Le Parlement a adopté définitivement, le 7 octobre, le projet de loi visant à autoriser l’approbation du très controversé accord franco-roumain « relatif à la coopération en matière de protection des mineurs isolés et de lutte contre les réseaux qui les exploitent », conclu le 1er février 2007 (sur la réaction de l’association Hors la rue, voir ce numéro, page23). Cet accord, qui succède à un premier accord signé en 2002 et mis en place entre 2003 et 2006, est censé notamment faciliter les échanges d’informations sur les mineurs roumains isolés se trouvant en France ainsi que sur l’organisation de leur retour en Roumanie, si leur protection peut y être assurée dans de bonnes conditions. Sa ratification avait été retardée en raison notamment des vives réaction qu’il avait suscité lors de sa signature.
Conclu pour trois ans, l’accord de 2007 sera applicable « le premier jour du mois suivant la date de réception de la dernière des deux notifications par lesquelles les parties se communiquent réciproquement l’accomplissement des procédures internes nécessaires à son entrée en vigueur ». Il reprend en partie les dispositions de celui qui l’a précédé, en y apportant toutefois plusieurs compléments. Il met notamment davantage l’accent sur la lutte contre les réseaux d’exploitation des mineurs. Cet aspect apparaît dès son premier article, relatif au domaine d’application de l’accord. Les Etats s’engagent ainsi à collaborer pour :
résoudre la situation de mineurs roumains se trouvant en difficulté sur le territoire de la République française – à savoir les enfants roumains exposés aux risques d’abus, d’exploitation ou de délinquance – et prévenir de telles situations ;
faciliter les échanges de données et d’informations, afin de résoudre le plus efficacement possible la situation des enfants roumains se trouvant en difficulté (en France) et de contribuer à prévenir des situations d’isolement ou de risque pour ceux-ci, y compris les récidives ;
mais aussi, donc, renforcer la lutte contre la criminalité organisée, la délinquance itinérante et le démantèlement des réseaux d’exploitation concernant les mineurs.
Sur le fond, les objectifs poursuivis restent les mêmes qu’en 2002. Il s’agit ainsi :
« d’identifier et protéger les mineurs roumains isolés, victimes ou auteurs d’infractions pénales, en difficulté » sur le territoire français ;
« favoriser le retour dans leur pays des mineurs roumains isolés par un échange d’information sur leur état civil, la localisation de leurs représentants légaux et tout renseignement sur leurs conditions d’existence, et les bonnes conditions de leur retour » (adoption de mesures de protection, suivi de la réintégration sociale pendant les six premiers mois du retour…).
Il s’agit également de « prévenir les risques d’exploitation ou de représailles des mineurs ainsi remis à leurs parents en Roumanie par l’échange d’informations sur les réseaux et organisations criminelles qui les exploitent en Roumanie et en France ».
Concrètement, comme dans l’accord précédent, la France s’engage à mettre en place un dispositif de prise en charge des mineurs roumains isolés en difficulté sur son territoire. Les éléments de cette prise en charge sont toujours les mêmes : « la prise de contact sur le territoire français, l’instauration d’un lien de confiance, l’accueil, l’hébergement, le suivi sanitaire, l’élaboration d’un projet d’accueil en Roumanie, la préparation du retour et l’accompagnement des mineurs jusqu’en Roumanie ». On notera toutefois que la référence à la mise en place d’un dispositif s’appuyant sur la constitution d’un groupe d’organisations non gouvernementales françaises a disparu.
En outre, déjà prévu en 2002, le groupe de liaison opérationnel (GLO) est maintenu, avec toujours comme tâche principale de faciliter les relations opérationnelles entre Paris et Bucarest. Quelques nouveautés sont apportées toutefois. Il est ainsi désormais précisé que le GLO sera présidé par le ministère de la Justice. Par ailleurs, sa contribution à la coopération en faveur de la lutte contre la criminalité organisée qui exploite des mineurs est mise en avant (1). Dernières nouveautés par rapport à 2002 : il est prévu une évaluation annuelle de l’activité du groupe ainsi que la diffusion d’un rapport annuel d’activité à l’ensemble de ses membres.
La disposition qui cristallise toutes les critiques – celles des associations en particulier – concerne la réorganisation de la procédure pouvant conduire au retour d’un mineur isolé dans son pays.
Une fois le mineur pris en charge, les autorités françaises doivent s’assurer de son état civil auprès des autorités roumaines. Se pose ensuite la question de l’autorité compétente pour autoriser un mineur à quitter le territoire français pour regagner son pays (c’est-à-dire ordonner la mainlevée de son placement judiciaire). Auparavant, en application de l’accord de 2002, cette prérogative revenait uniquement au juge des enfants, qui devait s’assurer qu’un retour du mineur dans son pays était bien dans son intérêt. L’accord de 2007 l’étend au procureur de la République en s’alignant sur le dispositif français de protection de l’enfance. En l’occurence l’article 375-5 du code civil, qui offre au procureur la possibilité d’autoriser un mineur à quitter le territoire français « en cas d’urgence » et sous réserve qu’il saisisse « dans les huit jours le juge compétent qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure ».
Concrètement, l’accord prévoit ainsi que le juge des enfants territorialement compétent ou le parquet des mineurs peuvent être saisis de la situation d’un mineur roumain isolé. Celui qui est saisi doit rassembler tous les éléments pertinents sur la situation personnelle et administrative de l’intéressé en France et en Roumanie « conformément à la législation en matière de protection de l’enfance ». Il doit, en outre, informer les autorités roumaines qui, après examen de la situation du mineur et « définition précise des modalités de sa prise en charge en Roumanie », peuvent solliciter par écrit son raccompagnement.
S’il s’agit du parquet des mineurs, celui-ci pourra dorénavant décider de ne pas saisir le juge des enfants et mettre lui-même à exécution cette demande dès sa réception « s’il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur ».
C’est ce point particulier qui a fait l’objet d’un déluge de critiques, certaines associations n’hésitant pas à parler d’atteinte aux droits fondamentaux et aux droits de l’enfant ou bien encore pointant l’absence de toute procédure contradictoire. Réponse de la députée (UMP) Chantal Bourragué, rapporteure du projet de loi : en vertu de l’article 375-5 du code civil, la compétence du parquet sera limitée à huit jours (3). Ainsi, la stipulation controversée « permettra en fait uniquement au procureur de solliciter sans délai les autorités roumaines pour qu’elles commencent l’enquête sociale requise ». « La réalisation de celle-ci demandera très probablement plus de huit jours, si bien qu’un juge des enfants aura entre-temps dû être saisi et que c’est à lui que la décision d’un retour éventuel du mineur appartiendra », a-t-elle assuré (Rap. A.N. n° 2839, Bourragué, octobre 2010, page 27).
Une autre innovation de l’accord vise, selon les mots de Chantal Bourragué, à « apporter une solution aux cas, très fréquents, de la fugue des mineurs avant leur raccompagnement ». Ainsi, si le mineur n’est plus localisé, le parquet sollicitera son inscription au fichier système d’information Schengen. Puis, s’il est retrouvé ultérieurement, le parquet des mineurs territorialement compétent mettra la mesure de raccompagnement à exécution à condition que les informations sur la situation de l’enfant soient suffisantes et ne datent pas de plus d’une année.
Enfin, signalons que l’accord charge les autorités roumaines de prendre, immédiatement après le retour des mineurs, les mesures de protection qu’elles jugent nécessaires conformément à la législation roumaine et d’informer annuellement la partie française de la situation des mineurs concernés.
(1) Au-delà de cette nouvelle mission, le GLO garde pour tâche de faciliter l’identification des mineurs roumains sur le territoire français mais aussi d’améliorer leur prise en charge et de faciliter le retour dans leur pays quand les conditions sont réunies.