L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une « dépense inflationniste systématiquement sous-évaluée ». Dans le projet de loi de finances pour 2011, la dépense de l’Etat au titre de l’allocation aux adultes handicapés est estimée à près de 7 milliards d’euros (1). Or 100 millions d’euros supplémentaires seront nécessaires l’an prochain pour financer la totalité de la dépense, estiment les sénateurs (UMP) Albéric de Montgolfier, Auguste Cazalet et Paul Blanc dans un rapport rendu public le 13 octobre (2). Rappelant que sa sous-évaluation pèse directement sur les comptes de la branche famille de la sécurité sociale (3), ils formulent trois propositions « pour une budgétisation plus sincère de la dépense d’AAH ».
Chaque année, le projet de loi de finances sous-évalue les crédits au regard des besoins réels. Or l’AAH est une prestation qui connaît une croissance soutenue (+ 39 % entre 2002 et 2009), résultant de la progression régulière du nombre de bénéficiaires. Ainsi, entre 1998 et 2011, leur nombre a augmenté de plus de 30 %, passant de 700 000 à 900 000. Depuis 2006, la progression est en moyenne toujours supérieure à 2 % par an. « A ce rythme, le million d’allocataires devrait être dépassé avant 2020 », chiffrent les sénateurs. Autre facteur de croissance de l’AAH : l’augmentation du montant mensuel moyen servi aux allocataires. D’environ 458 € en 1998, il devrait dépasser 635 € en 2011 (+ 38 %). Ce montant a connu une « nette inflexion à partir de 2008 », qui doit se poursuivre jusqu’en 2012 du fait du plan de revalorisation de l’AAH de 25 %. Aussi les sénateurs se montrent-ils très dubitatifs face à la prévision de 635 € inscrite dans le projet de loi de finances pour 2011 alors que le montant mensuel moyen d’AAH atteint déjà 625 € en 2010.
Après une accalmie en 2005 et 2006, le décalage entre prévision et exécution de la dépense d’AAH a recommencé à se creuser. On est ainsi passé d’un écart « contenu dans une fourchette acceptable » de 42 millions d’euros en 2006 à 404 millions d’euros en 2010, soulignent les sénateurs. « Si un dérapage ponctuel peut être toléré dès lors qu’il était imprévisible, il est patent que les conséquences du dynamisme de l’AAH n’ont pas été tirées en termes budgétaires », dénoncent-ils. Selon eux, « la croissance très linéaire de la dépense aurait pourtant dû permettre d’améliorer la qualité des prévisions ». Le montant des crédits inscrits dans le projet annuel de performance (4) doit correspondre, au minimum, à la tendance moyenne de progression de la dépense observée au cours des cinq exercices précédents, recommandent les élus. Et de justifier leur propos par l’exemple… Entre 2005 et 2010, la dépense d’AAH a progressé en moyenne de 5,75 % par an. En 2011, une augmentation dans les mêmes proportions conduirait à une dépense totale d’environ 7,038 milliards d’euros, soit près de 100 millions d’euros de plus que le montant inscrit dans le projet annuel de performance pour 2011.
Malgré tout, considèrent les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2011 « pourrait constituer un infléchissement de cette “politique de l’autruche” » avec « une sensible revalorisation qui devrait permettre de mieux couvrir les besoins réels » tout en restant « probablement insuffisante ».
« Les mesures d’économie, mises en avant dans chaque projet annuel de performance, n’ont jamais été confirmées. Quand bien même elles auraient été réalisées, leur montant n’aurait jamais suffi à compenser la progression constatée de la dépense », dénoncent encore les trois parlementaires. A ce titre, ils soulignent l’absence d’estimation « sérieuse »des effets des modifications législatives et réglementaires, en particulier de la suppression de la condition d’inactivité de un an. C’est pourquoi « les documents annexés au projet de loi de finances devraient faire preuve de la plus grande prudence dans le chiffrage des économies attendues ». Ils recommandent donc d’« élaborer le budget sans tenir compte d’éventuelles économies qui, les années précédentes, ne se sont jamais réalisées ». Rappelons d’ailleurs que le projet de loi de finances pour 2011 table sur 47 millions d’économies… liées notamment à la mise en œuvre de la révision trimestrielle des ressources des bénéficiaires qui exercent une activité professionnelle.
Enfin, les sénateurs jugent « urgent » que le gouvernement mette en place le système de suivi statistique de l’insertion professionnelle des personnes handicapées créé par la loi « handicap » du 11 février 2005, système qui, selon eux, « apporterait des données essentielles d’appréciation de la réforme de l’AAH ». Annoncée lors de la conférence nationale du handicap en juin 2008, cette réforme permettrait non seulement de mieux maîtriser les coûts de cette allocation mais aussi d’accompagner les bénéficiaires vers la reprise d’emploi. Les sénateurs formulent plusieurs propositions pour la faire aboutir (voir ci-dessous).
(2) Rapport d’information sur l’évaluation des coûts de l’allocation aux adultes handicapés – Octobre 2010 – Disponible sur
(3) L’AAH étant versée aux personnes handicapées par les caisses d’allocations familiales, un transfert financier est réalisé entre le budget de l’Etat et la branche famille. Un abondement systématique en loi de finances rectificative de fin d’année ainsi que des mesures de fongibilité évitent la formation de dettes de l’Etat à l’égard de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Néanmoins, la sous-estimation de la dépense d’AAH dans la loi de finances initiale constitue une charge de trésorerie pour la CNAF dans la mesure où, en attendant la régularisation de fin d’année, elle est contrainte d’inscrire la somme manquante dans son découvert de trésorerie. Une somme qui représente en 2010 environ 0,8 % des 50 milliards de découvert de trésorerie global des régimes de sécurité sociale.
(4) Annexé au projet de loi de finances, le projet annuel de performance retrace, pour chaque programme, la stratégie et les objectifs poursuivis et permet, grâce à une analyse des coûts, une meilleure compréhension de la dépense.