Quatre jours avant la journée mondiale du refus de la misère du 17 octobre, le ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, a fait le point sur l’état de la pauvreté en France et formulé une série de propositions « pour aller plus loin » dans la lutte. Une initiative qui intervient également à quelques semaines de la cérémonie de clôture, le 30 novembre, de l’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Pour le ministre, le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps (1) – le principal indicateur de pauvreté – « évolue de manière favorable » entre 2006 et 2008 (2), ce qui rend « accessible » l’objectif de réduction de la pauvreté d’un tiers en cinq ans, fixé par Nicolas Sarkozy en 2007 et inscrit dans la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active (RSA). « La plupart des autres indicateurs évoluent assez peu, malgré le début de la crise mondiale. On peut dans ce sens considérer que les “stabilisateurs sociaux” ont fonctionné », a-t-il précisé. Toutefois, a ajouté Marc-Philippe Daubresse, dans la mesure où ces données sont anciennes et « prennent insuffisamment en compte certaines données essentielles à la vie quotidienne de nos concitoyens (par exemple, la notion de reste à vivre) » (3), « la pauvreté ressentie (notamment par les associations) peut être plus importante que celle dont témoignent les chiffres ».
« La pauvreté monétaire pour les catégories d’âge les plus touchées est en amélioration », s’est aussi félicité le ministre. Ainsi, pour les enfants, le taux de pauvreté monétaire a diminué de 12,4 % entre 2006 et 2008, celui des jeunes âgés de 18 à 24 ans de 12 % et celui des personnes âgées (65 ans et plus) de 13,1 %. Le taux de « difficultés de conditions de vie » a également baissé de 0,4 point entre 2005 et 2008. En revanche, « l’emploi subit les premiers effets de la crise », constate Marc-Philippe Daubresse. A titre d’exemple, la part des personnes travaillant à temps partiel et disponibles pour travailler plus a « légèrement augmenté entre 2008 et 2009 (+ 0,7 point), pour atteindre 5,5 % ». Et la part des jeunes en emploi ou en formation a diminué de 1,6 point sur la période 2006-2009. Côté logement, le taux d’effort médian (loyer sur revenu) des bénéficiaires de l’allocation logement a diminué de 0,2 point entre 2008 et 2009, pour atteindre 18,7 %. Par ailleurs, la part des personnes relogées parmi les personnes jugées prioritaires par les commissions de médiation « DALO » et n’ayant pas refusé l’offre a progressé de 19 points, pour s’élever à 52 %.
Au regard de ces premiers résultats, en 2007, la France se situait dans le groupe des pays européens connaissant à la fois un niveau « relativement faible » de taux de pauvreté monétaire relatif (13,4 %) et de taux de pauvreté et d’exclusion tel que défini au niveau européen (19,1 %), tous deux « nettement inférieurs aux niveaux moyens observés en Europe » (respectivement de 16,6 % et 24,5 %).
Le rapport sur les conditions de réalisation de l’objectif de réduction de la pauvreté – qui sera présenté lors de la séance d’installation du nouveau Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) (4) « autour du 10 novembre » – doit apporter des chiffres plus récents et plus précis, a indiqué le ministre. Sans l’attendre, il a d’ores et déjà annoncé qu’une première vague d’enquêtes sur des « indicateurs plus réactifs » (nombre de bénéficiaires des tarifs de première nécessité EDF ou de l’aide juridictionnelle, demandes d’hébergement auprès du 115…) devait être engagée en novembre. Ses résultats devraient être « disponibles au premier trimestre 2011 ». En outre, Marc-Philippe Daubresse lancera au début de l’année prochaine une réflexion sur la notion de « reste à vivre » afin de « trouver des indicateurs plus proches de ce que les gens ressentent effectivement de leur situation ». Le CNLE, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) et la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques seront ainsi mis à contribution pour élaborer des « indicateurs ad hoc ».
Le ministre des Solidarités actives a par ailleurs présenté ses pistes d’actions pour contribuer à la réduction de la pauvreté. Au programme, notamment : la poursuite du développement du RSA dans les départements d’outre-mer et en faveur des jeunes ; la mobilisation des acteurs de l’insertion autour de stratégies territoriales coordonnées dans le cadre des pactes territoriaux d’insertion qui peuvent être conclus entre l’Etat et les conseils généraux (5). Sur ce dernier point, Marc-Philippe Daubresse a annoncé qu’une journée sur la politique d’insertion devrait se tenir en « décembre 2010 » afin de permettre aux territoires de partager leurs expériences, de repérer leurs difficultés et les avancées à consolider.
Autre axe de travail : « mieux agir pour diminuer les dépenses des ménages », notamment en luttant contre la précarité énergétique (6). Par exemple, le ministre suggère d’expérimenter un partenariat entre l’Etat, les conseils généraux, les collectivités locales volontaires, les associations ou les centres communaux d’action sociale afin de repérer parmi les titulaires du RSA les propriétaires occupants de leur logement dont les dépenses énergétiques sont importantes et de leur proposer un ensemble de « diagnostic-travaux-financements avantageux pour leur permettre de faire baisser leur facture ».
Par ailleurs, le ministre des Solidarités actives estime que, dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, il faut « mieux observer pour mieux agir ». Dans cet objectif, il a, avec le secrétaire d’Etat chargé du logement, fixé de nouvelles missions à l’ONPES (7), dont la présidence va, « avant la fin du mois », être confiée à Jérôme Vignon, qui fut notamment, de 2000 à 2009, directeur pour la protection sociale et l’inclusion sociale à la direction générale de l’emploi de la Commission européenne. L’observatoire devra ainsi : veiller à une meilleure articulation des moyens statistiques, de recherche et d’évaluation qui concourent à la connaissance des phénomènes de pauvreté et d’exclusion ; développer des indicateurs portant sur des catégories spécifiques à observer en priorité, telles que les personnes âgées, notamment en milieu rural, les familles monoparentales et les jeunes ; s’intéresser à des problématiques « fondamentales » en matière d’exclusion, « comme la mesure du mal-logement, la précarité énergétique, l’exclusion scolaire […] » ; articuler ses travaux avec ceux du CNLE, du Conseil national de l’information statistique et des instances consultatives dans le domaine du logement.
Au-delà, le ministre souhaite plancher, en lien avec le CNLE, sur des propositions visant à améliorer le regard sur la pauvreté ou encore « créer des chartes territoriales de cohésion sociale, en désignant un chef de file unique pour la conduite de ces politiques ». Il entend aussi, « par expérimentation, assouplir la durée des contrats d’insertion pour pouvoir en modifier la durée en cours de contrat et laisser ainsi à la personne le temps de prendre conscience de ses responsabilités ».
(1) Celui-ci correspond à la proportion de personnes vivant dans des ménages dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population, réévalué chaque année pour prendre en compte l’inflation.
(2) Signalons que les indicateurs ne mesurent l’évolution de la pauvreté que jusqu’en 2008 et ne prennent pas en compte les mesures prises par le gouvernement en 2009 pour lutter contre ce phénomène (mise en place du revenu de solidarité active, mesures de relance prises dans le cadre de la crise économique, plan « Agir pour la jeunesse »…).
(3) Les indicateurs de pauvreté ont pourtant déjà été complétés une première fois par Martin Hirsch, alors Haut Commissaire aux solidarités active contre la pauvreté – Voir ASH n° 2628 du 16-10-09, p. 5.
(4) Rappelons en effet que Bernard Seillier a laissé son siège de président à Etienne Pinte. Toutefois, l’arrêté nommant ce dernier à ce poste et celui renouvelant les membres de l’instance ne sont toujours pas parus au Journal officiel.
(7) Julien Damon, son prédécesseur, avait déjà émis quelques propositions en la matière – Voir ASH n° 2666 du 2-07-10, p. 25.