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Les CADA : insertion ou surveillance ?

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Les modification des règles de l’asile ont entraîné une réforme en profondeur du fonctionnement des centres d’accueil pour les demandeurs. Nées de démarches associatives, ces structures sont désormais sous la tutelle des préfets et doivent composer avec l’exigence d’une accélération des sorties des demandeurs d’asile. Une évolution qui met en porte-à-faux les travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement social.

Certains directeurs de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ont le sentiment « d’avoir basculé de l’action sociale vers une tout autre culture qu’ils ne maîtrisent pas », tandis que les associations d’aide aux réfugiés et aux migrants parlent de « malaise des professionnels de l’asile ». Sophie Alary, responsable du service des missions à la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), évo­que, quant à elle, « des divergences importantes entre les missions demandées aux CADA et la réalité vécue par les personnels ».

A l’origine de ce décalage, la réforme du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile engagée par l’Etat en 2003 (1) pour se conformer à la directive européenne prévoyant que tout candidat au statut de réfugié doit disposer d’un hébergement digne (2). Entre 2003 et 2008, 15 000 nouvelles places de CADA vont être ainsi créées, portant le parc à plus de 20 000 places. Mais, dans le même temps, les modalités d’accueil vont être entièrement revues. En 2006, avec la loi du 24 juillet sur l’immigration et l’intégration (3), les CADA quittent leur statut de centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour devenir une nouvelle catégorie d’institutions médico-sociales. Placés sous la tutelle du préfet, ils accueillent exclusivement des demandeurs d’asile munis d’un titre de séjour et ne peuvent plus maintenir les déboutés ou les réfugiés statutaires au-delà d’un délai de un mois. En 2007, l’orientation même du dispositif est changée. Alors qu’auparavant un demandeur d’asile pouvait se loger par ses propres moyens, désormais l’octroi de l’allocation d’attente est réservé à ceux qui acceptent un logement en CADA proposé par le préfet (4). Une mesure jugée à l’époque inapplicable par les acteurs de l’asile, tant les 274 centres d’accueil semblaient insuffisants face aux 30 000 primo-demandeurs d’asile, sans compter les dossiers en cours d’examen.

De fait, la Fnars observe qu’à ce jour seulement 65 % des demandeurs d’asile peuvent espérer trouver une place, « pour un objectif affiché par le gouvernement de 90 % ». Cette situation est d’autant plus préoccupante, estime la fédération, que l’on assiste à une augmentation de 20 % de la demande d’asile chaque année depuis 2008. Conséquence : faute de places, la rue s’est mise à accueillir de nombreuses personnes en attente d’une décision administrative. « Même si on rencontre parmi elles principalement des personnes isolées, on voit de plus en plus de familles. Ce n’était pas le cas il y a moins de deux ans », assure la Fnars.

Sur le terrain, on cherche des repères. Philippe Ellias, directeur du CADA Claude-Quancard, à Villenave-d’Ornon (Gironde), le premier centre à avoir ouvert en France (1991), mesure la distance parcourue en quelques années : « Lorsque le dispositif était assimilé aux CHRS, nous étions inscrits dans le paysage social local en tant que partenaire associé du parcours de l’usager. Nos interlocuteurs de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales connaissaient bien l’action sociale. Aujourd’hui, nous sommes face à des préfets qui n’ont pas cette culture et qui, en plus de la responsabilité des dispositifs, gèrent l’admission ou l’expulsion du territoire. » Le paradoxe, c’est que les CADA sont restés des structures soumises à la loi 2002-2 et enracinées dans l’action sociale, explique Philippe Ellias. Outre le suivi socio-administratif du demandeur d’asile, leurs missions englobent l’organisation de la scolarisation des enfants, l’aide aux démarches liées à la santé et la mise en place d’activités de loisirs. « Dans les faits, les établissements vont au-delà de ces attributions, commente-t-il. L’accompagnement social dans nos centres revient à remettre les gens dans une situation de respect et de dignité, à les accompagner juridiquement et à leur donner quelques repères sur la société française qui leur permettront de mieux rebondir quel que soit leur avenir. »

Contrôle renforcé

L’accélération des procédures d’asile souhaitée par le gouvernement et de nouveaux instruments de contrôle remettent en cause ce travail, estiment les associations. La FNARS et la Cimade ont déposé, le 3 août 2009, un recours devant le Conseil d’Etat contre le déploiement national d’un logiciel de gestion de l’offre et de la demande de places en CADA, le DN@, censé fluidifier la gestion des places, mais qui entraîne une concentration des informations. « Le gestionnaire d’un centre doit y rentrer des données sur la procédure d’asile, le suivi sanitaire et social des personnes et la sortie du centre. Autant d’éléments qui peuvent porter atteinte aux droits et libertés tels que prévus par la loi informatique et libertés. La somme des informations recueillies permet en outre de créer des tableaux de bord et des indicateurs utiles aux services du ministère pour vérifier la situation de chaque institution et contrôler combien de personnes déboutées du droit d’asile s’y trouvent », explique Laura Charrier, chargée de mission « réfugiés migrants, urgence et veille sociale » à la FNARS.

Quant aux travailleurs sociaux, avec l’obligation de procéder à la sortie des demandeurs d’asile déboutés sous un délai de un mois, ils voient durcir leur mission. « Comment pousser dehors des familles hébergées parfois depuis des années avec leurs enfants scolarisés, alors que nous savons pertinemment qu’il n’y a pratiquement aucune solution d’hébergement derrière et qu’on nous dit qu’il n’appartient pas à l’Etat de loger ces publics ? », s’interroge Jean-Marie Boutiflat, directeur de l’association Toits du monde, gestionnaire d’un CADA à Fleury-les-Aubrais (Loiret). L’Office français de l’immigration et de l’intégration comptabilise d’ailleurs près de 10 % des places de CADA « occupées indûment » en 2008. « Depuis que nous sommes sortis du dispositif des CHRS, l’accueil inconditionnel n’existe plus pour les centres et toute tentative de maintenir ces personnes, le temps de trouver une solution, nous expose à des mesures coercitives », témoigne Jean-Marie Boutiflat.

Son établissement a reçu en août 2009 une mise en demeure lui accordant six mois pour déloger six familles déboutées, soit 22 personnes. Le préfet menaçait d’engager un retrait d’habilitation. Le choix de l’association a été de refuser cette injonction en rappelant sa position de ne pro­céder à aucune sortie sans perspective d’hébergement digne derrière. « Cela fait partie d’une posture de travailleur social et d’une éthique à l’égard de nos usagers que d’assurer leur suivi jusqu’au bout, surtout quand la connaissance de leur histoire autorise à affirmer qu’ils méritent d’être maintenus sur le territoire français », soutient Jean-Marie Boutiflat. Les six familles sont restées, et un an après, deux d’entre elles sont toujours hébergées dans l’attente d’une régularisation. D’autres centres n’ont pas eu cette latitude. Ainsi le CADA géré par l’association La Charmille, à Bourges (Cher), s’est vu retirer, en 2009, 70 000 € sur sa dotation globale en raison de sa propension à maintenir une popu­lation de déboutés. La brutalité de l’opération, réalisée sur l’exercice en cours, a conduit l’association à dénoncer la convention qui la liait au préfet. « Une cinquantaine de personnes se sont retrouvées à la rue sans aucune solution. A Bourges, on compte des dizaines de déboutés qui vivent aux crochets des bonnes œuvres dans une situation de précarité extrême, sans rien d’autre à faire qu’à attendre », s’offusque un travailleur social de La Charmille.

Même des opérateurs compétents sur l’ensemble du parcours du demandeur d’asile avouent pâtir de la situation. A l’image de l’association Foyer Notre-Dame, à Strasbourg (Bas-Rhin), qui gère un pôle comprenant une plate-forme d’accueil pour demandeurs d’asile, une structure d’hébergement d’urgence accueillant jusqu’à une centaine de personnes et un CADA de 285 places. Ce dispositif global permet au foyer d’intervenir dès le premier accueil en liaison avec la préfecture (diagnostic des besoins, mise à l’abri, aide à la régularisation) et, une fois l’autorisation provisoire de séjour délivrée au demandeur d’asile, de l’accompagner en CADA. Confrontée elle aussi à la difficulté de faire sortir des familles déboutées après une durée moyenne de séjour de 25 mois, l’association s’est engagée dans le développement d’accueils temporaires venant prolonger l’hébergement. « L’idée est que toutes les familles déboutées entament systématiquement une démarche de régularisation provisoire de séjour [5], ce qui nous évite de les expulser », explique Cathy Gesthaz, directrice du pôle « asile-réfugiés » du Foyer Notre-Dame. Le dispositif, composé d’une trentaine de logements, est rattaché à la direction départementale de la cohésion sociale et non à la préfecture, « ce qui nous permet de basculer les fa­milles à la sortie du centre d’accueil et de continuer auprès d’elles un travail d’accompagnement social ».

Des contradictions permanentes

Pour autant, la solution a, elle aussi, ses limites. Avec aujourd’hui 150 personnes accueillies pour une capacité autorisée de 120 places, des familles doivent désormais se partager le même logement. « Certains usagers peuvent y résider des années en raison de la lenteur des procédures. Et lorsque les gens obtiennent leur régularisation, nous devons composer avec les incohérences de la préfecture qui ne leur donne pas le droit au travail, explique Cathy Gesthaz. Ce sont des conditions très difficiles ».

Pour Corine Bartier, directrice générale de l’association Foyer Notre-Dame, les contradictions sont permanentes. « La loi 2002-2 nous donne des repères – le conseil de vie sociale, le contrat de séjour, les recommandations de bonnes pratiques sur la bientraitance – sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour que l’accueil des demandeurs d’asile en CADA soit le meilleur possible. Dans le même temps, les directives ministérielles nous placent continuellement en porte-à-faux en nous demandant, par exemple, de remettre en cause le principe de confidentialité de l’accompagnement social, inscrit dans la loi. »

Afin de faire face à l’augmentation de la demande d’asile, un millier de places supplémentaires ont été créées en 2010, portant à 21 410 places le dispositif des CADA (6). Sans parvenir à atténuer la bronca des associations. « Ces places représentent un effort budgétaire de 3,5 % par rapport à 2009. Dans le même temps les crédits alloués à l’hébergement d’urgence, relais indispensable des CADA, ont diminué de 58 % », précise Sophie Alary.

Par endroits, certaines situations sont devenues critiques. Comme dans les Alpes-Maritimes, où un arrêté préfectoral a mis fin, en juin dernier, au financement de tout nouvel hébergement de familles primo-arrivantes. A l’association ALC (Accompagnement lieu d’accueil), qui développe depuis huit ans sur Nice un service d’accueil et d’orientation des demandeurs d’asile, composé d’une plate-forme de coordination, d’un CADA, et d’un dispositif d’accompagnement vers le relogement des personnes ayant obtenu leur statut de réfugié, on ne cache pas son inquiétude. « Si on peut comprendre une volonté de réduire les flux migratoires, très importants dans le département, la décision a été prise sans qu’aucun relais ne soit étudié avec les départements voisins. Cette mise sous tension soudaine du dispositif d’urgence démontre que les priorités des pouvoirs publics sont difficilement conciliables avec la conception de l’accompagnement des associations, qui se basent sur la convention de Genève et les normes minimales d’accueil en Europe », explique Isabelle Philippe, chef de service à l’ALC. Avec les premiers signalements d’enfants en danger dans la rue, cette association estime que sa plate-forme d’orientation ne peut déjà plus faire face à ses missions, avec seulement quatre travailleurs sociaux équivalents temps plein pour une file active de près de 3 000 demandeurs d’asile, et indique « se préparer à des réajustements financiers » pour son CADA. « La concertation entre institutionnels et associations est devenue une priorité absolue, assure Isabelle Philippe. Tant qu’on n’arrivera pas à se mettre autour d’une table pour s’accorder sur les normes et les valeurs qui fondent l’accueil, on ne pourra pas parler d’articulation entre les uns et les autres et nous resterons dans une méfiance mutuelle. »

Du côté du ministère de l’Immigration, on se dit conscient des difficultés. « De 2004 à 2007, la France a enregistré une baisse de la demande d’asile de l’ordre de 50 %, alors que de 2007 à 2010, le phénomène a été exactement inverse avec une augmentation de plus de 50 %. Nous sommes devenus le premier pays d’asile au niveau européen et le second au niveau mondial après les Etats-Unis. Sur un budget annuel du ministère de 600 millions d’euros, plus de 350 millions sont consacrés aux demandeurs d’asile », souligne Brigitte Frenais-Chamaillard, chef du service de l’asile au ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire (7). Selon elle, l’augmentation du flux des demandeurs aurait pour effet de rallonger la durée de traitement des dossiers de demande d’asile, qui atteint aujourd’hui 19 mois en moyenne, et de provoquer un engorgement des dispositifs par manque de rotation des places. Pour y remédier, le ministère assure « déployer des efforts pour améliorer la quantité et la qualité des décisions prises au niveau de la Cour nationale du droit d’asile [CNDA], notamment en professionnalisant ses mem­bres » (8). Parallèlement, un travail interministériel renforcé est engagé avec le secrétariat d’Etat au logement, assure Brigitte Frenais-Chamaillard. « A ce titre, nous sollicitons les préfets pour qu’ils s’associent très étroitement à l’élaboration des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion pour l’accès au logement des personnes sans domicile. »

Il n’empêche, c’est bien sur un tout autre registre que se situent les acteurs du terrain, qui font remarquer que jamais au plus haut de la demande d’asile, entre 2002 et 2004, les problèmes ne s’étaient posés avec une telle acuité. Alors que certaines régions concentrent l’essentiel de l’augmentation des flux, « aucun pilotage clair n’est mis en place au niveau national, régional ou départemental », dénonce la FNARS, qui pointe la désorganisation devant laquelle se trouvent les structures, et les répercussions graves dans la prise en charge des demandeurs d’asile. « Aujourd’hui, le pi­lotage des dispositifs est scindé entre la cohésion sociale, qui gère l’hébergement d’urgence et les CHRS, et le ministère de l’Immigration, qui se charge des CADA et des plates-formes d’accueil pour les demandeurs d’asile. Nous demandons un diagnostic global des besoins d’hébergement pour toutes ces populations, et pas seulement les demandeurs d’asile d’un côté et les publics de l’action sociale de l’autre », revendique Sophie Alary.

Par ailleurs, le 20 novembre 2009, la FNARS, le GISTI et la Cimade ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat contre la circulaire du 24 juillet 2008 qui prévoit que les CADA peuvent voir diminuer leur dotation en cas d’hébergement de personnes présentes indûment dans les structures. Pour la Coordination française pour le droit de l’asile (CFDA), la demande d’accélé­ration des sorties qui est faite aux centres reflète « une méconnaissance, voire une négation de la mission d’accompagnement social et du rôle du travailleur social ». Preuve de la tension qui règne, un vade-mecum est diffusé à l’attention des gestionnaires en leur rappelant point par point leurs prérogatives en matière de contrôle de police, dans et hors l’établissement, et en les appelant à la vigilance sur tout ce qui pourrait se transformer en outil de repérage des populations hébergées lors de la transmission d’informations (9).

Pour la Cimade, le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est à la croisée des chemins : « Soit il reste un instrument d’insertion des demandeurs d’asile, soit il devient, et ce malgré la volonté des acteurs, un dispositif de quarantaine, de surveillance voire d’assi­gnation à résidence, comme c’est le cas en Allemagne. » Et les dernières nouvelles ne sont guère encourageantes, ajoute Jean-Marie Boutiflat depuis son établissement du Loiret : « Les éléments bud­gétaires communiqués par le ministère pour 2011 affichent une baisse de 1,8 % de la dotation des CADA et de plus de 40 % des plates-formes d’accueil. Cela ressemble à une volonté de dissuader les candidats à la demande d’asile. »

L’OFII, NOUVEL ACTEUR CENTRAL DE LA DEMANDE D’ASILE

L’histoire récente du pilotage de la demande d’asile est jalonnée d’organismes qui incarnent chacun des doctrines politiques très différentes. Jusqu’en 2005, ce pilotage est confié à l’Office des migrations internationales, qui concentre son action sur la lutte contre la main-d’œuvre étrangère clandestine, le retour des étrangers chômeurs dans leur pays d’origine, et la mise en œuvre du regroupement familial. En 2005, l’établissement public change de nom et devient l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), marquant un virage de la doctrine de l’Etat initié par Jacques Chirac. Désormais, les étrangers qui sont autorisés à séjourner en France doivent être pris en charge par la puissance publique « afin de faciliter leur intégration à la société française ». L’ANAEM s’adjoint pour cela de nouvelles missions de suivi des mesures d’accueil et d’intégration des étrangers, et se voit parallèlement confier la coordination des places dans les CADA, jusqu’alors assurée par France terre d’asile.

En 2009, à la suite de la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, nouveau changement de cap. L’ANAEM fait place à son tour à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). La nouvelle entité incarne la volonté du gouvernement de contrôler de bout en bout le processus de la demande d’asile. En plus des activités de l’ANAEM, l’office reprend les compétences de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) sur la formation linguistique des étrangers, et reçoit, le 1er janvier dernier, la responsabilité du dispositif de premier accueil des demandeurs d’asile (plates-formes d’accueil et centres provisoires d’hébergement), dernière mission qu’il assure soit en gestion directe, soit en conventionnant des opérateurs privés.

Une reprise en main de grande ampleur qui préoccupe d’autant plus les collectifs associatifs qu’elle s’inscrit dans la suite du passage des CADA sous la tutelle des préfets. Le directeur général de l’OFII, Jean Godfroid, ancien préfet, ne cache d’ailleurs pas qu’il a la mission de rationaliser le fonctionnement du dispositif national d’accueil. « Dans la mesure où plus de 350 millions d’euros sont affectés à l’asile, il existe une volonté forte de rendre compte de manière claire et transparente non seulement du qualitatif, mais également du quantitatif des actions financées », explique-t-il (10). De fait, après la centralisation informatique des places en CADA, engagée dès 2009, l’office indique lancer en 2010 un audit des pratiques relevées sur le terrain. « C’est sur cette base objective que pourront se mettre en place des procédures d’allocation de moyens permettant de configurer très exactement les dispositifs, préciseJean Godfroid. L’action associative a le mérite de la spontanéité, mais aujourd’hui, c’est le flou, et derrière ce flou on trouve de l’inéquité et une multiplication des procès d’intention. »

DES TRAVAILLEURS SOCIAUX PRIS ENTRE DEUX FEUX

Comment les travailleurs sociaux engagés dans l’assistance aux demandeurs d’asile intègrent-ils les nouvelles missions qui leur sont confiées par les pouvoirs publics ? La question que s’est posée Jérôme Valluy, sociologue, chercheur au CNRS, en enquêtant dans les CADA (11), éclaire la nature du malaise des professionnels. Son premier constat est en effet celui d’un univers très varié, allant de la petite association de quartier jusqu’à la grande entreprise associative d’hôtellerie sociale, caractérisé par des mentalités, des cultures et des façons de fonctionner « qui se ressemblent à peine ». Cependant, par-delà cette diversité, tous les travailleurs sociaux en CADA sont confrontés aux mêmes problématiques liées à la politique de l’asile (admission, conseil juridique, sorties des réfugiés ou des déboutés), qui « les réunissent en un monde commun et les rapprochent des fonctionnaires de l’Etat dont ils intériorisent les manières d’appréhender la demande d’asile ».

Cette assimilation aux commandes de l’administration commence dès l’admission, où, face à l’afflux des demandes d’entrée, « des critères implicites de sélection » peuvent être mis en place, notamment en privilégiant les personnes les plus susceptibles d’être reconnues réfugiées. Elle se prolonge ensuite dans l’accompagnement juridique des résidents. Une mission, précise le chercheur, « qui s’est progressivement élargie à l’ensemble des relations que ces personnes ont à nouer avec l’extérieur », en englobant les démarches à la préfecture pour le titre de séjour, la constitution du dossier de demande d’asile, la préparation aux auditions devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile, etc. Au point que, aujourd’hui, « arriver à penser comme les fonctionnaires de ces administrations devient une condition d’efficacité ».

La gestion répétée des sorties des déboutés joue elle aussi dans cette acclimatation. « “Sortie de CADA” signifie, pour ces acteurs associatifs, expulsion plus ou moins forcée de personnes qu’ils ont aidées et soutenues pendant des mois, voire des années. » Une situation doublement difficile, car il revient aux travailleurs sociaux « de convaincre ces personnes qu’ils ont accompagnées dans la perspective d’une insertion sociale d’accepter l’exclusion sociale que le dispositif CADA ne faisait que masquer ». Et plus les statistiques de rejets des demandes d’asile augmentent, explique Jérôme Valluy, « plus la préparation à l’acceptation de la décision finale devient ? l’une des fonctionnalités principales de l’accompagnement de la demande d’asile ». Résultat : le chercheur voit des travailleurs sociaux pris entre leur culture et la nécessité de conserver aux décisions de rejet « une valeur morale suffisante » pour assumer la procédure de sortie du débouté. Plusieurs travailleurs sociaux interrogés dans le cadre de cette recherche ont ainsi indiqué « faire attention à ne pas trop se lier avec les demandeurs d’asile » pour ne pas avoir à souffrir de l’issue probable. De même, des gestionnaires de centres ont reconnu « modérer » les activités culturelles ou festives, susceptibles de « renforcer la cohésion sociale des résidents » et « de faire courir le risque de dynamiques de groupe en résistance aux sorties de CADA ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2340 du 2-01-04, p. 29

(2) Directive sur les normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile du 27 janvier 2003. Celle-ci garantit des standards minimaux pour l’accueil des demandeurs d’asile, notamment en matière de logement, d’éducation et de santé – Voir ASH n° 2298 du 14-02-03, p. 8.

(3) Voir ASH n° 2479 du 17-11-06, p. 19.

(4) Selon la circulaire du 3 mai 2007 relative aux modalités d’admission et de sortie de ces centres – Voir ASH n° 2510 du 1-06-07, p. 17.

(5) Le préfet du département, saisi par un débouté, peut accorder de façon discrétionnaire une régularisation provisoire de séjour. Celle-ci ouvre droit en principe au travail et à certaines prestations sociales et familiales, à l’exception du RSA.

(6) Chiffre maintenu en 2011 – Voir le projet de loi de finances 2011, dans ce numéro, p. 47.

(7) Lors de la journée nationale de la FNARS « Demandeurs d’asile : Quel accueil et quel accompagnement ? », organisée le 1er juillet dernier à Paris.

(8) Un récent rapport d’information sénatorial met par ailleurs en lumière les conséquences budgétaires des délais de traitement des dossiers par la CNDA. Pour ses auteurs, l’absence de délai imposé au requérant devant l’instance pour déposer une demande d’aide juridictionnelle est responsable d’une grande partie de l’allongement de ces délais de traitement. Un délai de un mois à compter de la transmission de l’accusé de réception du recours devrait, selon eux, être imposé pour déposer une telle demande – La CNDA : une juridiction neuve, confrontée à des problèmes récurrents – Disponible sur www.senat.fr/rap/r10-009/r10-009.html.

(9) « Que dois-je faire ? » – Vade-mecum conçu par la Fédération entraide protestante, la FNARS, la Cimade, le Secours catholique et Emmaüs. Disponible sur les sites Internet respectifs de ces organisations.

(10) Lors de la journée nationale de la FNARS « Demandeurs d’asile : Quel accueil et quel accompagnement ? », le 1er juillet 2010 à Paris.

(11) L’accueil étatisé des demandeurs d’asile : de l’enrôlement dans les politiques publiques à l’affaiblissement des mobilisations de soutien aux exilés – Jérôme Valluy – Etude disponible sur www.reseau-terra.eu.

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