion, d’une signalétique commune et des retombées de l’image de marque… « Il nous a fallu une petite année pour avancer et déboucher sur la création du réseau AETES, se rappelle Jean-Christophe Champeil. Le temps que chacun voie comment l’autre fonctionne et que l’on saisisse bien dans quelle mesure notre concept pouvait s’adapter au secteur social. »

Le réseau, un vivier de candidats

Pour l’enseigne spécialisée dans la propreté, outre le développement d’un projet qui cadre avec son éthique professionnelle, AETES représente également un vivier de candidats : les salariés du réseau, qui auront été formés selon les procédures d’Augias, pourront à leur sortie du dispositif d’insertion trouver un emploi chez le franchiseur, actuellement en plein développement. Par ailleurs, devant la demande considérable en termes de services de propreté, les petites unités du réseau AETES, dont le nombre de places est limité, ne pourront répondre à toutes les demandes. « Nous sommes vraiment complémentaires, et si nous sommes contactés pour un chantier trop important, ou trop éloigné d’une des entreprises de notre territoire, il pourra être envisagé de sous-traiter auprès d’Augias, et vice versa », évoque Jean-Pierre Lloret. Le responsable du réseau envisage même l’amortissement de matériel : « Les entreprises d’insertion n’achèteront pas tout. Parfois, elles ont un besoin particulier pour un chantier, comme cela est arrivé très récemment à l’ESAT : il fallait une nacelle très étroite pour nettoyer une surface vitrée très haute. Augias peut alors mettre à notre disposition le matériel spécialisé dans lequel l’entreprise a investi. »

A la fin 2008, une formation est mise sur pied pour l’équipe Cart’Services. « Il fallait professionnaliser cet “atelier ménage” comme ils l’appelaient à l’époque, explique Jean-Christophe Champeil. L’idée était d’en faire la vitrine du réseau. Car, dans la franchise, il faut toujours montrer ce que l’on peut faire pour convaincre de nouveaux arrivants. » Les modules de formation sont très proches de ceux qui sont habituellement dispensés par le centre de formation d’Augias. « En fait, nos salariés sont assez proches, reconnaît Jean-Christophe Champeil. Beaucoup chez nous ne parlent pas très bien français ou présentent un niveau d’instruction très bas, ce qui implique une transmission des savoirs très concrète et peu de théorie. » Montrer les gestes qui aident à gagner en ergonomie, les faire répéter, faire tester les équipements spécifiques de ce secteur professionnel… les protocoles sont simplifiés à l’extrême. « Cela a été un apprentissage vraiment très concret, directement applicable et opérationnel, indique Hélène Garrigues, psychologue de l’ESAT. Ce qui a été transmis à tous, encadrants comme salariés, ce sont des modes opératoires, une façon de travailler, des repères très clairs qui stabilisent et sécurisent dans l’activité professionnelle. A tel point que, aujourd’hui, personne ne veut quitter cet atelier. » Lucile Bonson, 20 ans, qui fait partie de l’équipe, ne la contredit pas : « Moi, ce que je voulais, c’était travailler à la blanchisserie, mais après la formation c’est devenu plus simple qu’avant, et je suis restée au ménage parce que ça me plaît. »

Les encadrants apprécient aussi les nouvelles méthodes de travail : « Nous possédons désormais les gestes techniques, qui sont aussi des gestes simples, nous utilisons des produits codifiés par couleurs en fonction des surfaces à nettoyer », explique Sabrina Feugeret, monitrice. Surtout, ils voient évoluer positivement les salariés, vers davantage d’autonomie. « Je suis toujours présente auprès d’eux, bien sûr, mais dans l’équipe nettoyage plusieurs sont désormais capables de travailler seuls sur une demi-journée, sans difficulté », poursuit-elle. Comme le confirme Ode Aguila, 28 ans : « Chez Citroën, on est deux, et personne ne nous donne d’ordres. On se débrouille toutes seules. J’aime bien qu’il n’y ait pas un moniteur tout le temps derrière nous. » La jeune femme vient même de passer son permis et de tenter un stage en entreprise ordinaire, bien qu’elle ne semble pas encore prête à quitter le cocon de l’ESAT. « Bof, ça ne m’a pas plu », conclut-elle simplement.

Cart’Services s’est également doté d’équipements spécialisés. « On s’est rendu compte qu’on utilisait du matériel inadapté, des produits surdosés, raconte l’animateur du réseau. Maintenant, nous avons des balais avec des manches téléscopiques, des chariots plus légers, et on ne trimballe plus tout cela d’un chantier à un autre. On laisse le matériel sur place dans des locaux techniques. » Au passage, l’équipe recourt désormais uniquement à des produits d’entretien « bio », commandés auprès de la centrale d’achat d’Augias. Résultat, alors que, avant leur formation, les salariés de l’ESAT devaient se mettre à trois pour réaliser l’équivalent du travail produit par un employé d’Augias, le ratio est aujourd’hui descendu à 1,5 pour 1. Enfin, les compétences acquises permettent de valoriser les salariés. « Ils s’impliquent, sont fiers du travail effectué, et il n’y a pratiquement aucun absentéisme dans l’équipe de l’ESAT », souligne Jean-Pierre Lloret. Une des salariées a même formé des intérimaires qui intervenaient chez un de nos clients pendant les vacances d’été. Sarah Eraclas, 27 ans, membre de l’équipe propreté, ajoute : « C’est la satisfaction du client qui motive, sinon, refaire toujours la même chose, c’est difficile. Or quand on est passé et que c’est propre, ils nous disent qu’ils sont contents. »

L’intérêt des entreprises d’insertion

Au début 2009, le réseau est créé, détenu moitié-moitié par l’ASPP et par Augias. Quant à Jean-Pierre Lloret, il suit alors la formation des franchisés Augias. « Pour vendre le concept, il fallait bien que je sache de quoi je parle, résume-t-il. J’ai donc suivi les six semaines du cursus avec trois futurs franchisés d’Augias. Et j’ai beaucoup appris. » Les gestes techniques, la gestion, l’argumentaire commercial et l’art du devis n’ont plus de secret pour lui. De même que le vocabulaire de l’entreprise : « On ne dit pas “ménage”, mais “nettoyage” ou “propreté”, on ne dit pas “responsable d’atelier”, mais “responsable de site”, on ne dit pas “encadrant technique” mais “chef d’équipe”… » L’ancien éducateur faisant fonction de chef de service découvre ainsi l’univers de l’entreprise. Puis se lance dans la prospection.

« J’ai démarché au moins une centaine d’ESAT, pour comprendre qu’il y avait beaucoup d’inertie dans leur fonctionnement, souligne le responsable. Les budgets sont votés de manière annuelle, à chaque fois on me demandait de revenir l’année suivante. » A ce jour, seul un ESAT réfléchit à la faisabilité du projet. En revanche, du côté des entreprises d’insertion, l’adhésion est plus rapide. Quatre d’entre elles – à Strasbourg, Limoges, Tulle et Decazeville – ont déjà annoncé qu’elles intégreraient le réseau d’ici à la fin de l’année. Jean-Pierre Lloret les a reçues à Agen, leur a montré le travail réalisé par Cart’Services. « Nous nous sommes rendu compte que nos publics étaient relativement proches, constate Nadine Nadaud, de l’Avec 3N à Limoges. Les salariés de l’équipe nettoyage chez Cart’Services ne présentent pas de handicaps lourds. Notre public à nous est un peu plus autonome. » Jean-Pierre Lloret a également fourni à chacun de ses prospects intéressés une étude de leur marché local, et ils ont entrepris de démarcher leurs propres clients. « Nous avons déjà identifié deux entreprises qui nous confieraient du travail, poursuit Nadine Nadaud, avant même d’avoir acquis la licence. » Et trois autres entreprises d’insertion sont encore en réflexion. « L’investissement de départ est plus ou moins de 35 000 €, ce qui comprend l’achat de la licence (soit 20 000 €), de l’équipement, des produits, un peu de trésorerie pour démarrer. Et cela correspond à peu près aux aides que l’on peut trouver auprès de France Active et aux subventions diverses des conseils généraux et régionaux en faveur du secteur de l’insertion par l’économique », détaille Jean-Pierre Lloret.

En quête de nouveaux franchisés

A la fin de l’année, la première formation du réseau AETES devrait être dispensée aux premiers membres du réseau. « Pour 2011, ce sont encore les formateurs d’Augias qui interviendront, note encore le responsable. Ensuite, ce seront ceux de notre entreprise d’insertion, quand nous aurons acquis de l’expérience. » Car l’ASPP est en train de fonder sa propre entreprise d’insertion, censée ouvrir au début 2011 sur le secteur de Villeneuve-sur-Lot, à une vingtaine de kilomètres d’Agen. « Nous avons déjà sept lettres d’intention de clients, ce qui nous amène presque à notre seuil de rentabilité », s’enthousiasme Jean-Pierre Lloret, qui en sera le gérant. A terme, cette entreprise d’insertion devrait disposer d’une vingtaine de postes. Quant au réseau, pour assurer sa viabilité, il doit convaincre de nouveaux franchisés : outre l’achat de la licence, chacun d’eux rétrocède un pourcentage de son chiffre d’affaires à AETES Environnement. « Nous avons besoin de dix franchisés pour récupérer notre investissement, explique José Fernandez. Ce que nous devrions pouvoir réunir en un à deux ans. » Mais l’objectif final n’est pas de dégager du bénéfice. « Si nous en dégageons, cela permettra probablement juste d’amortir mon salaire », conclut Jean-Pierre Lloret. De quoi mieux faire passer l’idée de l’association entre lucratif et non lucratif, dans un secteur social où parler d’argent reste souvent tabou.

Notes

(1) AETES Environnement : 2 rue de Macayran – 47550 Boé – Tél. 0800 202 106 (numéro Vert) – info@aetes.net.

(2) Clôturée en 2008, l’initiative européenne Equal avait été lancée en 2001 afin de créer des activités expérimentales dans le domaine de l’emploi et du processus d’inclusion sociale et de les généraliser sous formes de bonnes pratiques.

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