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Sensibiliser les relais

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Créée en 1992 à Colmar (Haut-Rhin), l’association SEPIA s’est donné pour mission de prévenir le suicide chez les adolescents. Son équipe s’efforce d’apporter aux jeunes en détresse psychologique ainsi qu’à leurs parents une écoute et un soutien de proximité, grâce à de multiples dispositifs d’intervention et à son réseau de professionnels relais.

Dans le modeste appartement où est installée l’association SEPIA, au cœur du centre ­historique de Colmar, le décor est mini­maliste mais chaleureux. Dans chacun des cinq petits bureaux, un mug de café, un carnet de notes ou des brochures, abandonnés sur les tables, et toujours, sur une pile de magazines ou au coin d’un bureau, une boîte de mouchoirs. « C’est l’un de nos outils de travail », souligne Alexandre Reitter, assistant de service social depuis sept ans à temps plein au sein de la structure. Peu après, tandis que le jeune professionnel reçoit, portes closes, un adolescent en entretien, son collègue Denis Gehin, infirmier psychiatrique, assure la permanence téléphonique. De son côté, Rémi Badoc, le directeur, prend des rendez-vous pour les jours à venir. En ce début d’année scolaire, l’agenda est déjà bien rempli pour les huit permanents de SEPIA, qui a soufflé il y a peu ses dix-huit bougies.

Depuis sa création en juin 1992, cette association locale (1) s’est donné pour mission la prévention du suicide chez les 15-24 ans. Le suicide fait officiellement 11 000 morts par an en France, dont 600 à 800 jeunes de 15 à 24 ans, sachant que l’on estime à 20 % la sous-déclaration des décès par suicide. SEPIA est désormais l’un des acteurs incontournables du suivi social et psychologique des jeunes en détresse dans le Haut-Rhin. « Au début des années 1990, raconte Rémi Badoc, j’étais assistant social au centre hospitalier de Rouffach (proche de Colmar) en pédopsychiatrie. A l’époque, le suicide chez les jeunes était un sujet tabou et les adolescents en crise restaient cantonnés dans les hôpitaux psychiatriques. » Dans le cadre de la préparation au diplôme de responsable de petite et moyenne structure à caractère social ou socio-éducatif, Rémi Badoc travaille sur un projet de structure spécifiquement dédiée à la prévention et au suivi de ces jeunes. « Au Canada, beaucoup de choses étaient faites sur ce sujet. Je suis donc allé voir comment ils s’y prenaient. Là-bas, j’ai pu constater que tous les professionnels sont concernés par le problème, notamment en milieu scolaire : les professeurs, les infirmiers, les assistants sociaux ou encore les conseillers principaux d’éducation. A l’extérieur, ce sont les médecins généralistes ou les animateurs de quartier qui prennent le relais. »

Des formations pour les partenaires

Après avoir étudié les pratiques outre-Atlantique, Rémi Badoc crée l’association Suicide écoute prévention intervention auprès des adolescents, bientôt rebaptisée SEPIA, « comme le médicament homéopathique contre la dépression ». Et ce, en partenariat avec le centre hospitalier de Rouffach, qui l’emploie alors et le « prête » à l’association naissante pendant un an. Aujourd’hui encore, six des huit professionnels de la structure, excepté les psychologues, sont titulaires de la fonction publique hospitalière et mis à disposition par le centre hospitalier, auquel SEPIA rembourse salaires et charges.

La première tâche que se fixe le fondateur de SEPIA est de sensibiliser puis de former les personnels de l’Education nationale, pilier numéro un du réseau de l’association, en première ligne face aux jeunes. Mais également les travailleurs sociaux (action éducative en milieu ouvert, service d’investigation et d’orientation éducative, foyers pour adolescents, etc.), les professionnels de l’insertion (missions locales, Sémaphore, Réagir), la gendarmerie et la police nationale, les hôpitaux (urgences, Ado’sphère)… Trois formations gratuites se déroulent ainsi chaque année dans les locaux du centre hospitalier de Rouffach, mais également lors de sessions de deux fois trois heures dans des lycées et collèges du Haut-Rhin, ou auprès de conseillers principaux d’éducation stagiaires, comme en 2009 à l’IUFM de Sélestat (Bas-Rhin). Lors de ces stages, intégrés dans le programme national de prévention du suicide mené par le ministère de la Santé, les participants sont familiarisés avec les données épidémiologiques sur le suicide, les facteurs de risque – la mort ou la maladie d’un proche, une rupture amoureuse, un questionnement sur son orientation sexuelle, des difficultés scolaires, des relations familiales conflictuelles, etc. – ainsi que les signes précurseurs – un changement brutal de comportement, une agressivité soudaine ou un isolement, l’arrêt d’une activité, des troubles du sommeil ou de l’appétit, le décrochage scolaire, etc. Les idées reçues véhiculées sur le suicide sont également abordées, comme « s’il en parle, il ne le fera pas » ; « s’il veut se suicider, personne ne peut l’en empêcher » ; « le suicide, c’est héréditaire ». Ou encore « le mythe le plus ravageur auquel il faut absolument tordre le cou, martèle Rémi Badoc, celui qui sous-entend que parler de suicide déclencherait des passages à l’acte. C’est archifaux ! »…

Les médecins scolaires à l’écoute

Le docteur Marie-France Gérard, médecin responsable de la santé scolaire pour le Haut-Rhin, a suivi la première formation dispensée en 1992 par SEPIA. « En tant que médecin, on garde habituellement une distance avec les élèves, témoigne-t-elle. Au contraire, lors de ce stage, j’ai appris à les écouter d’une façon plus proche, plus humaine, mais aussi à respecter les silences de ceux qui ont du mal à parler, à rester à côté d’un ado qui pleure, ou encore à aller chercher dans la cour un jeune qui ne revient pas me voir de lui-même. Autant de choses qu’en tant que médecin on ne s’autorise généralement pas à faire. » A sa demande, les 23 médecins scolaires du département ont tous suivi les formations de SEPIA et sont désormais des acteurs de premier plan dans le réseau créé autour de l’association. « L’aspect très positif de ces formations, c’est qu’elles sont interprofessionnelles, poursuit-elle. Nous, médecins, les suivons avec des gardiens de prison, des infirmiers urgentistes ou des fonctionnaires territoriaux. C’est important d’oublier son étiquette professionnelle et de se remettre à sa place d’adulte face à un enfant qui ne va pas bien. »

Au fil des années, les activités de SEPIA se diversifient, en même temps que l’équipe s’étoffe. Aujourd’hui, sur les deux sites, à Colmar et à Mulhouse, chaque équipe comporte deux intervenants (assistants sociaux ou infirmiers), l’un à temps complet, l’autre à mi-temps, et un psychologue à mi-temps. Rémi Badoc, le directeur, et Claudine Netzer, la responsable administrative, partagent leur semaine entre les deux métropoles haut-rhinoises. Le personnel de la structure est remarquablement stable. Un faible turn-over qui s’explique, pour l’assistant social Alexandre Reitter, par une ambiance de travail très agréable et une équipe solidaire et soudée, convaincue d’œuvrer de façon concrète et efficace pour le bien commun. « Cette stabilité permet aussi aux jeunes de retrouver les professionnels par lesquels ils ont pu être suivis par le passé », note le directeur. C’est le cas de Nicolas, lycéen de 17 ans, qui confie, avec timidité et pudeur : « J’ai trouvé le numéro de SEPIA au collège, il y a trois ans. Et j’y ai été suivi pendant toute mon année de 4e par Nadine Marchal [la psychologue de Colmar, ndlr], que je voyais une fois par semaine. Et puis là, au début de l’année scolaire, j’ai ressenti le besoin de reprendre contact avec elle. Si elle n’avait plus été là, je ne serais plus venu. Elle m’aide beaucoup. Savoir que nous avons rendez-vous me donne de la motivation pour tenir jusque-là. » Comme Nicolas, ils sont près de 700 jeunes à rencontrer chaque année un professionnel de SEPIA. En parallèle des formations et des entretiens individuels, l’association publie régulièrement des plaquettes informatives ou des affiches sur la prévention du suicide, que l’on retrouve depuis plusieurs années dans tous les établissements scolaires du département.

A chaque appel, évaluer la situation

L’équipe s’est également donné pour mission d’assurer l’accueil téléphonique de jeunes en crise ou de leurs parents, soit 22 % des demandes, qui contactent SEPIA par le biais de ses points accueil écoute jeunes (PAEJ) ou de son Numéro vert (2). Gratuit et anonyme, ce dernier enregistre depuis douze ans entre cinq et dix appels par jour. En revanche, on ne peut pas chiffrer le nombre d’appels arrivant sur les deux autres postes fixes. « Ils sont très nombreux, assure le directeur, mais impossibles à quantifier. C’est ce que nous appelons notre activité fantôme. » De la même manière, les résultats du travail de SEPIA sont difficiles à évaluer. Seul indicateur tangible : « Depuis quelques années, les urgences nous le disent, ils ont moins de jeunes qui arrivent chez eux après une tentative de suicide. »

A chaque appel, c’est le même rituel : « Quand un adolescent nous contacte, on évalue d’abord la situation, explique le directeur. Il nous faut savoir à quel stade de souffrance il en est. Pour imager, c’est un peu comme une personne qui marche vers une falaise. Est-elle encore loin du précipice, au bord de la falaise ou carrément en train de plonger ? » Pour procéder à cette évaluation, les professionnels de SEPIA utilisent le « schéma de Caplan » (3), revu par le professeur Jean-Louis Terra, psychiatre au centre hospitalier du Vinatier, à Bron, dans le Rhône. Ce schéma est en forme d’entonnoir : à l’extrémité la plus large se situent les « souffrances durables et insoutenables » ; à mesure que l’on s’enfonce dans l’entonnoir, apparaissent les idées de suicide, l’intention d’en finir, puis la programmation de l’acte ; viennent enfin la mise en œuvre ou tentative de suicide, puis le décès. « A l’occasion de ce premier contact, nous avons plusieurs options. Soit l’adolescent est encore loin de la falaise, auquel cas nous pouvons l’orienter vers un psychologue en libéral ou un psychiatre, une mission locale ou encore une association d’aide aux victimes, tout en assurant nous-mêmes un suivi social en parallèle. Soit le jeune est au bord du précipice et nous intervenons immédiatement, en l’adressant à un centre hospitalier ou en nous déplaçant directement grâce à notre équipe mobile. »

Composée de Rémi Badoc, de Denis Gehin, l’infirmier implanté à Colmar, ou de l’un des assistants sociaux de SEPIA (Alexandre Reitter à Colmar, Valérie Fréring ou Jean-Baptiste Vescovo à Mulhouse), cette équipe est en capacité d’intervenir rapidement dans tout le département. « Nous allons là où le jeune souhaite nous rencontrer, dans la rue, au lycée, dans un café ou à domicile », note le directeur. Des rencontres ont également lieu dans les permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO) ou dans des maisons de l’emploi, comme à Saint-Louis, à l’extrême sud-est du département. Ainsi, l’an dernier, 368 jeunes ont pu être rencontrés par l’équipe mobile (contre 224 en 2008), à des horaires et dans des lieux témoignant de la grande flexibilité du dispositif. Parmi ces adolescents, Laura, 16 ans, rencontre Alexandre Reitter chaque semaine dans une salle libre de son lycée. « C’est le proviseur adjoint de l’établissement qui m’a appelé en début d’année pour me demander de passer voir Laura, se souvient l’assistant social. Ses notes baissaient, elle n’allait pas bien et était d’accord pour parler avec nous. » La jeune fille, douce et souriante, est alors en proie à des problèmes familiaux qui la rongent, et trouve un soutien durable auprès d’Alexandre, à qui elle envoie de temps en temps des SMS, « pour garder le contact ».

Le plus souvent, c’est dans ses locaux – installés dans les centres-ville de Colmar et de Mulhouse, afin d’en faciliter l’accès – que SEPIA accueille les jeunes en détresse. Environ 420 adolescents ont ainsi pu rencontrer en 2009 les professionnels de l’association (contre 521 en 2008). « Pour chaque jeune, nous comptons en moyenne sept rendez-vous, indique le dernier rapport d’activité de la structure. Soit 2 905 rendez-vous d’une heure en moyenne. » Lors de ces rencontres, l’équipe ne se plie pas à une méthodologie particulière. « Nous sommes avant tout dans l’empathie, même si nos deux psychologues sont, pour l’une, adepte de la méthode systémique et, pour l’autre, plutôt de l’école analytique, observe Rémi Badoc. Mais nous nous situons avant tout dans la notion d’aide. » Mis en confiance, la plupart des jeunes entretiennent avec la structure un lien dans la durée, en envoyant des messages réguliers sur le téléphone portable de l’équipe mobile ou en passant dire bonjour. « Mais aucun d’entre eux n’abuse, précise le directeur. Au contraire, ils ont souvent peur de déranger. »

Libérer la parole à l’école

Dans sa palette, SEPIA dispose d’autres outils. Notamment les animations scolaires, autrement appelées « ateliers santé ». L’an dernier, 12 ont été organisées en collège et 9 en lycée, dans le cadre de journées de prévention. Ces ateliers offrent un espace de parole aux jeunes, réunis par groupes de 15 à 20 élèves, et les font réfléchir sur des stratégies de résolution des problèmes. Les adolescents peuvent y évoquer leur vécu personnel, poser leurs questions et, pour certains, exprimer une demande d’aide qui, sans ces rencontres, serait restée muette. Si SEPIA intervient ainsi en amont d’éventuels drames, l’association est également sollicitée après un décès par suicide – dans la majorité des cas, celui d’un camarade de classe. Cette activité de « postvention » aide le groupe à exprimer ses émotions et permet aux professionnels de prendre contact avec les adolescents affectés les plus fragiles, afin de leur proposer une prise en charge individuelle, souvent médicale.

Un nouveau dispositif de dépistage a également été mis en place l’année dernière, en association étroite avec les médecins généralistes, qui représentent des relais clés dans le réseau SEPIA. Une plaquette d’information, disponible dans leur cabinet et renvoyant vers SEPIA, a été publiée pour populariser cette nouvelle « plate-forme d’accueil, d’information et de suivi ». Dans le même ordre d’idée, est actuellement à l’étude un projet de communication spécifiquement ciblé en direction soit des jeunes filles (61 % du public accueilli par SEPIA), soit des jeunes hommes (39 %, mais les plus nombreux à passer à l’acte). Concernant les garçons, l’objectif consiste à mettre un terme à cette plus faible prise en compte, due à une lecture moins lisible des symptômes de crise (décrochage scolaire, agressivité, consommation de produits toxiques…) que pour les filles.

Ce n’est là que l’un des projets de l’équipe, qui souhaite pouvoir s’appuyer dans un avenir proche sur un nouveau site Internet, avec un forum de discussion permettant aux adolescents, souvent à l’aise avec l’outil informatique et férus de réseaux sociaux, d’entrer en contact plus facilement avec les professionnels. Un projet qui se heurte pour le moment à des problèmes de financement. La sécurité budgétaire de l’association reste d’ail­leurs l’un des soucis de Rémi Badoc. Il souhaiterait pouvoir « bénéficier bientôt d’un contrat de stabilisation des ressources pour une durée donnée et une activité donnée », afin de jouir dans le futur d’une meilleure sécurité dans le fonctionnement de SEPIA. L’association est en effet actuellement financée à hauteur de 321 000 € par une myriade de collectivités et d’institutions, parmi lesquelles 32 communes du Haut-Rhin (dont Colmar et Mulhouse), l’Etat (par le biais de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des personnes), l’agence régionale de la santé, le conseil général du Haut-Rhin, les caisses d’assurance maladie de Colmar et Mulhouse, la caisse d’allocations familiales, la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse et la Mutualité sociale agricole d’Alsace. Deux donateurs privés mettent également au pot : le Kiwanis Colmar et l’entreprise d’électricité Werner, de Pfastatt. Et pour pallier le manque chronique de ressources, une levée de fonds devrait être engagée cet automne, avec l’aide du journaliste Bruno Masure, parrain de l’association depuis huit ans.

Notes

(1) SEPIA : 7, rue Kléber – 68000 Colmar – PAEJ : 03 89 20 30 90. Ou : 8, avenue Robert-Schumann – 68100 Mulhouse – PAEJ : 03 89 35 46 66 – sepia.asso@aliceadsl.fr.

(2) Numéro vert : 0800 88 14 34 (anonyme et gratuit à partir d’un poste fixe).

(3) En 1964, G. Caplan a publié Principles of Preventive Psychiatry.

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