« Derrière le sujet, qui questionnait l’évolution de l’éducation populaire, aux contours flous mais porteuse d’un formidable élan social, se pose bien évidemment le problème du secteur social, en quête de sens et de projet. On pourrait dire que ce n’est pas par l’éducation populaire en tant que telle que le “social” serait attiré, mais par son “fantôme”.
Pourtant les difficultés qui affectent les deux secteurs sont de même nature : économies, management, dérèglementation et hyperspécialisation des intervenants, parcellisation et morcellement de l’offre, marchandisation de segments entiers de l’intervention, etc. Leur rapprochement proviendrait-il ainsi de maux communs ? Cela semble évident, mais il y a plus : la question de la collectivité, de la communauté et du “vivre ensemble”.
Il devient très difficile aujourd’hui pour les acteurs sociaux de trouver du sens à leur travail quand il ne s’agit plus que de gérer des parcours individuels. Où est passé le collectif en travail social ? Que reste-t-il de nos internats, du temps nécessaire pour vivre avec les bénéficiaires et les jeunes ? Que reste-t-il d’ailleurs du vivre ensemble quand les travailleurs sociaux sont sans cesse poussés à prendre de la distance, mesurer le moindre acte, agir avec l’obsession de la sécurité, orienter au moindre doute ?
Aujourd’hui, l’individualisation des prises en charge est devenue une prison commune. Il est difficile, au milieu de tous ces accompagnements individualisés, fragmentés, de faire encore équipe. S’écoute-t-on encore dans une même équipe ? Peut-on parler librement en réunion ? L’individualisation à outrance favorise la bureaucratie, la hiérarchie, la concurrence mais est difficilement compatible avec le travail d’équipe et le pouvoir d’imaginer et de prendre des risques.
Il en est évidemment de même dans nombre de structures qui relèvent de l’esprit de l’éducation populaire : coincés dans des activités et des plannings, que sont devenus tant de centres sociaux ? On programme une offre chatoyante, on ouvre quelques permanences de travailleurs sociaux mais, dans nombre de structures, on est bien loin de l’idéal d’une maison commune, d’une ouverture sur le quartier, d’un travail dans les espaces publics. Les maisons des jeunes ont suivi pour beaucoup aussi la même dérive. Nombre d’entre elles sont devenues des lieux de consommation de cours à la carte !
N’oublions pas non plus au passage de redire cette vérité si dérangeante que nombre d’enfants dont les parents ne travaillent pas ou sont au chômage ne sont pas prioritaires, voire sont écartés ou sujets à des majorations financières pour fréquenter les garderies, les cantines, les centres de loisirs dans tant de villes de banlieue !
Entre le social qui cible, qui trie, qui priorise, et le secteur de l’éducation populaire qui offre des prestations “à la carte”, où est donc passée la question du collectif et du “faire société” ? Où sont les actions qui s’adressent à tous de manière inconditionnelle ?
En pédagogie sociale, en travail de rue, des associations, comme Intermèdes Robinson, mettent en œuvre un accueil direct au pied des immeubles et dans les espaces publics. Le mot d’ordre est le refus du tri, l’accueil inconditionnel. De telles pratiques, regroupées aujourd’hui dans un “chantier de pédagogie sociale” (3), ne concernent pas seulement les enfants ; les parents aussi ne tardent pas à venir. Et de quoi témoignent-ils ? De l’éloignement des institutions, de leur difficulté, voire de leur impossibilité à trouver une place dans les structures censées accueillir tous les publics, de leurs difficultés de relation et de communication avec les professionnels sociaux.
Notre époque a besoin de retisser des liens. Il est nécessaire aujourd’hui de réinventer des modes d’intervention ouverts à tous mais répondant néanmoins aux besoins de ceux qui sont le plus isolés et abandonnés. Ce qui peut réunir aujourd’hui l’éducation populaire et le travail social, c’est une pédagogie, une philosophie de l’intervention basée sur l’accueil, le mélange des publics et le travail éducatif dans la durée. De telles actions existent et pas seulement à Longjumeau. Toutes ont pourtant en commun de subir une véritable précarité imposée par les modes de financement, remis en cause chaque année.
Il y a aujourd’hui urgence à concrétiser une nouvelle politique d’éducation populaire, accessible et durable. Les modes d’intervention sont connus. Qui les soutiendra ? »
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